6000 ans, une défaite

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D'aussi longtemps que je me souvienne, j'ai toujours été un ouvrier fidèle à mon souverain, le grand Ramsès II. J'ai vécu cent guerres, encaissé la famine et survécu au choléra et à la diphtérie, et pourtant j'ai toujours travaillé à la perfection, exécutant les moindres souhaits de Pharaon. Construire une route par-ci, un fort par-là, ça me connaissait !

Ce que je ne vous ai pas encore dit, c'est que je n'étais pas un ouvrier comme les autres : pour me récompenser de mes bons et loyaux services, Ramsès m'avait nommé personnellement chef des ouvriers. En réalité, il s'agissait plus d'une malédiction que d'une récompense. Je savais tout ce qui se passait sur nos terres et hors de nos frontières, je connaissais toutes les stratégies de Pharaon, j'envisageais déjà comment tout ceci finirait... mais j'étais muet. Mes paroles, mes conseils, rien n'arrivait jamais aux oreilles de Ramsès II. Il m'avait contraint d'observer l'apogée et le déclin de son propre empire.

Ramsès fut un très bon chef dans la fleur de l'âge : il apprit l'agriculture, l'écriture et la roue à son bon peuple. De plus, en construisant des villes toujours plus raffinées, il élargit nos frontières, grignotant peu à peu les terres de nos voisins. Nous, les Egyptiens, nous sentions forts et puissants. On voulait dominer le monde et que les générations futures se souviennent de nous comme de grands conquérants.

L'âge d'or de l'Empire se termina trop vite, hélas ! D'abord frappèrent les religions. Nos croyances ancestrales, ensoleillées par Ré et protégées par Isis, cessèrent de plaire au grand Ramsès. Selon la mode de l'époque, Pharaon adopta le confucianisme, le shintoïsme, le bouddhisme et enfin le christianisme... Belle erreur ! Cela déclencha la légendraire colère de Ragnar, et nous mis à dos Ashoka et Alexandre le Grand lui-même !

Et puis arrivèrent les barbares. Bien que, selon mes ordres, les maçons aient élevé de hautea murailles tout autour de Thèbes, ces canailles passèrent outre et dévastèrent nos terres ! À chaque fois qu'une ferme ou un moulin tombait, qui devait le reconstruire ? Nous, pardi ! Au moins, on ne peut pas dire qu'à cette époque il y avait des problèmes d'embauche dans le bâtiment !

Quelques temps plus tard, il vint à Pharaon l'idée de déclarer la guerre à l'Empire du Milieu. L'ennui, c'est que ce dernier possédait une puissance considérable. Ce fut une immense boucherie : des dizaines et des dizaines de soldats tués, des frégates et des galions réduits en cendres, des centaines de civils innocents égorgés... Au bout de trente longues années de désolation, les chefs se rendirent à l'évidence : aucune nation n'aurait jamais l'avantage sur l'autre. Un traité de paix fut signé. Nous dûmes encore tout reconstruire...

Ramsès II, ne sachant plus où donner de la tête, engagea de grands projets technologiques. Les scientifiques mirent au point la machine à vapeur, la photographie, le vélo et bientôt le deltaplane ! Si seulement il n'y avait eu que ça... La plupart de ces innovations ne servirent qu'à faire la guerre : destroyer, missiles à frappe aérienne, drones et autres bombes H... Soi-disant pour faire de l'Egypte la première nation voyageant dans l'espace ? Mon œil !

Finalement, notre bien-aimé dirigeant déclencha un conflit qui, année après année, devint une véritable guerre mondiale. L'ONU, récemment créée, décida d'interdire toutes relations diplomatiques et économiques entre l'Egypte et le reste du monde. Le trésor royal diminuant, les prix grimpèrent en flèche et ce fut une immense inflation. Dans le Nord de l'Empire, une livre de blé coûtait mille talents, tandis que dans le sud on évaluait à quatre-vingts pièces d'or la liasse de papyrus !

L'Egypte, notre nation millénaire, se mourait à petit feu. Nous avons protesté – j'ai personnellement mené de grandes manifestations en plein centre de Thèbes – nous avons hurlé, mais Ramsès faisait la sourde oreille. Membre du peuple avant tout, moi, le chef des ouvriers, je ne supportais pas que mes confrères crevaient de faim. Je n'eus d'autre choix que de déclencher une révolution.

Nous cessâmes de payer l'impôt, nous détruisîmes petit à petit tout ce que nous avions construit, et nous engageâmes des espions qui donnèrent les codes secrets de nos bombes aux pays voisins. Nous pouvions agir sans aucune crainte : l'armée elle-même nous soutenait !

Ainsi, les Américains ou les Chinois balancèrent une ogive au cœur de Thèbes et il en fut fini de Ramsès II, l'immortel inutile.


  CIVILIZATION V


Défaite !


  • juste... un... dernier... tour...

  • abandonner la partie.






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