II
« Un jour, un meunier du Sud trouva devant sa maison un enfant. Il avait les yeux bleus et le meunier les avaient noirs, il avait les cheveux blonds, le meunier bruns, il avait également les vêtements jaunes, le meunier était ce jour-là vêtu d’une chemise noire. Le petit enfant lui dit :
« Bonjour monsieur, je ne vous ai pas reconnu comme cela.
- Bonjour mon garçon, dit-moi à quoi reconnais-tu un meunier ?
- Bin je verrais un tablier blanc plein de farine, cela me guiderait vers les métiers du pain. Je vous verrais avec un âne et je me dirais qu’il va ou qu’il revient du moulin.
- C’est bien cela, mais comme tu vois il y a des jours où je ne porte ni tablier blanc, ni ne m’occupe de mon âne.
- Pourtant vous êtes meunier !
- Je le suis, oui, et cela me reste même en dehors de mon moulin. Mais que veux-tu, il y a mes moments de repos, mes moments de prières, ou que sais-je encore ?
- Des moments où vous n’êtes pas meunier, en fait.
- Voilà. D’ailleurs, qui as-dit que j’étais meunier ?
- Vous, monsieur.
- Ah… mais qui t’as mis sur la piste de ma maison ?
- Parce qu’on m’a dit que je trouverais le forgeron passant devant la maison du meunier.
- Que… ? »
Le meunier perdait pieds dans la discussion. Et la suite ne l’aida pas.
« Je cherche le forgeron parce qu’il connaît le tisserand du village pour lequel j’ai une commande à passer de la part de la femme du bûcheron. »
Le meunier passa la main sur son front, craignant qu’il chauffe outre mesure. Puis il reprit concentration sur l’enfant devant lui qui était grand sourire. Pour avancer dans la conversation et peut-être arriver à en savoir plus sur l’enfant, le meunier n’avait pas d’autre choix que de rebondir sur ses propos.
« Le forgeron ne travaille pas non plus aujourd’hui, sais-tu à quoi il ressemble en dehors de sa forge ?
- Il n’a pas un tablier noir de salissure et un gros marteau avec son enclume ?
- Houlà non ! Il n’emmène pas son enclume avec lui, sous le bras. Quand même, ce serait fou, non ?
- Si vous le dites.
- Et si jamais le tisserand venait à passer devant chez moi avant le forgeron, tu saurais le reconnaître ?
- Il a un ballot de tissu sous le bras !
- Non ! Enfin... pas toujours.
- Alors comment je peux faire ? »
L’enfant perdit son sourire avec ses dernières paroles, son visage tournait à la tristesse et à l’abandon en même temps qu’une lueur d’espoir se portait vers le meunier devant chez lui. Ce dernier, désemparé, ne sut pas quoi dire quelques secondes. Puis il se reprit.
« La femme du bûcheron, à quoi ressemble-t-elle ?
- Je ne sais pas, je ne l’ai pas vu.
- Comment elle a fait pour te parler et te donner ses ordres ?
- Au travers la porte fermée de la maison du bûcheron.
- Ah, c’est embêtant cela. »
Une petite seconde passa, le temps que l’enfant pose une question qui surprit le meunier :
« Alors le métier que l’on fait n’indique pas qui nous sommes ?
- Non, non, non, bien sûr que non ! Qui t’as mis cette idée dans la tête ?!
- A l’école, monsieur, on m’a dit que plus tard je travaillerais toute ma vie ! »
Et le meunier dû s’asseoir sous la faiblesse passagère de ses jambes.
Drôle de monde. »
On a d’abord campé à l’orée de la forêt. On a fait le trajet Along et la forêt en un après-midi. Il a fallu du temps pour se dire qu’on ne reverra pas ces champs, ces collines et les montagnes au loin avant longtemps. Les voyageurs partant d’Along ont aussi pu dire un dernier aurevoir à leur famille au Carrefour avant de prendre la Route Verte. Je viens de Gilor, je n’ai pas de famille, mes adieux à moi furent courts. On est ensuite passé près du grand Eperon, il va également me manquer. Cette avancé de terre au-dessus du vide et ces falaises de centaines de mètres, c’est quelque chose que la Terre d’E nous envie, j’en suis sûr et moi j’y passe en dessous plusieurs fois par mois.
On a campé à l’orée de la forêt comme je le disais. Les groupes se sont déjà répartit les feux de camps, il y a les grands de ce monde entre eux, les gardes de caravanes, les grands commerçant, et puis les bouseux et le reste des inconnus comme moi autour de quelques feux par-ci par-là faits comme on a pu. Je remercie mon paquetage d’avoir ce qu’il faut. Un type a eu l’idée de faire un tour de présentation des gens autour de lui. Et puis il s’est mis à raconter une petite histoire assez marrante et on a fait la même chose chacun notre tour. Soit c’était un conte que l’on connaissait par cœur, soit on racontait un épisode de sa vie, ou bien alors on inventait une petite histoire comme ça. J’ai vraiment bien accroché à l’histoire de ce premier type, et comme je l’ai mémorisé, je l’ai transcrit dans mon carnet.
De mon côté, je n’ai pas grand-chose à raconter, je connais bien quelques chants mais ce ne sont pas des chants populaires, ils sont compliqués, enfin… tu connais ce qui est en première page. Je me demande si j’aurais l’occasion de raconter d’autres trucs ?
Demain je vais quitter la Terre d’E. Je veux dire par là que la caravane va s’enfoncer dans la Forêt des Elfes, elle n’est pas connue du tout, et s’il y a bien eu quelques explorateurs, des chasseurs, des bûcherons, qui se sont aventurés là-dedans, ils n’ont jamais trouvé une trace de quoique ce soit. La forêt semble infinie, sans repères, donc en fait inexplorables. Les Elfes nous donnent une chance incroyable. Même si j’ignore les causes, les conséquences, les aboutissements de cet accord et de cette caravane, je prends, je crois, petit à petit conscience de ce que je vais faire. Du moins de ce qui va commencer demain.
La nuit va être courte et je me demande si je vais trouver le sommeil. Ecrire aide à calmer ses peurs et ses doutes, c’est ce que disait l’auteur de Gilor, Arwan Madin, que j’avais rencontré il y a un bout de temps déjà. Ce qu’il me faudrait en ce moment ce serait quelque chose qui m’assomme, tout juste.
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