L'héritage
de Louloutte
J’avais tout, absolument tout ce dont une femme pouvait rêver : un époux, une maison, des vacances luxueuses, une femme de ménage, une sublime Porsche jaune, une pièce plus grande que la maison de mon adolescence entièrement consacrée aux livres, ainsi que trois enfants : Corentin, l’aîné, Claudia et Jack, le cadet.
Nous étions une famille unie, qui avait réussi grâce à nos efforts. Mon mari, expert-comptable, m’a permis de me lancer dans mon entreprise. Nous avions économisé pendant de longues années et nous étions enfin parvenus, en 2026, à ouvrir mon premier restaurant : l’1D6 (l’indécis). L’idée était la suivante : un endroit où nous pouvions manger sur place ou à emporter des pizzas et des sushis. Cette idée m’est venue lors d’une soirée où j’avais une folle envie de sushis, mais mon mari, étant assez difficile, a refusé d’en manger. Ne voulant pas aller en manger seule, j’ai réfléchi à comment je pouvais régler le problème. Cette chaîne de restauration s’est développée plus rapidement que prévu et a fait la fierté de notre famille. Suite à l’ouverture de plusieurs bâtiments en France, nous avons enfin pu nous reposer sur nos lauriers et nous consacrer entièrement à nos passions. Nous avons voyagé à Tokyo, en Égypte, en Angleterre et dans bien d’autres pays. Mon mari n’a jamais arrêté de travailler, contrairement à moi, ce qui a été plus facile pour lui lorsque nous avons dû affronter le fait que nous avions tout fait, tout sauf fonder une famille. J’avais 25 ans et lui 28, il était vrai que c’était le moment où jamais. Nous savions très bien que si ce n’était pas maintenant, nous trouverions une excuse pour ne pas affronter cette nouvelle étape de la vie d’un couple.
Après notre premier enfant, nous ne voulions pas qu’il soit seul et nous voulions lui faire un petit frère ou une petite sœur. Nous étions loin d’imaginer que nous aurions les deux en une fois.
J’avais tout mon temps pour m’occuper des petits, ainsi que l’aide d’une incroyable nounou qui est devenue ma meilleure amie. Mais ce n’était pas suffisant, il me fallait plus. Je repris mes études tout en continuant à passer du temps avec mes trois petits monstres et je devins réalisatrice à l’âge de 45 ans. Malgré tout, je ressentais en moi un énorme vide. J’ai mis du temps à comprendre ce qui clochait au fond de moi. J’avais une vie de rêve, avec mon nouveau travail j’avais encore une fois apporté du confort supplémentaire dans mon foyer, mais ce rêve n’était pas celui auquel j’aspirais. Bien sûr, j’aimais mon mari et mes enfants plus que tout au monde, mais il me restait un objectif à atteindre qui remonte à mon adolescence : devenir écrivaine.
Lorsque j’étais plus jeune, je ne voulais qu’une seule et unique chose : publier mes romans dans des maisons d’édition et non pas dans ces structures à compte d’auteur qui arnaquent ceux qui sont crédules et qui n’ont pour eux que l’espoir d’un jour réussir.
Je me suis donc consacrée entièrement à ce nouveau projet, n’ayant pour seul soutien que celui de mon époux. Corentin, mon fils aîné, se moquait éperdument de moi, ne comprenant pas pourquoi il devait continuer d’aller au lycée s’il allait finir comme sa mère, c’est-à-dire à faire une « crise de la quarantaine de riche ». Il n’avait pas encore digéré notre refus de le laisser arrêter le lycée pour devenir musicien, mais il pouvait très bien le faire après son bac. Nous ne voulions pas qu’il se retrouve sans rien si nous perdions toute notre fortune. Quant à Jack et Claudia, je crois que je ne les ai jamais vraiment compris et vice versa, mais cela ne nous empêchait pas de nous aimer de manière inconditionnelle.
À la mort de mon mari, je me suis retrouvée seule, face à ce problème non résolu qui me laisserait sur ma faim. La douleur d’avoir perdu un être cher et le fait que le monde entier ne reconnaissait pas mon travail m’ont poussée à prendre la décision finale de ma vie, la plus horrible certes, mais le remède à tous mes maux.
30/08/2066 à 9h30, Strasbourg :
-Tu y crois toi ?
-Bien sûr... Maman n’a pas supporté la mort de papa...
-Et dire que nous n’étions pas là, tous très occupés dans nos affaires.
Un grand homme châtain aux yeux verts s’approcha doucement des jumeaux. Sa veste épousait à merveille ses épaules carrées. Il devait faire dans les 1m80, 90 au maximum. Dans sa démarche, on pouvait ressentir la confiance qui se dégageait de lui.
-Corentin, soupira Claudia, tu ressembles tellement à papa.
Elle laissa échapper une larme qui ruissela tout le long de sa joue.
-Ferme-la, Claudia ! À peine arrivé, tu l’ouvres déjà à propos des parents...
-T’as pas besoin de lui parler comme ça ! C’est difficile pour nous tous !
-Et toi, tu n’as pas besoin de la défendre ! Ça a toujours été comme ça, les jumeaux contre le solo...
-Taisez-vous maintenant, tous les deux... Corentin, tu n’as pas à me parler comme ça, et toi, Jack, je suis assez grande pour me défendre toute seule. Bref, entrons sans plus attendre, je veux que ça se termine au plus vite. J’ai une horrible migraine.
-On s’en fout, Claudia ! Se précipita de rajouter Corentin avant de recevoir un coup de poing de Jack.
La fratrie attendait assise dans un bureau semblable à tous ceux qu’ils avaient connus chez eux. Tous ces livres, ces ornements, ces tableaux n’étaient pour eux qu’acquis. Eux qui n’ont jamais connu la faim, le froid et le véritable malheur, hormis la perte de leurs parents.
Dans le silence de l’instant, Corentin ne put s’empêcher de sortir ses écouteurs et s’empressa de lancer « Jeunesse Talking Blues » de Fauve, l’un de ses groupes préférés, malgré le fait de dater du début des années 2000. Ce groupe l’avait inspiré à devenir lui-même un jour écrivain et n’avait jamais arrêté d’y croire, contrairement à ce qu’il montrait.
-Tu ne peux pas faire ça ! S’énerva Claudia.
-Elle a raison, Corentin... Tes écouteurs sont dépassés depuis au moins une trentaine d’années... Quand arrêteras-tu de faire le bébé et accepteras-tu de te poser un patch comme nous tous ?
-C’est pas la question, Jack ! Il n’a pas à faire ça ici, c’est irrespectueux... De plus, il ne nous entend même pas, tu as peut-être raison, s’il avait l’implant, il pourrait choisir le volume souhaité tout en nous écoutant...
-Vous savez que je vous entends... Affirma Corentin, laissant paraître son agacement. Je n’ai pas besoin d’une puce sous la peau, j’ai mes écouteurs et mon téléphone, c’est largement suffisant.
-Corentin... Dans peu de temps, tu ne pourras passer d’appels qu’avec le patch, tu le sais ? Dit-elle, l’observant fixement, attendant sa réponse.
-Papa et maman ont très bien réussi à survivre sans.
-Nos parents étaient des crétins ne comprenant rien en technologie... Et depuis quand, papa et maman sont des exemples pour toi ?
-La ferme, Jack.
-C’est bien tout ce que tu sais dire, depuis toujours, tu n’as fait que parler, nous laissant très peu nous exprimer, Jack et moi. Si seulement tu t’étais rendu compte à quel point maman tenait à toi et que tu lui ressemblais bien plus que ce que tu t’imagines !
-Mais tu vas te taire à la fin !
Un homme d’âge mûr entra dans la salle :
-Eh bien, on m’a déjà réservé bien des accueils étranges ou grossiers, mais un comme celui-ci, jamais.
-Excusez-le, s’empressa Claudia. Nous avons perdu il y a peu notre père et très récemment notre mère. Il est quelque peu chamboulé par les événements...
-Très bien, poursuivons dans ce cas. Avec les biens, les actions dans l’immobilier, la chaîne de restauration et j’en passe, vos parents ont réussi à accumuler 100 millions qui vous seront partagés en trois parts égales, au centime près... Bien sûr, la part revenant aux impôts a déjà été retirée.
Corentin se leva brusquement et laissa échapper un cri de victoire.
-Mais t’es malade, Coco ? S’offusqua Claudia.
Il se ressaisit et fixa Claudia d’un regard froid et provocateur.
-Ne m’appelle plus jamais comme ça.
-Pourquoi ? Parce que c’est comme ça que maman t’appelait ?
Corentin se tenait debout, face à Claudia, lui tenant tête. Jack s’interposa, sentant que cela pouvait très rapidement déraper.
-Doucement, vous deux ! Signons pour que nous puissions chacun rentrer chez soi...
-Excellente idée, poursuivons. Mme Laura Paris, votre mère, n’avait mis qu’une seule condition à votre héritage.
-Elle n’a pas osé, s’offusqua Corentin, cachant son visage, ne laissant apparaître de lui qu’un enfant pourri gâté, laissant exprimer sa frustration qui lui semblait insupportable.
-Arrête de faire l’enfant ! Et continuons, j’aimerais rentrer, passer du temps avec ma famille, pas comme certain...
Pendant quelques secondes, le silence régna et le notaire attendait le bon moment pour reprendre, espérant cette fois-ci ne pas être interrompu une nouvelle fois.
-Bien, j’expliquais que votre mère avait mis une condition à votre héritage.
Il sortit trois imposantes pochettes du tiroir de son bureau et les posa sur ce dernier.
-Voici les manuscrits de votre mère. Ils sont...
-Qu’est-ce qu’elle veut qu’on fasse avec ça...
-Mais bon sang, Corentin ! Tais-toi ! crièrent à l’unisson Jack et Claudia.
-Finissons-en une bonne fois pour toutes, s’exaspéra le notaire, posant sa main droite sur son front. Mme Paris souhaitait plus que tout publier ses manuscrits, elle a donc décidé de faire appel à ses enfants.
-Et comment va-t-elle nous y obliger ?
-Très bonne question, eh bien, justement, si vous n’arrivez pas à publier l’un des romans ou recueils de nouvelles qui vous sera attribué sous un délai de cinq ans, vous ne recevrez pas l’héritage et votre part sera restituée à ceux ou celui qui aura accompli la demande de votre mère.
-Que se passe-t-il si aucun de nous n’est parvenu à accomplir cette tâche ? S’enquit Jack.
-L’entièreté des biens, entreprise et actions seront vendus afin que la somme totale revienne au SGDL, la Société des Gens de Lettres, une association qui soutient les écrivains dans tous les aspects de leur travail.
-Mais elle se fout de notre gueule !
-Monsieur ! Maintenant, c’est à moi d’intervenir, si vous ne parvenez pas à vous contrôler, je serai obligé de vous demander de sortir ! S’écria le notaire. N’oubliez pas qu’il s’agit de votre mère, un être qui vous a mis au monde et qui s’est occupé de vous trois !
Il ne répondit pas, mais avait compris le message et s’assit, espérant que cette situation se termine rapidement.
-Y a-t-il des consignes ? Demanda Jack.
-Oui, effectivement, mais elles sont inscrites sur une feuille se trouvant dans chacune des pochettes. Pour parvenir à déterminer qui aura quel manuscrit, votre mère m’a demandé de moi-même vous départager, afin qu’il n’y ait pas de « préférence ». Vous avez trois bouts de papier repliés sur eux-mêmes, veuillez chacun en choisir un et découvrir quel roman ou recueil avez-vous hérité.
Corentin était le premier à piocher, par son impatience.
-J’ai le numéro 2.
-Et moi, le numéro 1, fit Claudia.
-Je sais maintenant que j’ai le 3, dit Jack sans prendre le dernier bout, sachant qu’il ne restait plus qu’une seule possibilité.
-Très bien, annonça le notaire, puis distribua chacun des manuscrits à son nouveau propriétaire. Vous pouvez les ouvrir afin de découvrir ce dont vous avez été chargé ainsi que les règles à suivre, ou attendre d’être chez vous. Dans tous les cas, je vous laisse discuter entre vous. Je reviendrai dans quelque instant.
-Merci beaucoup, Monsieur, rajouta Claudia.
L’homme sortit de la pièce, laissant les trois enfants seuls, face à cette situation peu commune.
-Eh bien, dit donc, tu as reçu un sacré paquet, Claudia ! S’exclama Jack.
-Effectivement, mais je pense savoir ce que cela doit être.
Elle ouvrit et se rendit compte qu’elle n’avait pas qu’un manuscrit, mais bel et bien deux : « Alice et la boutique des merveilles » et « Alice de l’autre côté de la boutique ».
-Et dire que maman a écrit tout cela lorsqu’elle n’avait que 18 ans.
-C’est faux, interrompit Jack, elle l’a commencé bien avant ses 18 ans.
-Tu as compris, reprit Claudia. On dirait bien que j’aurais bien plus de travail que vous...
Jack ouvrit le sien et découvrit « La fille aux doux rêves », un roman que sa mère avait écrit durant une bonne partie de son lycée, plus particulièrement lorsqu’elle était en seconde, et qu’elle avait peaufiné le reste de sa vie.
-Je n’en ai jamais entendu parler de celui-ci...
-C’est parce que maman n’a jamais réussi à lui donner la forme qu’elle lui souhaitait.
-Tu le savais, toi ? Dit Jack, surpris d’en apprendre encore sur sa défunte mère.
-Je ne suis pas une mordue de lecture ni d’écriture, mais ça ne m’empêchait pas d’écouter maman lorsqu’elle me parlait.
Jack eut soudain le regard rempli de regret. Il le savait, qu’il n’avait pas profité autant que ce qu’il aurait souhaité avec sa mère et qu’il était bien trop tard pour rattraper cela.
-Et toi, Corentin, tu as reçu quoi ? Interrogea Claudia, curieuse.
-Je ne l’ai pas encore ouvert...
-Qu’est-ce que tu attends ? Lança Jack.
-Je n’en ai pas envie.
Corentin semblait vide à l’intérieur, il était absent, ne parvenant pas à revenir à la réalité. Ce fut le notaire qui le fit pour lui, en claquant la porte du cabinet lorsqu’il fit son retour.
-Eh bien, avez-vous pu discuter comme il se doit ?
-Oui, merci beaucoup, confirma Claudia.
-Dans ce cas, je vous demande une dernière chose avant de vous en aller.
-Quoi encore... Se plaignit Corentin.
-Tu es à nouveau réveillé, plaisanta Jack, ce qu’il regretta à la seconde qui suivit lorsqu’il vit le regard noir que lui lança Corentin.
-Il me manque simplement une signature de chacun de vous et vous pourrez partir.
Chacun signa, seule Claudia remercia le notaire, puis tous trois sortirent, encore sous le choc des dernières révélations. Ils se retrouvèrent une nouvelle fois devant le cabinet, se fixèrent et, sans un mot, s’éparpillèrent tous vers une autre direction.
Claudia s’installa, profitant de la sieste des enfants. Jack demanda à son épouse de bien vouloir rester auprès de lui et Corentin était seul, pouvant se consacrer à ce qu’il souhaitait, mais la fratrie, sans même le savoir, regardèrent de plus près les consignes au même instant.
-Ce manuscrit, tu as le droit de le modifier, de l’améliorer, de le faire corriger par un professionnel. Ce que tu veux, mais que la base, la structure, que l’histoire reste la même. Lisait Claudia à haute voix.
-Il doit être publié en maison d’édition à compte d’éditeur et non l’inverse. Si l’un de mes manuscrits est publié à compte d’auteur, celui qui n’a pas respecté ce choix verra sa part revenir aux deux autres. Cette fois-ci, Jack lisait à son épouse.
Voici les deux règles qui concernaient les romans, mais il semblait que Corentin avait écopé d’une consigne en plus.
-Et pour finir, tu devras trouver un titre à ce recueil de nouvelles. Je n’y suis jamais parvenu, je compte sur toi.
Votre mère vous aime tous très fort.
Laura le savait sans doute, mais cette dernière ligne fit fondre en larmes ses trois enfants, y compris Corentin, qui était bien plus sensible concernant le suicide de sa mère qu’il ne voulait le laisser paraître.
Un an plus tard :
Claudia :
Je me suis battue afin de réaliser le rêve de ma mère, travailler sur ce projet et être confrontée en permanence au deuil n’était pas de tout repos. Mais il était de mon devoir de réaliser son souhait. J’ai travaillé sans relâche, fait plusieurs relectures des deux manuscrits et même fait corriger par un professionnel. J’y suis arrivée ! Je venais tout juste de recevoir une lettre qui annonçait qu’une maison d’édition avait enfin accepté les romans de ma mère ! Après plusieurs faux espoirs, c’était la nouvelle qu’il me fallait. Malgré le fait que mère n’était plus là, je savais qu’elle était fière de moi et c’était tout ce qui comptait.
Je ne pouvais m’empêcher de garder la nouvelle pour moi et m’empressai de téléphoner à mon frère.
-Salut, Jack, comment vas-tu ?
-Salut, sœurette, bien et toi ?
-Ça va aussi, merci. Devine quoi.
-Ton mari a enfin appris à cuisiner des pâtes ?
-Si seulement... Mais non, encore mieux.
-Alors là, je ne vois pas, je donne ma langue au chat.
-J’ai enfin réussi !
-Non ! Tu ne parles pas de ce que je pense, si ?
-Et bien si, je suis la première à avoir publié le roman de maman ! Tu te rends compte ?
-Oui, Claudia ! Elle serait sans doute très fière de toi, dit-il d’une voix mélancolique.
-Toi aussi, tu vas y arriver, je n’en doute pas.
-Je n’en sais rien à vrai dire... Je ne parviens pas à le corriger à la manière dont mère l’aurait fait.
-Je peux t’aider si tu le souhaites, on pourrait le faire ensemble. Qu’en penses-tu ?
-Et Corentin ? Tu sais où il en est ?
-Tu sais très bien, Jack... La dernière fois que je lui ai parlé, c’était chez le notaire.
-Je ne comprendrai jamais comment ça se fait que le temps défile aussi vite...
-Je comprends ce que tu vis. Il me manque à moi aussi, mais tu sais très bien qu’on ne peut pas lui forcer la main.
-Je sais bien, mais... Ça ne reste pas moins notre frère.
-Écoute, moi, je vais aller réclamer ma part. Si tu le souhaites, tu peux me rejoindre là-bas et nous verrons ce qu’on peut faire pour « La fille aux doux rêves » et pour Coco.
-Tu sais bien qu’il n’aime pas qu’on l’appelle comme ça.
-Oui, mais il n’est pas là. Bon, tu es partant ?
-Oui ! S’exclama-t-il.
Quelques heures plus tard, Claudia et Jack se retrouvèrent au même endroit qu’il y a plus d’un an et s’installèrent dans son bureau.
-Eh bien, le bonjour les Paris, que me vaut cette visite ?
-Je suis parvenue à publier les romans qui m’ont été attribués, dit-elle aussi fièrement qu’elle le pouvait.
-Bonne nouvelle ! Et que puis-je faire pour vous ?
-Je voulais réclamer ma part, lui annonça Claudia, septique.
Jack fixait le notaire, ne comprenant pas ce qu’il se passait.
-Il y a deux fins possibles : premier cas, vous réussissez tous les trois la tâche que votre mère vous a donnée et l’héritage vous sera donné en trois parts égales dès que les quatre manuscrits seront publiés. Deuxième situation, l’un ou deux d’entre vous trois ne parviennent pas et, dans ce cas, la totalité vous reviendra dans quatre ans. Mais dans tous les cas, les revenus apportés par les manuscrits publiés reviendront à celui à qui ils ont été attribués.
-Mais je me suis entièrement consacrée à ces manuscrits, j’ai démissionné d’un merveilleux poste de manageuse en pensant pouvoir reprendre l’entreprise familiale... J’ai perdu énormément d’argent ! J’en ai besoin de cet héritage, j’ai une famille à nourrir !
-Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il vaudrait mieux aider vos frères. Que tout se déroule le plus rapidement possible. Sur ce, je vous dis à bientôt, en tout cas, je l’espère pour vous.
Ils sortirent du cabinet et Claudia explosa en pleurs dans les bras de son frère.
-Comment je vais faire, Jack ?
-Tu as de l’argent de côté, non ? Et ton mari gagne bien sa vie.
-Je sais bien, mais on a un prêt pour notre maison et je comptais vraiment sur cet argent pour le rembourser.
-On va se dépêcher un maximum. Je vais contacter Corentin. En attendant, je t’invite à boire un café, tu en as grandement besoin.
-Merci, Jack, j’ai tellement de chance de t’avoir.
-Et moi donc.
Une fois arrivés au café, Jack commanda un double expresso et Claudia un chocolat chaud supplément guimauve et chantilly, de quoi lui remonter le moral. En attendant leur commande, Jack s’éloigna de la terrasse et passa un coup de fil à son grand frère. Mais aucune réponse.
-Je ne sais pas comment on va pouvoir réussir si Corentin ne nous aide pas un minimum, Claudia...
-Je ne sais pas non plus, mais en attendant, avançons sur ton projet. Nous ne devons plus perdre un seul instant.
-Tu as bien raison. Nous n’aurions qu’à lui rendre visite plus tard.
Des mois et des mois s’écoulèrent, sans que Claudia et Jack n’entrent en contact avec Corentin. Mais le dur labeur finit par porter ses fruits et « La fille aux doux rêves » se vit accorder sa chance et, après toutes ces années à rester sur l’ordinateur d’une jeune lycéenne, devint l’un des romans les plus appréciés chez les jeunes adultes et se vit attribuer le prix Goncourt.
-Claudia ! Nous y sommes enfin parvenus ! Je n’arrive pas à y croire.
-Maman avait une plus grande imagination que je ne l’imaginais.
-C’est bien vrai. Claudia, merci de m’avoir aidé.
-Il le fallait bien et puis nous sommes une famille.
-Nous devrions voir Corentin.
-Je sais bien, mais je ne pense pas qu’il ait envie de nous voir.
-Comme tu l’as dit, nous sommes une famille et je ne me suis pas retrouvé aussi proche de toi depuis notre enfance. C’est peut-être une bonne chose au final que maman n’ait pas réussi à publier ses manuscrits. Imagine ce que cela pourrait donner avec Corentin s’il se laissait légèrement faire.
-Et puis merde ! Tu as raison ! On va y aller, qu’il le veuille ou non !
-Quoi ? Là, maintenant ?
-Oui, maintenant ! Hurla Claudia, laissant pour la première fois de sa vie s’échapper une impulsion.
-Mais tu sais combien de temps de route on a ?
-Oui, et je m’en fous !
-J’espère qu’il n’a pas déménagé depuis...
-Corentin ne déménagera jamais et tu le sais très bien pourquoi.
En effet, lorsque chaque enfant était parti pour ses études, leurs parents leur avaient offert à chacun un appartement et celui de Corentin était bien plus qu’un logement pour lui, c’était le dernier lien qu’il avait avec sa mère, la toute dernière chose qu’ils avaient faite ensemble. Et Claudia, tout comme Jack, savaient que Corentin ne s’en débarrasserait pour rien au monde.
-Alors allons-y ! Mais tu ne devrais pas passer voir ton mari et tes enfants avant ?
-Mon mariage est brisé depuis tant d’années et concernant mes fils, je les verrai plus tard. Ils sont de toute façon trop cool pour leur mère.
La route était longue et épuisante, plus particulièrement pour Jack. Claudia s’était simplement endormie du côté passager, laissant son frère seul avec ses pensées. Soudain, la voiture s’arrêta, ce qui réveilla brusquement Claudia.
-Viens, nous sommes arrivés.
-Mais il est tard.
-Eh bien oui, mais nous avons fait trop de kilomètres pour nous dégonfler !
-Tu as raison.
Ils se retrouvèrent devant sa porte, ne sachant pas quoi faire, sonner, toquer, tourner les talons... Jack, voyant Claudia inactive, agit pour elle et frappa. Ils attendirent quelques secondes, mais pas un bruit.
-Je crois bien qu’il est absent.
-Si tu crois que j’ai roulé toutes ces heures pour rien, tu te trompes, dit-il tout en posant sa main sur la poignée et l’enfonça. Claudia, c’est ouvert.
-Tu veux rentrer ?
-C’est notre frère, après tout.
Ils entrèrent, observant l’appartement de Corentin en désordre.
-Jack ! Tu crois qu’il s’est fait cambrioler ?
-Je n’en sais rien. Reste ici, je vais voir s’il va bien.
Claudia attendait le retour de Jack dans le couloir, un sentiment d’inquiétude et de peur parcourant son corps. Soudain, elle entendit des bruits de pas derrière elle et se retourna brusquement. Corentin se tenait là, le visage fermé et les bras croisés.
-Corentin, c’est toi ? Dit-elle en reculant d’un pas, surprise.
-Qu’est-ce que tu fais ici ? Dit-il froidement.
-Nous sommes venus te voir, répondit Claudia en essayant de garder son calme. Nous voulions t’aider avec le recueil de nouvelles.
-En quoi ça vous concerne, vous avez eu votre part d’héritage. Et puis, je m’en fiche, répondit-il en haussant les épaules. Je n’ai jamais voulu faire partie de cette famille de toute façon.
-Corentin, tu ne le penses pas, dit Jack en sortant du couloir et en posant sa main sur son épaule. Nous sommes une famille et nous avons besoin les uns des autres. Maman aurait voulu que nous travaillions ensemble pour réaliser son rêve.
-Je n’arrive pas à y croire, dit-il en secouant la tête. Vous vous en fichez de maman et de ses rêves. Tout ce que vous voulez, c’est l’argent.
-Ce n’est pas vrai, Coco, dit Claudia en essuyant une larme. Nous avons travaillé dur pour publier les manuscrits de maman !
-Moi aussi, j’ai travaillé dur et ce, pendant des mois ! Je ne sortais plus de chez moi, je ne mangeais plus, ne dormais plus et tout cela pour finir une bonne fois pour toutes ce putain de bouquin !
-Tu l’as terminé ? Vraiment ? Demanda Jack, l’air surpris, comme si cela était bien trop facile.
-Oui ! Et ce, depuis des mois !
-Qu’est-ce que tu attends pour le publier ? Interrogea Claudia.
-Nous n’avons pas tous la même chance ! Tandis que vous aviez eu les manuscrits les plus simples, maman m’a laissé toutes ses histoires inachevées avec pour chacune des instructions afin de les corriger. Je n’ai même pas encore réussi à trouver un titre. Je me creuse la tête depuis des semaines, mais impossible de mettre les mots justes qui représenteraient au mieux son œuvre !
Claudia était soulagée d’entendre que Corentin avait terminé le recueil de nouvelles, mais elle était aussi triste de savoir qu’il avait tant souffert pour le faire. Elle s’approcha de lui et lui prit la main.
-Corentin, dit-elle doucement, nous sommes désolés que tu n’aies pas réussi à réaliser ton rêve. Nous aurions dû être là pour toi. Il n’est pas trop tard pour travailler ensemble pour que tu puisses enfin être le musicien que tu as toujours voulu être, mais avant, nous devrions publier ce recueil en l’honneur de maman. Tu sais que si tu nous avais répondu, nous t’aurions aidé. Coco, je t’aime, tu es le grand frère que toutes les petites sœurs puissent espérer avoir et j’ai eu cette chance. Nous aurions dû faire un effort pour comprendre ce que tu ressentais, mais nous étions jeunes et je ne me rendais pas compte du mal que tu as enduré.
-Corentin, reprit Jack, toi et maman aviez bien plus en commun que ce que tu imagines. Vous êtes tous les deux beaucoup trop ambitieux dans ce monde et c’est ce qui a mené mère à sa perte. Je refuse qu’il t’arrive la même chose.
Claudia parut pensive, puis annonça :
-Si je me souviens bien, ce recueil est composé des histoires que maman nous racontait avant de dormir, n’est-ce pas ?
-Oui, Claudia... Soupira Corentin, ne comprenant pas ce que cela pouvait bien avoir à voir avec toute cette histoire.
-Et que penses-tu de « L’héritage de mes écrits », car au fond, le véritable héritage que maman nous a laissé, ce sont ces manuscrits. Si nous n’avions pas réussi, ça aurait été la seule chose qui nous resterait d’elle.
Les trois enfants se regardèrent, comprenant que c’était le nom idéal pour cette œuvre. Il ne restait plus qu’à l’envoyer. Ils attendirent des mois et des mois, perdirent même l’espoir que ce recueil soit retenu par une maison d’édition, mais ils avaient gagné une véritable relation de frère et sœur. Un soir, lorsque Corentin s’y attendait le moins, il reçut un mail lui confirmant la réussite de son travail acharné.
Lorsque cet ouvrage fut bel et bien publié, la fratrie se rendit chez le notaire, en espérant bien que ce serait la dernière fois.
Ils s’assirent aux mêmes places, tout comme la première fois, donnant l’impression que les dernières années n’avaient été qu’une illusion. Ils attendirent l’arrivée du notaire, lorsqu’ils entendirent le claquement contre le sol de talons, ne comprenant pas qui cela pouvait bien être. Ils s’observèrent, essayant de savoir si l’un d’eux savait ce qu’il se passait. Puis une voix familière retentit dans leurs oreilles.
-Vous m’avez manqué, mes amours.
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