La forteresse des Lumières
Les vagues se jetaient contre les pierre grossièrement entassées de la digue. Un soleil cristallin se reflétait sur la mer calme qui agitait par moment les chaloupes du port. Les murs érigés par les Savants des centaines d’années plus tôt continuait de protéger les embarcations des tempêtes. Ils formaient un arc de cercle percé en son centre, avec juste de quoi laisser passer les grosses galères des marchands qui venaient des Terres du Sud. Remorquées jusqu’au port, ils déchargeaient leur marchandises, des étoffes de soie d’une qualité médiocre, des esclaves capturés ci-et-là pendant leur traversée. Malgré l’imposante stature du port de Rourque, c’était bien là tout ce qu’il leur restait, car les Savants étaient partis. Il ne restait que les murs des hautes bâtisses qui culminaient au-dessus de l’île, et le port. Les portes de la forteresse, fermées, n’avaient jamais pu être ouvertes, ni même égratignées, aussi les villageois vivaient de ce qu’ils avaient. Pas que cela les rendent malheureux, ils jouissaient d’une vie calme, les quelques chèvres et moutons de l’île donnaient de quoi s’habiller l’hiver, et tout était bien.
Comme tous les jours, le port était bourdonnant, toute la jeunesse en âge de travailler y était et ramait à bord de leurs chaloupes, évidait le poisson, ou rapiéçait les voiles. La besogne était dure, et les récompenses manquaient parfois à l’appel, mais aucun d’eux n’eurent jamais à se plaindre de la soif ou de la faim. Rebâtir sans cesse après les tempêtes était harassant, et voir ces haut murs tenir face au temps faisait rêver les villageois. Athan louvoyait vers la berge et évitait avec adresse les bas-fonds qui avait emporté plus d’un bateau. Il abaissa la petite voile, et rama jusqu’au sable, ou la chaloupe vint s’affaisser. Il tira davantage sur la proue de son embarcation, et au prix d’un râle, il la laissa retomber sur la plage. Les courants traîtres et les rochers qui affleuraient l’eau dissuadait la plupart des marins, mais Athan aimait à venir ici. Pas pour le sable qui y était grossier, ni pour les bancs de boissons qui sinuaient non loin du rivage, mais pour une fissure. Fine, si fine qu’il devait accepter de s’érafler le visage chaque fois qu’il s’y engouffrait. Le ventre rentré, la tête de profil, il s’y glissa, se contorsionnant du mieux qu’il put pour avancer. Le corps serré, il pouvait à peine respirer, il devait user de tout son corps pour forcer son passage à travers l’étroite roche. Il s’extirpa enfin pour se retrouver dans une grande cavité. Il tira sur son pied qui était resté coincé dans la fissure et perdit l’équilibre quelques instants. La mer s’engouffrait depuis les sous-sols et se déversait jusqu’ici. Un pont de pierre reliait la caverne à l’autre côté de l’eau. C’était la pierre des murs, la pierre des Savants, les bâtisseurs des légendes. Athan continua sa marche tranquille en essayant de ne pas penser à la brûlure des roches qui avait gratté la peau de son visage. Il entama l’ascension, de l’interminable colimaçon. Quatre fois, il dut s’arrêter et reprendre son souffle tant les marches donnait cette illusion d’être interminables. Il vit enfin la porte de bois, il la fit pivoter pour dévoiler l’intra-muros de la forteresse. Les pavés immaculés lui firent fermer les yeux l’espace d’un instant. Il n’était jamais allé plus loin, l’endroit dégageait une autorité tacite et tenace. Les hauts murs de la citadelle ne souffrait d’aucun mal, aucun qui ne puisse exister en ce monde, et Athan sentait le poids des années, de la sueur, du sang et des vies qui avaient été données pour bâtir. Les pierres brûlaient ses pieds sans qu’il ne s’en soucis, bien trop absorbé par ce qu’il y avait à voir. La grande porte s’ouvrait sur un escalier démesuré, ou deux galères auraient pu se tenir, et lui se tenait là, seul face à la demeure des Savants. L’immensité pénétra son esprit tandis qu’il restait immobile, aveuglé par la lumière scintillante, éblouissant les yeux du non-initié. La Connaissance déferlait sans qu’il ne puisse la saisir, désespéré à l’idée de perdre le Savoir, il refusa de bouger, restant immobile des heures durant. C’est n’est qu’à la nuit tombée qu’il comprit, si celui qui contemple les abysses se voit observé à son tour, alors celui qui contemple le soleil se voit privé de la lumière à tout jamais.
Annotations
Versions