Les prisons meurtrières de la justice française
Ça y est, cette fois, Jules est en prison. Quand le juge a énoncé le verdict, il n’a pas vraiment réagi. Il a réalisé tout à fait tout ce que ça signifiait quand il a entendu le bruit de clé tourner dans la serrure de sa cellule. Il s’est retourné. Trois autres hommes étaient déjà entassés dans le petit espace clos. Trois carrures imposantes, bientôt devant lui. Le premier, chauve, lui demande ce qu’il a fait pour les rejoindre. Cambriolages, avec effraction et récidive. Le balafré, à côté, éclate de rire. Pourtant, c’est le troisième homme, plutôt petit, l’air inoffensif, qui lui balance le premier son poing dans la figure. Les deux autres l’imitent tout de suite après. Jules appelle à l’aide.
Personne ne vient.
Trois mois plus tard, Jules a appris à se battre. Du moins, il se défend. Celui qui l’a bousculé à la cantine a reçu sa fourchette dans l’œil. Les autres détenus l’ont laissé faire. Il s’est assis, seul à sa table, puis s’est forcé à ingurgiter la mixture dégueulasse qui flottait dans sa gamelle.
Maintenant, il réfléchit au moyen de se procurer un briquet, tout à l’heure, il a volé des cigarettes à un prisonnier.
Un peu plus tard, une bénévole passe dans le couloir. Elle fait partie d’une association qui veut pousser les détenus à écrire ou à jouer des pièces de théâtre. Elle ignore les insultes et menaces obscènes qui déferlent sur son passage. Les détenus pouvant participer à ce programme ont été choisis avec soin. Il faut qu’elle puisse offrir un bon rapport. Elle doit se sentir importante.
Jules n’en fait pas partie.
Hier soir, Slimane, son codétenu, le chauve, a été placé dans une autre cellule. Individuelle, encore plus petite. Il faisait trop de bruit la nuit quand il essayait d’étrangler les trois autres prisonniers, pris de crises de démence.
Il est bientôt remplacé par un petit nouveau. Jules le jauge. Il paraît avoir à peine vingt ans. Il ne lui demande pas son prénom. Qu’est-ce que t’as fait ? Attouchements sur un mineur de treize ans. Dix secondes plus tard, il est à terre et crache du sang, son visage dégouline des mollards de ses bourreaux. Un violeur et un pédé, ils crient ! Tu vas souffrir, crevure.
La première nuit, le nouvel-arrivé a poussé un cri strident quand un énorme rat lui a mordu la jambe. Il ne recommencera plus. Jules a attrapé le rongeur et l’a frappé contre la mauviette jusqu’à ce que le petit corps gris explose.
Puis il s’est recouché. Presque paisible. Il n’arrive même plus à cauchemarder depuis quelques jours, à cause des poux qui rongent son crâne, sous ses cheveux sales.
Aujourd’hui, c’est vendredi. Chaque semaine, sa mère lui rend visite. Pas cette fois. La dernière fois qu’elle est venue, il a vu l’éclat de terreur et de dégoût dans ses yeux. Elle voit sa déchéance. Maintenant, il lui fait peur. Comme les autres, qui ont cédé il y a plusieurs mois déjà, elle ne voit plus qu’un monstre, derrière la vitre. Le silence de Jules ne fait qu’aggraver son malaise. Il ne parle plus depuis le jour où il avait osé se plaindre à sa sœur, quand elle venait encore. C’était dans les premiers mois. Elle l’avait regardé, presque méprisante. Ecoute, tu es nourri, logé, blanchi, tu as un toit… Tu t’attendais à quoi en cambriolant ces baraques ? C’est normal que tu sois là.
C’est normal ?
Au bout de cinq ans, Jules est libéré. Il sort ! Il doit réhabituer ses yeux au monde en dehors des hauts murs barbelés. La lumière du soleil réchauffe sa peau.
Il va directement chez ses parents. Il n’a plus de travail, plus d’amis, plus d’amante, plus de repères, alors que peut-il faire d’autre ? Sa mère pleure quand elle le voit. Il ne sait pas si c’est de peur ou de soulagement.
Au bout de trois semaines, son père le jette dehors. Tu as changé, tu es violent ! Tu terrorises ta pauvre mère !
Deux ans passent, ou peut-être trois, Jules n’a plus vraiment la notion du temps. Il s’en fout. Il erre, cherche juste à rassasier son addiction rampante : tabac, alcool, drogue.
Jusqu’au jour où son dealer refuse de lui vendre quoi que ce soit. Le junkie a accumulé trop de dettes. Même, on le menace, il a trois jours pour payer. Alors, sa vue se brouille, il a besoin d’un joint, tout de suite ! Et l’autre, pauvre abruti, qui le fixe, un rictus scotché sur les lèvres. Il ne réfléchit plus. Le coup de poing part. C’est une averse qui s’enclenche. Il s’arrête quand l’autre ne bouge plus, par terre. Son visage est méconnaissable. Jules regarde ses mains, pleines de sang, ses phalanges éclatées. Le corps, au sol. Il hurle, tombe à genoux.
Ça y est, cette fois, Jules est vraiment foutu. Retour en prison. Il a changé de secteur. Là, on ne lui a pas demandé ce qu’il fichait là. Il ne vaut mieux pas savoir. La plupart ont été condamnés pour homicide, torture, viols… Derrière le petit écran poussiéreux, dans un coin, au plafond, une blondasse récite ses fiches, tout sourire : elle parle des progrès que connaissent les programmes de réinsertion des prisonniers.
Jules reste de marbre. Il garde son énergie pour survivre. Survivre aux autres détenus. Survivre à lui-même. Mais y arrivera-t-il encore pendant les vingt prochaines années, cloîtré, comme le monstre qu’il est convaincu d’être devenu ?
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