INVITES

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« Raconte-moi tout Octave...

_ C'est ces connards. Je lui apportais des fleurs... et ils sont venus cracher sur sa tombe. Tous. Un par un.

_ Ils t'ont frappé ?

_ C'est moi qu'ai frappé le premier : ils ont juste rétorqué.

_ Leur leader était là ?

_ Oui. »

Alors il est encore vivant ce salaud... Va falloir qu'on s'en occupe une bonne fois pour toute : j'en parlerais à Johanna demain.

« Assieds-toi et montre tes blessures, s'il-te-plaît : je vais te soigner. »

Je vais chercher ma trousse de soins tandis qu'il retire ses vêtements déchirés, mettant à nu de nombreux hématomes et plaies. Il s'est pas raté... Comme à chaque fois... Octave est calme de nature, mais dès que ça touche à elle, il sait pas se contenir ; comme nous tous. Elle est notre plus grand point faible, notre plus grande plaie ouverte ; à tous. Et ces salopards le savent très bien. Il murmure doucement :

« Désolé, j'ai encore foiré notre promesse... »

Trois enfants autour d'un seau d'eau retourné : « Si jamais on se fait avoir, d'une façon ou d'une autre, on doit surpasser ça : on doit abîmer personne ni s'abîmer soi-même. Promis ?! »

« ...t'inquiète pas pour ça : on a tous foiré.

_ Oui... »

Il laisse ses larmes couler. Je le prends avec précaution dans mes bras, évitant d'appuyer sur ses blessures, et le réconforte. Comme toujours.

« Elle me manque tellement...

_ Moi aussi... »

***

« Georges... pourquoi tu pleures ? »

J'étais tellement perdu dans mes pensées, que je n'ai pas entendu Augustin se réveiller à mes côtés. J'essuie vivement mes larmes et tends mon téléphone à mon meilleur ami. Il lit attentivement le message affiché ; je vois son visage se décomposer au fur et à mesure de sa lecture. Il relève enfin la tête, et d'un air sérieux me demande :

« Tu voudras y aller ?

_ Je ne sais pas...

_ Dis-toi que tu ne la reverras plus : elle ne te fera plus jamais de mal, d'accord ? »

Je me contente d'acquiescer : il connaît parfaitement mon histoire familiale. Il connaît mon père décédé et ma mère instable. Il connaît ces chefs de brigands. Il connaît leur violence. Il connaît mon premier abandon...

Je sens mes larmes refaire surface. Augustin le remarque aussi :

« Calme-toi et essaye de te rendormir : tu penseras à ça demain, d'accord ?

_ Oui... »

Je m'allonge dans le lit et tandis qu'Augustin éloigne de ma portée mon téléphone, je ferme les yeux et me laisse emporter par la fatigue.

***

Je reçois un appel alors que je me prépare pour les cours. Augustin. Je fronce les sourcils : il m'appelle presque jamais... Je décroche :

« Allô ?

_ Salut Rachel. On pourrait se voir ce soir avant que tu n'ailles travailler ? J'ai à te parler.

_ ...D'accord. 18 heures derrière le café.

_ Merci. A tout à l'heure. »

Il raccroche. J'éloigne le combiné de mon oreille et le repose sous le regard interrogateur d'Octave :

« C'était qui ?

_ Augustin...

_ Oh... il s'est passé quelque chose de grave ?

_ Je sais pas. Je le vois après les cours. »

Octave acquiesce tout en enfournant une cuillère de céréales dans sa bouche.

Nous terminons de nous préparer puis nous dirigeons sans convictions vers nos établissements respectifs. Je le salut :

« A ce soir. Je rentrerais comme d'habitude.

_ D'accord : à ce soir. Passe une bonne journée.

_ Merci, toi aussi. »

17h45. J'attends patiemment que la cloche sonne : plus que cinq minutes... 17h50. Mes affaires sont déjà dans mon sac, je me dirige vers la sortie. Je n'aime pas être en retard.

J'atteins le café à 18h précises. Augustin est déjà là, casque sur les oreilles et regard tourné vers le sol... Je prends la parole en premier :

« Salut.

_ Salut. Comment ça va ?

_ ...Il se passe quoi ?

_ Merci pour ta réponse à ma question.

_ ...

_ Okay... C'est Georges, enfin, sa mère.

_ Et... ?

_ Je ne pense pas que tu sois au courant de son histoire familiale, si ?

_ Non, on a jamais abordé le sujet.

_ Et comme ce n'est pas à moi de t'en parler, je vais rien dire...

_ Normal. Qu'est-ce que tu attends de moi alors ?

_ J'aimerais que tu restes disponible un moment : il va traverser une période pas très joyeuse qu'il a déjà vécu et cette fois-ci je sais que je ne suffirait pas pour le soutenir.

_ ...il est chez lui ?

_ Non, je l'ai ramené chez moi : je ne veux pas qu'il reste seul. Et être seul chez moi, c'est impossible : j'ai ce que l'on appelle communément une petite sœur. »

Sa remarque me fait sourire. Je lui explique ensuite que je passerais chez lui après le boulot. Il m'indique où se trouve son domicile, puis il part. J'appelle Octave pour le tenir au courant de mon programme :

« Ça veut dire qu'on reporte la réunion ?

_ Oui, je vais appeler Johanna.

_ Okay. Tu rentreras vers quelle heure du coup ?

_ Sûrement une heure plus tard.

_ D'accord, à tout à l'heure !

_ Oui, à toute ! »

Je raccroche pour ensuite appeler Johanna. Elle répond dès la première sonnerie, comme à son habitude :

« Rachel ?

_ Salut : c'était pour te prévenir que j'aurais un contretemps ce soir. Ça te dérange pas qu'on remette la réunion à plus tard ?

_ ...D'accord. Je vais appeler les autres. Préviens moi de ton côté quand tu voudras remettre la réunion.

_ Oui. Merci beaucoup.

_ Pas de souci, Chef. Bonne chance avec ton contretemps. A plus !

_ A plus ! »

Elle raccroche. Je m'attarde pas sur ton déçu : je sais qu'elle attendait cette réunion depuis un moment... Je suis désolée mais l'amitié est toujours passée avant le gang : elle le sait très bien. Je range mon téléphone et entre dans le bâtiment. Motivation maximum pour ces heures à suivre !

Je suis lessivée quand je quitte le boulot : encore beaucoup de clients chiants aujourd'hui, ils ont dû se passer le mot ! C'est tout : je me dirige vers l'adresse indiquée par Augustin, essayant de retrouver mon énergie sur le chemin. J'arrive dans le quartier populaire de la ville. Même si les rues sont presque vides à cette heure-ci, le quartier respire encore la même vitalité que le jour : cet endroit est magique !

Je trouve l'appartement de mon ami. Je frappe doucement à la porte. A peine mes coups se terminent-ils, que celle-ci s'ouvre : une femme me fait face. Au premier regard, je sais que c'est la bonne adresse : elle a les mêmes traits que son fils.

« Bonsoir Madame, je suis Rachel, une...

_ Rachel ! Augustin nous avait prévenus de ta venue ! Entre donc !

_ Merci... »

Son sourire sincère et ses yeux remplis de gentillesse m'incitent à passer la porte, ce que je fais, ravalant ma rage de m'être fait interrompre.

L'intérieur de l'appartement assez spacieux est décoré de façon très simple : seule une immense photo encadrée attire mon regard. Ils sont cinq dessus. Celle-ci doit dater de quelques années : le visage d'Augustin est plus enfantin. Je dévisage rapidement les quatre personnes qui l'entourent : ses parents, sa petite sœur dont il m'a parlé et certainement son grand frère, de quelques années plus vieux. Ils ont tous le même air heureux : ça me fait sourire.

Sa mère me guide ensuite vers la chambre d'Augustin, près du salon. Je la remercie avant d'y entrer en silence : la chambre de sa petite sœur se trouve à côté.

Ils sont assis sur le lit défait, un ordinateur diffusant un film posé devant eux. Je les préviens de ma présence en me raclant la gorge.

Ils se retournent en même temps en sursautant. Je ne peux que leur rire silencieusement au nez.

Je m'avance vers eux et les rejoins dans le lit. Je tourne mon regard vers l'ordinateur : ils regardent un film d'horreur, je comprends mieux. Georges me fixe, se remettant de sa frayeur, puis me demande :

« Qu'est-ce que tu fais là ?

_ J'ai reçu une invitation.

_ ...Pourquoi ?

_ Pour mettre un peu d'ambiance ! »

C'est à leur tour de me rire au nez. Je lève un sourcil interrogateur :

« Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ?

_ Bah étant donné que tu ne ris ni ne souris presque jamais, toi mettre l'ambiance...

_ ...

_ Ne le prend pas mal !

_ ...

_ Sérieusement Rachel, c'est juste pour rire !

_ ... Je joue mon rôle, alors si tu pouvais me laisser tranquille Augustin... »

Georges rit le premier, rejoint par Augustin tandis que mon sourire s'étire doucement sur mon visage.

« Alors, je sers vraiment à rien Augustin ?

_ Ouais, ouais, ça va...

_ Dans tous les cas, j'ai qu'une petite heure à vous accorder, désolée : j'ai un invité chez moi.

_ Un invité ?

_ Octave.

_ A quelle occasion ?

_ Augustin !

_ T'inquiète Georges, je suis habituée. C'est personnel Augustin.

_ Okay, je demandais juste !

_ Ouais, ouais. Et toi Augustin, pourquoi t'as deux invités chez toi ? »

Joue le jeu, joue le jeu... J'attends avec appréhension une possible bourde de sa part :

« J'avais un pote perdu dans ses pensées à m'occuper : j'avais besoin d'une aide extérieure. »

Georges nous regarde tour à tour. Je suis désolée de devoir lui forcer la main, mais j'ai besoin d'être au courant de ce qu'il se passe pour pouvoir l'aider.

Il soupire puis se tourne vers son sac posé au pied du lit. Il en ressort son portable, et après avoir trouvé ce qu'il cherchait dedans, il me le tend.

***

Autant lui montrer tout de suite. J'ai bien compris qu'Augustin l'avait invitée pour essayer de me changer les idées.

Je lui tends mon portable, après y avoir affiché le message. Elle lit attentivement sans rien laisser transparaître, puis elle me redonne mon téléphone. Elle reprend la parole sur un ton neutre, comme à son habitude :

« Vous aviez prévu quoi ce soir ?

_ Ce film. On l'a presque fini d'ailleurs.

_ On le termine ?

_ ...Tu ne vas pas avoir peur ? C'est un film d'horreur et on est au dénouement... »

Elle lui lance un regard noir qui me fait sourire. Augustin détourne les yeux rapidement pour remettre en marche le film. Je me reconcentre sur l'écran tandis que l'on se réinstalle tous trois dans le lit. Je me retrouve entouré de mes deux amis : je me sens rapidement à l'étroit... Tous deux le sentent et me titillent un peu plus en se rapprochant encore de moi.

Je leur lance un regard désespéré tandis que le sourire aux lèvres, nous nous reconcentrons tous trois sur le film.

L'écran affiche enfin le générique de fin... Après une minute de battement, Rachel se lève pour allumer la lumière. Je me détends instinctivement : ce film était beaucoup trop effrayant !

Avant de me laisser le temps de me remettre complétement de mes émotions, Rachel reprend la parole :

« Je vais devoir y aller, désolée... Merci pour cette petite soirée : c'était sympa ! Faudrait qu'on se fasse ça plus souvent en semaine ! Pourquoi pas chez moi bientôt ?

_ D'accord, tiens nous au courant !

_ Oui ! Et Georges... »

Je relève un peu plus la tête à l'entente de mon prénom. Elle me fixe avec intensité... j'essaye de ne pas détourner le regard :

« Oui ?

_ Appelle-moi si t'as besoin de parler. Et ne te retiens pas sous prétexte que tu pourrais me gêner.

_ ...D'accord.

_ A plus !

_ Salut ! »

Je la regarde s'éloigner de nous pour passer la porte de la chambre et rejoindre le salon. Je l'entends parler avec la mère d'Augustin, puis j'entends la porte d'entrée se fermer.

Elle est partie... Cela fait hurler mon moi intérieur : j'aurais aimé la voir plus longtemps aujourd'hui... J'aurais surtout aimé lui expliquer ma situation actuelle ; situation pour laquelle elle s'est déplacée après le travail ; pour laquelle elle veut m'aider...

Je soupire. Je n'ai vraiment pas de courage... Je l'appellerais demain. Je ne veux rien lui cacher, je veux tout lui dire.

Alors qu'Augustin éteint la lumière et que j'essaie de m'endormir dans le lit, mon ami murmure entre deux bâillements :

« Dire qu'elle te demande même de l'appeler...

_ ...et ?

_ C'est une fille super.

_ Oui... Elle est super. »

***

Je laisse mes amis pour rentrer chez moi. Je réfléchi à la situation de Georges sur le chemin. Se faire abandonner est une épreuve, alors vivre ça une seconde fois... Et puis sa mère évoque des « souvenirs » dans son message : je pense pas que Georges souhaite se rappeler...

Bref. Je lui ai dit qu'il pouvait m'appeler, s'il le fait, il m'expliquera peut-être certaines choses.

J'atteins mon appartement, plongée dans mes pensées. Octave est installé sur le canapé, devant la télé, un plateau rempli de nourriture devant lui. Je lève un sourcil interrogateur en voyant ça. Il me dit :

« J'ai pensé que t'aurais faim.

_ Euh, oui...

_ Par contre désolé, va falloir faire réchauffer...

_ T'inquiète pas pour ça ! C'est super sympa d'avoir pensé à moi !

_ C'est normal.

_ C'est plus que normal : t'as préparé mon plat préféré !

_ Reste à savoir s'il est bon... »

Pour vérifier rapidement, nous faisons vite réchauffer les plats avant de manger avec appétit : c'est délicieux !

Le ventre plein et les yeux fatigués, je vais me doucher avant de finalement m'installer dans mon lit pour dormir. Mon meilleur ami me rejoint et nous nous endormons l'un contre l'autre, comme lorsque nous étions enfants. Il ne manque qu'une troisième présence pour m'endormir immédiatement...

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