Confinement : Carnet de bord

5 minutes de lecture

Au début je croyais que ça allait être facile mais il faut se rendre à l'évidence : après quelques jours, je ne suis déjà plus le même.

Jour 1

Le premier jour réserva son lot de surprises. Pour commencer, j'ai découvert que des individus vivaient sous le même toit que moi. Il sont quatre et je les ai aperçu lorsque je suis arrivé dans mon salon, au petit matin. Ils étaient déjà à table et c'est le plus naturellement possible, que je pris place à leurs côtés.

J'ai rapidement compris que celle qui essayait de réaliser la prouesse de tartiner la motte de beurre sur une seule et unique tranche de pain grillé était ma femme. Visiblement, j'avais tiré le gros lot ou alors j'avais fait quelque chose de grave et elle incarnait ma punition. Ma mémoire me jouait des tours et je ne savais plus quelle affirmation était la bonne.

La plus jeune qui cherchait ses crottes de nez avec son index était ma fille. Aucun doute : elle avait le patrimoine génétique de sa mère et je ne dis pas ça pour la tartine de beurre posée devant elle, mais pour les couettes qui pendaient de chaque coté de sa tête.

Les vieux de l'autre coté de la table étaient mes beaux-parents. Fruit du hasard ou simple coup monté, ils n'avaient pas pu rentrer chez eux avant le début du confinement. Ils m'observaient en souriant bêtement. Dans un élan de gentillesse, je m’apprêtais à leur retourner la politesse lorsque je m’aperçus que ma belle-mère buvait son café dans le mug qui portait mon nom. Je voulus faire une remarque, mais elle ne m'en laissa pas le temps. Gaiement, elle annonça en postillonnant dans l'air :

- Allez les enfants, plus que 44 jours de confinement !

Le ton était donné et le cauchemar ne faisait que commencer.

Jour 2

Deuxième journée de confinement. La veille, je me suis étonné moi-même. J'ai fait preuve d'une patience à toute épreuve. Bien que la journée ait mal démarré, j'ai affiché ma poker face. A l'évidence, j'avais complètement sous-estimé mon capital patience. J'ai tout enduré sans jamais souffrir : ma belle-mère qui a pris l'initiative de ranger mon tiroir de vêtements sans rien me dire et de revenir dans le salon avec une pile de sous-vêtements qu'elle trouvait inadaptée, en jubilant :

- Mon dieu ! Ma chérie, si ton père avait porté ça, je l'aurait quitté sur le champ !

Personne ne répondit tandis que je la fusillais quand même du regard, histoire de faire passer un message clair.

Plus tard, mon beau-père prit le relais de sa femme. Il entreprit de faire le tour de la maison et de commenter tous mes petits travaux, assurant que si ça avait été lui, tout serait forcément mieux fait, évidement.

Cela n'aura échappé à personne, je n'aime pas mes beaux-parents et c'est réciproque.

Ma fille quant à elle, semblait avoir un réel problème avec ses trous de nez et ma femme espérait que nous ne tomberions pas en pénurie de beurre.

De fait, ce matin et après une bonne nuit de sommeil, j'ai littéralement sauté hors du lit et je me suis rendu dans le salon. En avant pour une nouvelle journée !

Les mêmes gens qu'hier étaient à la même place. Bizarrement, ils étaient aussi dans la même position que la veille. Ma femme s'acharnait à racler le fond de la barquette de beurre et ma fille cherchait toujours quelque chose dans son nez avec son index. Elle changea de narine au moment où je crus que son doigt était resté coincé. Ma belle-mère buvait toujours son café impunément dans mon mug et semblait chercher la prochaine blague de mauvais goût à me faire. Mon beau-père, silencieux, me regarda en bombant le torse. Sur son pyjama, une inscription attira mon regard : "Ici, le boss c'est moi !".

Ma résilience dura deux jours avant que je ne me décide à reprendre les choses en main.

Il fallait agir, et vite ! On n'imagine pas à quel point un confinement peut vous changer !

Jour 3

Je me suis levé en baillant. La nuit a été agitée, mais je vous expliquerai peut-être ça plus tard. Dans le salon, quelque chose à changé. Il n'y a plus ma belle-mère à table. Sereinement je me dirige vers mon mug qui m'attend sagement sur son étagère et je le remplis de café avec une satisfaction certaine.

- Tu as vu ma mère ? me demande ma femme avec la bouche pleine de Nutella.

- Non, pourquoi ?

- Elle n'est pas là. C'est bizarre, ça ne lui ressemble pas de sortir sans prévenir.

Je ne répondis pas et je bus mon café debout en regardant Nestor le poisson rouge, qui tournait dans son bocal. Il fit un tour puis s'arrêta face à moi. J'avais l'impression qu'il me regardait. J'inclinai lentement la tête et il tourna aussi lentement sur son axe. Je le fixai dans les yeux. Les secondes s'égrainèrent jusqu'à ce que l'un de nous se décida à bouger. Il me fit un clin d’œil. J'étais sûr qu'il savait et je ne pouvais pas laisser de témoin.

- Ton compte est bon mon ami, nous réglerons ça plus tard.

Je retournai à table. Mon beau-père toujours silencieux, arborait fièrement un nouveau tee-shirt : " J'ai une fille magnifique. J'ai aussi un flingue, une pelle et un alibi. "

- Tu ne peux pas savoir à quel point moi aussi, murmurais-je.

Jour 4

J'ai bu mon café en regardant dehors. Mon beau-père et ma femme pleuraient l'absence de nouvelle de ma belle-mère tandis qu'à l'extérieur les chiens errants faisaient leur œuvre et se disputaient le dernier os d'une carcasse. Étrangement, le sentiment du travail bien fait m'envahit. Je me retournai et avec nonchalance pour ne rien laisser paraître, j’inventai :

- Bernadette m'a téléphoné. Elle à dû partir auprès d'une amie qui est très malade. C’était urgent, elle donnera des nouvelles dans les prochains jours.

- Subitement et sans prévenir ? Je ne comprends pas. Elle laisserait sa famille pour une amie ? Ça n'a pas de sens, s'étonna Sherlock.

Je haussa les épaules, avant de lui répondre sur le même air que précédemment :

- Ça avait l'air grave, je crois. Soit rassurée et patiente un peu.

Ma femme fit la moue, mais le manque de Nutella eu raison d'elle et elle enfourna une tartine qui l’empêcha de continuer.

En passant devant le bocal du poisson rouge, je l'ai entendu me parler. C'est étrange parce que c'est impossible pour la simple et bonne raison qu'il est mort depuis hier soir. Je n'imaginais pas que c'était si dur de tuer un poisson rouge. Il glisse, il se débat et en lui coupant une nageoire, je me suis taillé le doigt. Bref, en tout cas la nageoire gisait sur le rebord de la fenêtre que j'ai pris soin de laisser entrouverte.

Il n'en fallu pas plus pour que plus tard dans la journée, ma fille accuse le chat du voisin que nous avions l'habitude de nourrir de temps en temps.

Nouveau sentiment du travail bien fait. Le meurtre parfait !

- Vilain chat ! Rajoutais-je. Qui veut faire une partie de UNO avec moi ?

Jour 5

C'est aujourd'hui. J'ai commencé à écrire ce journal tôt le matin, dans mon lit. Je me sens de mieux en mieux. Ce confinement est finalement une aubaine. Il me révèle.

Il me tarde déjà de voir quel tee-shirt porte mon beau-père. Je n'ai pas encore décidé comment j’allais lui régler son compte parce que finalement je ne peux pas dire pourquoi mais je le trouve attachant. Je vais y réfléchir.

J'ai déjà hâte. Il me tarde de vous le raconter.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Elcé ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0