Je ne sers à rien.

Ils auraient dû me laisser mourir. Seulement je n'ai même pas pensé que cela ternirais la réputation de ma famille, je suis vraiment inutile, un déchet de plus dans la ville

Je n'ai que 8 ans, c'est déjà 8 de trop.

Je suis né dans la famille la plus puissante du royaume, plus riche que le roi lui même, elle rayonne et étend ses racines partout. Et moi je suis incapable de ne serait-ce que mettre fin à mes jours.

Quel sens y a-t-il à garder quelqu'un d'inutile en vie ? Ce n'est qu'un gâchis de ressources.

Je soupire et lève les yeux vers le ciel noir. On raconte qu'avant les étoiles étaient visibles, que c'étaient les plus belles choses au monde, mais que les lumières des villes les ont remplacé.

Je me suis toujours demandé quoi servent les jolies choses ?

A rien.

C'est pour ça que les étoiles ont disparu.

Je traîne les pieds, évitant les grands axes, navigant entre les poubelles en métal vomissant ce dont les hommes n'avaient plus besoin. Parmi elles, j'étais à ma place.

Mais il me faut un moyen de disparaître sans nuire à personne, si je meurs ici je vais encombrer la rue.

Au fil de mes errances j'atterris devant l'entrée des artistes d'un théâtre.

A quoi peut bien servir le théâtre et la danse ? Je sais que je ne devrai pas entrer mais ma curiosité me pousse en avant. Il y a peu de choses que je ne comprend pas, et c'est cette seule sensation d'incompréhension qui m'a toujours fait vibrer.

Le sol blanc crisse sous mes chaussures sales alors que j'atteins le chaos des coulisses. Observer ne nuira à personne n'est-ce pas ?

Alors j'ouvre grand les yeux et regarde.

Les foules se bousculent, c'est à qui aura la tâche la plus urgente. Au coin de mon regard une troupe de petites filles arrive, en jolies petites robes blanches. Elles sont plus jeunes que moi. Certaines sautillent, d'autres paniquent, alors qu'elles passent devant moi, le regard vert d'une petite rousse plonge en moi, pour en ressortir aussitôt, non sans m'éclabousser.

Mes yeux la suivent jusque sur la scène.

Ses pas sont hésitant mais la mènent peu à peu à sa place. Elle lève les bras et tourne sur elle même, étend ses ailes, laisse quelques plumes dans mon coeur. Avance de quelques sauts, rebondit sur mon âme. Se baisse pour me câliner puis se relève dans un grand saut qui me fait chavirer. Ses sauts me poussent de plus en plus loin à l'intérieurs de moi même, pour finir tout au fond. Je n'y voit rien, c’est complètement vide, mais les lumières l'éclairent quand même. Les acclamations s'éjectent, me renvoient à une réalité où je ne devrais pas être.

La danse se termine.

Je me souviens de chaque pas, chaque respiration, chaque regard. Les expirations des filles s'allongent sous l'effort, quelques gouttes de transpirations coulent le long des tempes, brillant sous les éclairages titanesques.

Elles s'éloignent alors de l'autre coté, me fuient, ma main se lève dans une futile tentative.

Pourquoi je veux à tout prix continuer à les regarder ? A la regarder ?

Pourquoi ?

A quoi cette danse a servi ?

A rien.

Mais peu importe, c'était là, ancré dans le moment. Et rien ne peut le contredire. Les choses n'ont pas besoin d'être utile pour exister.

Je suis inutile.

Mais je suis là. Je me tiens immobile, derrière une caisse en plastique jaune pâle, personne ne me vois et pourtant je suis là. Je ne gène personne et pourtant je suis là. Je n'aide personne et pourtant je suis là.

Je suis inutile, mais peu importe, je suis là.

Et je resterai là.

Je ne serai peut-être jamais utile, mais je vivrai.

Les filles sont hors de portée maintenant. Il vaut mieux que je parte avant de me faire remarquer.

Je ressors en catimini et avance de quelques pas dans une rue déserte. Personne n'est là, sauf moi. Personne ne m'attend, personne ne veut rien de moi, personne ne m'interdit rien. Alors il ne me reste plus qu'à vivre !