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« On a tous besoin d’une autre vie »


Le panneau publicitaire, avec ce slogan simple sur fond blanc, prenait presque un tiers du building au-dessus du carrefour principal du quartier de New-Paris. Ici, les immeubles se confondaient les uns avec les autres dans un ciel gris et nuageux. Les lumières diffuses qui se multipliaient à travers les parois vitrées donnaient l’illusion d’un millier d’étoiles à portée de main et se transcendaient avec les faisceaux bleus, rouges et or des innombrables enseignes lumineuses. Dans une ville inondée de publicités, les annonceurs rivalisaient d'ingéniosité pour se démarquer, aidés par les dernières innovations technologiques. Marketing sonore, billboards gigantesques et réalité augmentée : rien n’était de trop pour attirer le consommateur et lui donner l’impression que le nouveau produit lui était indispensable.

Le récent secteur de la bio-intelligence artificielle était en pleine révolution et de nouvelles corporations étaient soudain apparues, à la pointe du progrès, comme AnotherLife qui écrasait littéralement ses concurrents tout comme ses détracteurs. Les fonds d’investissement spécialisés se battaient maintenant pour prendre des parts dans ce qu’ils appelaient un “game changer” et les choses allaient excessivement vite.

Sur des écrans géants suspendus entre deux immeubles, des présentateurs vedettes hurlaient de rage en direct, à deux jours du débat entre les candidats à la présidence. Il semblait que la seule manière de se faire entendre de nos jours étaient celles-ci : hurler plus fort que l’autre ou briller jusqu’à aveugler et rendre les concurrents invisibles. Sauf que la surenchère noyait la masse sous une vague multicolore nauséeuse.

Au milieu du boulevard envahi de véhicules clignotants, un Ninebot-1 filait à vive allure entre les masses d’alu et de tôles immobilisés. La silhouette qui chevauchait la roue unique lumineuse portait une combinaison blanche, dont les genoux, coudes et épaules étaient ponctués de lignes de leds bleues et ondoyait avec grâce pour esquiver les différents obstacles. Un sac cubique fixé sur son dos lui donnait une allure étrange, qui n’était pas sans rappeler la forme rectiligne des gratte-ciels environnant. Le casque profilé pour l’aérodynamisme était intégralement clos autour de la tête, rabattant sur le visage une visière noire opaque.

L’engin bifurqua dans une ruelle minuscule. Il cherchait à fuir l’attroupement de piétons mêlé au loin à la cohue des véhicules qui évoluaient sur deux niveaux distincts, terrestre et aérien, sans toutefois que cela ne semble alléger la circulation. Il fonça au milieu des détritus puis déboucha sur une autre artère moins dense et se stoppa devant un petit édifice à l’allure dépassée. La silhouette sauta d’un mouvement leste et se saisit dans la foulée de la roue unique qui s’éteignit automatiquement. Elle grimpa quelques marches de pierres noircies et passa son poignet devant un digicode. Une lueur balaya la peau agrémentée d’un code barre et un son grave retentit.


« Connerie de matos d’avant-guerre… » ragea la voix sous le casque, déformée par la couche épaisse de thermoplastiques et de kevlar.

La visière se releva et un crachat atterrit sur le poignet avant de se frotter sans ménagement contre sa cuisse.

La nouvelle tentative déclencha une lumière verte et un son plus aigu. La porte glissa vers le haut dans un chuintement discret.

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