RETOUR A LA RÉALITÉ
Je n’ai eu que ça en tête toute la journée : ce foutu rendez-vous en fin de journée… Je vais enfin pouvoir lui foutre une raclée à cette pute !
J’arrive au point préalablement défini : un immense hangar dans le 18ème. Le bâtiment est à l’abandon, délabré. Des bouts de tôles dépasse ci et là de son toit : un lieu désaffecté, à l’abri des regards, parfait pour la baston. J’entre.
Mon regard se pose directement sur elle, cette salope de connasse de ses grands morts. Ma haine est immense rien qu’en la voyant et tous mes souvenirs liés à elle refont surface… Je veux la voir souffrir, payer pour ce qu’elle a fait.
Sitôt vue, sitôt attaquée. Au cul la politesse ou n’importe quelle autre marque de civilisation : je me jette sur elle les poings en avant.
Elle esquive sans problème apparent… Et me rends sans merci mes multiples coups ratés. J’essaie alors de parer, mais me prends un nombre incalculable de droite et de gauche dans le visage, le thorax, le bide… Elle y va pas de main morte ! Elle m'achève ensuite avec des kick aux jambes et au corps. Je tombe à bout de souffle, puisant dans mes forces pour me relever : j’ai pas envie de me reprendre des coups au sol.
Notre baston continue sur le même rythme. Je ne relâche pas mon attention malgré les coups. Je la vois s’avancer peu à peu vers l'escalier du premier étage : elle veut prendre un peu de hauteur ? Okay, je la laisse faire, la gardant à bonne distance pour éviter la majorité de ses coups. J’essaie de ne pas me faire surprendre ou défoncée, tandis que je la suis au premier étage, doucement mais sûrement. Arrivées en haut de l’unique palier du hangar, elle se recule petit à petit vers un immense trou dans le sol. Vers le vide.
Je garde mes peurs pour moi : je veux pas qu’elle voit mes faiblesses. Je l’attaque alors, hurlant à pleins poumons pour me donner du courage. Je l’effleure à peine… et vois son poing arriver… Bim. Pour ma gueule : merci d’être passée !
Etourdie sur le coup, je suis dans les vapes avant même de toucher le sol. Elle profite ensuite de ma situation pour me défoncer avec de multiples coups de pieds dans les côtes et le bide… Elle lâche rien, alors que je suis à terre, déjà vaincue…
Des larmes de honte coulent sur mes joues endolories… Je ressens alors une douleur plus intense et déchirante que les précédentes : mon pied putain de merde !!! Je relève la tête et vois le clou et le marteau… Je m’évanouis.
Je me réveille à l’aube, la douleur comme seule partenaire. Je détourne les yeux de toutes es blessures plus ou moins superficielles et me concentre sur le point que je juge le plus important : mon pied. J’arrache le clou avec une facilité surprenante… Je tombe dans les pommes, me relevant en transe quelques instants plus tard. Je cherche ma respiration, paniquée, à bout de souffle, les joues mouillées. Je suis dans le mal total.
Je puise dans mes forces pour terminer mon soin : je fais un bandage avec ce que j’ai sous la main, pour stopper le sang qui coule et coule… Je tourne de l’œil une fois de plus.
A mon réveil, je me force de me relever pour sortir de là, et rejoindre mon appartement. Il faut que j’aille me préparer pour la journée, j’ai cours, et je peux pas les rater pour des blessures de merde.
Je suis dans les temps : heureusement que le 18ème est près de chez moi… Je me déplace avec difficulté, mais surpasse la douleur, prenant des cachets dès mon retour, avant d’aller prendre une douche. J’évite à tout prix de me regarder dans la glace de la salle de bain : pas besoin de ça pour imaginer l’état de mon corps…
Je m'habille, prends mon sac déjà prêt et pars pour la journée, boitant comme une merde.
La matinée se déroule pas vraiment bien : les médocs font à peu près effet, mais je plane un peu et la douleur reste omniprésente.
Je rejoins Georges et Augustin au réfectoire pour le déjeuner. Rien qu'en voyant ma gueule défoncée et ma démarche branlante ils haussent des sourcils interrogateurs.
Je m'assois sans rien dire et commence à manger la nourriture sur mon plateau. Je veux pas m’expliquer. J’ai l’intention de garder ça pour moi : je veux pas leur causer d’ennui. Mais Georges ose tout de même demander :
« …Il s'est passé quoi Rachel ?
_ Rien, je suis tombée dans les escaliers. »
Il ajoute rien. Je reconcentre mon attention sur ma nourriture. Je ne vois pas son coup arriver : sa main percute mon épaule. Je hurle sans le vouloir. Tout bruit cesse alors autour de nous. Georges rompt le silence :
« Je t'emmène à l'hôpital et je ne te demande pas ton avis. Augustin tu voudras bien débarrasser nos plateaux s'il-te-plaît ? Je l'emmène en voiture.
_ Okay. Je vous rejoins ce soir : tu me diras où vous serez.
_ Merci. »
Il me remet sur pieds avec précaution, puis me prends par la taille pour me soutenir. Je retiens les cris de douleur qui, malgré mes efforts, veulent tout de même sortir de ma bouche depuis ce matin.
Le trajet en voiture nous prend 20 bonnes minutes. Georges ne cesse de me lancer des regards de biais, ce qui a le don de m'exaspérer :
« Concentre-toi sur la route s'il-te-plaît, je vais pas mourir si ça t'inquiète. Par contre, je vais certainement vomir si tu continues à rouler comme ça. »
On arrive à l'hôpital, direction les urgences, où on me fait passer une radio avant de me laisser en salle d'attente.
Je pense attendre quelques heures, avec les multiples personnes qui m’entourent, mais les docteurs en décident autrement, ils m’emmènent dans les 5 minutes, entraînant Georges par la même occasion.
Arrivés dans une salle de consultation avec bureau, chaises et lit, le docteur en face de nous me demande de m’asseoir. Il s’approche de mon visage tuméfié, le scrutant, puis m’invite à retirer mon t-shirt, pour laisser ses collègues infirmiers inspecter mes plaies et les soigner.
Georges a un mouvement de recul pour quitter la salle, mais le docteur le coupe :
« Restez avec votre petite amie jeune homme, je vais avoir besoin de vous.
_ …d'accord. Mais je ne suis pas son copain…
_ Vous êtes proches ?
_ Oui…
_ Dans ce cas, restez tout de même. »
J'ôte difficilement mon haut : mes plaies ouvertes collent à la matière… Su-per ! Enfin retiré, le docteur observe mes plaies, les comparant aux premières radios qu'il tient en main, puis il laisse les infirmiers me désinfecter avant de me bander. Il me demande ensuite de retirer mon bas, en remettant mon haut avant, si je le souhaitais, et il réitère les mêmes actions : il regarde, compare et informe.
Les soins et l’observation terminés, il m’invite à rejoindre mon ami, de l’autre côté de son bureau. Il déballe alors ses analyses : mâchoire fissurée, côtes cassées, fêlées, pied inutilisable (le clou qui y a été inséré a transpercé la chair et l’a infecté)… Mais le point sur lequel il insiste beaucoup est la présence de multiples fractures anciennes sur les radios. Il m’explique alors qu’une IRM sera nécessaire pour avoir une meilleure vue du total des dégâts.
Les questions déboulent alors les unes après les autres : âge, profession, lieu de vie... Puis la seule et l’unique, la fatidique :
« D'où vous viennent toutes ces blessures, Mademoiselle ? »
Je reste muette. Il veut que je lui réponde quoi ? Que je dirige un gang ? Que je me fais tabasser presque toutes les semaines ? Et que je tabasse autant les autres ? Ou alors que je me suis fait défoncée hier par une salope de ses morts, juste parce qu'elle est à l'origine de la mort de ma meilleure pote et du handicap d'un de mes subordonnés ?
Face à mon silence, il essaie autrement :
« Jeune homme, votre amie pratique-t-elle un sport de combat ?
_ Oui : elle boxe.
_ Savez-vous si ces blessures pourraient lui venir de là ?
_ Elle ne participe pas de compétitions et à ma connaissance les personnes avec qui elle fait du sport ne la tabassent pas…
_ Bien. Mademoiselle est-elle une bagarreuse ? L'avez-vous déjà vue se battre hors les murs de la salle de boxe ?
_ Je réponds non à vos deux questions.
_ Bien…
_ J'aimerais aussi en savoir plus, Docteur…
_ La seule personne qui puisse répondre à nos attentes est Mademoiselle elle-même. »
Georges se tourne vers moi, l’air inquiet, presque suppliant. Je soutiens son regard : je veux pas qu'il soit au courant de quoi que ce soit. Surtout pas ici, là, maintenant, dans cette situation.
Le docteur continue :
« J’aimerai vous faire passer au plus vite les examens supplémentaires que l’évoquais, Mademoiselle. Vous allez être placée en observation cette nuit, et vous passerez une IRM demain matin, à a première heure. Je vous laisse prendre un peu de repos. J’espère que vous serez pus bavarde demain : j’ai besoin d’en savoir plus pour vous aider.
_ D’accord.
_ Jeune homme, je vous permets de rester à ses côtés cette nuit.
_ Merci, Docteur. »
La nuit se passe tranquillement. Georges reste à mes côtés dans cette chambre blanche, froide et vidée de toute vie, que l’on m’a attribuée… Seule. Merci bien.
Les infirmières de l’étage viennent vérifier mes perfusions puis m’emmènent au service radiographie de l’hôpital.
Arrivée dans la salle, les professionnels me demandent de suivre la procédure établie : je me déshabille avant de pénétrer dans la machine.
J’y passe le temps imparti, stoïque, vidée de toute énergie. Je suis flasque… Je veux faire aucun effort envers ces étrangers : c’est ma vie, mon corps, mes problèmes putain !
La procédure terminée, et les résultats sortis, un entretien avec le docteur de la veille s’impose.
Alors que je m’installe à la même place que la veille, Georges à mes côtés, on frappe à la porte : une infirmière apporte un paquet de radiographies.
Le docteur les reçoit avant de les étaler devant moi. Il commence :
« Arcades, mâchoire, côtes, rotules et tibias fracturés. Nez et chevilles cassées. Omoplates brisées. Côtes et bassin fêlés. Vous êtes est en plus mauvais état que je ne l’imaginais, Mademoiselle. Je vous repose donc cette question : comment ? »
J'observe les radios devant moi. Ce squelette a encore moins la classe que mon corps. Brisé. Un reflet de mon âme peut-être ?
Le docteur réitère sa question. Je lève les yeux au ciel et balance d’un ton désinvolte :
« Mon corps est plus ou moins détruit depuis la primaire, ouais. J’avoue, je me bats souvent. »
Un silence s'installe. Le docteur reprend :
« Pour quelle raison, multiple ou non, vous battez-vous, Mademoiselle ?
_ …Si je vous réponds que c’est pour sauver mémoire, honneur et fierté, pour prouver notre force, afin qu'on vienne pas chercher des noises, ou même pour répondre à ceux qui nous cherche, vous me croiriez ?
_ Seulement si vous me dites qui est ce « nous ».
_ Je ne les trahirai pas. Je n’ai donc rien à ajouter : j’ai répondu à votre question du comment.
_ Bien… Dans ce cas, je vais laisser mes collègues vous ramener dans votre chambre : vs blessures requièrent encore nos soins.
_ D’accord. »
Je retrouve ma chambre. Toujours aussi froide. Les infirmières vérifient mes pansements, dosent mes perfusions avant de me coucher. Georges vient alors se placer à mon chevet.
Je me permets de le regarder plus longuement qu’habituellement… Je cherche du courage en observant ses traits… Je le trouve enfin :
« Tu veux vraiment savoir ?
_ …Oui. S’il-te-plaît.
_ Ok. Appelle Augustin : je veux que vous soyez tous les deux au courant.
_ Je l’appelle.
_ Merci. »
***
Nous allons enfin connaître la vérité de ses absences, de ses blessures : nous allons enfin découvrir ses secrets… Je suis partagé entre la joie et la gêne : c’est tout de même de sa vie que l’on parle, pas d’une vulgaire histoire !
***
Petit chapitre avant quelques révélations... A bientôt !!! ~~
BNT
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