2.
C’était le matin qu’elle aimait cela. Le matin seulement. Le soir était réservé à la lecture et à l’écoute. Les livres et la musique étaient devenus ses seuls interlocuteurs accrédités. Plaisir toujours renouvelé, sans aucun regret. Pourquoi se mentir. Pas d’atermoiement inutile et stérile, sa liberté recouvrée était une des choses les plus surprenantes que la vie lui avait offerte ces derniers temps. Le veuvage lui allait bien. Elle avait maigri, un peu rajeuni (mais était-ce possible une fois la cinquantaine installée), avait changé de coiffure, pas de coiffeur.. La vie avait de nouveau une saveur acide, un parfum de neuf qui lui agaçait les dents sans la faire souffrir, un petit goût d'inconnu et de pied de nez. Elle mit de côté les rares factures qui arrivaient encore par la poste et suspendit son tri quand elle soupesa une nouvelle fois l’enveloppe blanche qu’elle avait écartée instantanément la veille. L’écriture connue était à elle seule un appel à la vie. Elle sourit et s’égara quelques minutes dans une sorte de songe éveillé.
De nouveau, ce week-end-là, la maison allait retentir de cris et de bruits vivifiants. Elle savourait à l’avance les sursauts que lui occasionnerait le claquement intempestif des portes, les hurlements dans le jardin, les cailloux abandonnés sur le perron qui lui transperceraient les talons. Elle se figura les petits bisous poisseux dans son cou et la douceur de ses mouvements quand elle ajusterait soigneusement les tabliers de fortune aux petites tailles des enfants poudrés de farine. Déjà, elle savait qu’elle sortirait la plus belle de ses nappes, celle avec les cerises brodées. D’un geste interrogateur, elle tourna et retourna obstinément entre ses doigts l’objet qui venait déranger son quotidien puis consentit enfin à décacheter l’enveloppe. Elle adorait les lettres. Elle avait toujours pris un plaisir insensé à imaginer le contenu des unes et des autres. Les lettres d’amis, les lettres d’amour, toutes ces lettres accumulées dans sa mémoire et dont, pour certaines, elle avait appris des passages par cœur afin d’en mieux savourer les arabesques délicates. Alors, dans le vide que représentait toute forme de hasard – masse liquide d’une fausse transparence – elle lut le message. Pierre lui annonçait qu’il viendrait, si cela ne la dérangeait pas, lui rendre visite ce week-end-là.
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