Chapitre 3 ( version 2)

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Il frappa doucement à la porte et attendit que l’on l’invite à entrer. Un léger son traversa la porte en verre dépoli.

- Entrez !

Nathanaël relâcha sa respiration et pénétra dans le bureau du divisionnaire.

Celui-ci, dos tourné, observait calmement le fourmillement des employés. Ils préparaient une nouvelle opération coup de poing dans un secteur adjacent à celui de l’interpellation d’aujourd’hui. Impassible, il émit un très léger soupir. Comme traversé par un électrochoc, Nathanaël se redressa et se râcla la gorge. Il était prêt à recevoir le courroux de son supérieur. Courroux qui n’arriva jamais…

- Alors, inspecteur, racontez-moi comment s’est passé cette intervention ?

- Eh bien, après une éminente course poursuite dans les rues de Paris, un détour par le Trocadéro qui nous a valu une rencontre très utile, une traque dans le triangle d’or et un affrontement musclé, je peux enfin vous confirmer que notre suspect croupit en ce moment même dans une de nos cellules.

Un long silence assourdissant s’ensuivit.

- Je vois. Avec vous, rien ne se passe jamais comme prévu, mais nous avons des résultats et c’est ce qui compte. Cela dit, j’apprécierais que vous teniez mieux la bride de votre équipe, inspecteur Leroy. Il en va de la sécurité de tous, comprenez-vous ?

- Oui, monsieur. Cependant, je tiens à préciser que je ne comprends pas moi-même pourquoi le suspect s’est échappé. Je l’avais laissé sous bonne garde. Et même lors de notre tête à tête, il a réussi à tromper ma vigilance.

- On voit que vous manquez d’expérience. Vous êtes jeune, fougueux et n’avez pas eu l’habitude que l’on vous résiste, je me trompe ? Vous savez, on ne peut faire confiance qu’à soi-même. Même dans le travail. Personne n’est à l’abri d’un manque de vigilance, d’une faiblesse ou pour parler du pire des cas d’une trahison. Alors à l’avenir, ne comptez que sur votre instinct, lui seul est capable de vous guider.

En effet, il ne se trompait pas. M. Chen était vraiment à la hauteur de sa réputation. Sa clairvoyance n’était plus à démontrer depuis des lustres et aujourd’hui il avait lu en Nathanaël comme s’il avait été un livre ouvert. Nathanaël n’eut pas le temps de répondre, Chen reprit le cours de la conversation.

- Cela dit, votre rapidité à agir et votre agilité ont finalement eu raison de cet homme. Il est temps qu’il passe aux aveux, vous pouvez utiliser toutes les méthodes de persuasion que vous jugerez utile, cependant arrangez-vous pour qu’il ne commette pas d’acte insensé nous avons encore besoin de lui pour la suite de l’opération.

- Bien monsieur. Je vais de ce pas le préparer à l’interrogatoire.

- Qu’il en soit ainsi. Nous reparlerons de votre promotion quand cette affaire sera en bonne voie de résolution.

- A vos ordres.

Nathanaël sortit du bureau et se détendit d’un coup. L’entretien s’était bien mieux passé que ce qu’il avait imaginé. Les remontrances n’avaient pas été nombreuses et il venait de lui donner carte blanche pour la suite des opérations. En voilà une aubaine ! Il ne voulait pas rater son coup, alors, il allait se charger lui-même de cette besogne. Qui plus est, il l’avait déjà formaté tout à l’heure, donc lui soutirer les informations devrait être une tâche facile. Confiant, il se dirigea vers les cellules.

Sur place, il demanda au geôlier de les laisser seuls. L’homme en uniforme lui tendit les clefs et disparut dans le couloir, bien content de prendre une pause. Sans attendre, l’inspecteur déverrouilla la cellule, y entra et ferma précautionneusement derrière lui.

De l’autre côté, dissimulée derrière le miroir sans tain, Livia se préparait à prendre des notes et à repérer tous les indices en rapport avec cette enquête. Elle leva les yeux vers la scène sur le point de se dérouler devant elle.

Nathanaël agrippa la chaise placée dans le coin supérieur de la cellule, la traîna jusqu’à la minuscule table qui le séparait de son suspect et s’installa à califourchon dans un souci de détendre l’atmosphère.

L’homme se renfrogna faisant tomber à l’eau sa tentative. Cependant, le jeune homme ne se démonta pas et engagea la conversation :

- Alors pour commencer tu vas me donner ton nom et ton prénom.

L’homme resservit son silence comme réponse.

- Je vois, soupira-t-il, tu n’es pas du genre bavard, c’est pas grave, on va y remédier.

Nathanaël sortit son portable et rechercha la dernière vidéo, celle où on le voyait tenter de le tuer. Il lui montra et commenta :

- Pourtant tout à l’heure quand il s’agissait de m’insulter, tu ne semblais pas si muet… Et puis j’aime autant te dire que si tu ne parles pas, je serai obligé d’envoyer cette vidéo au Parquet et comme tu as tenté de m’assassiner, cela pourrait peser très lourd dans ton dossier…

L’homme continua de garder le silence. Nathanaël secoua la tête :

- Tant pis pour toi, je vais devoir appeler le Parquet aujourd’hui et comme il s’agit d’une attaque sur agent en exercice, je pense que tu écoperas d’un alourdissement de peine. Mais bon, c’est toi que ça regarde. Si tu as envie de passer le reste ta vie au frais…

- Ok, Ok, mais si je parle est-ce je pourrais en tirer avantage ?

Les yeux de Nathanaël étincelèrent, prirent une teinte chrysocale, se remplirent de malice. Il tenait le bougre, il le savait. Aussi, décida-t-il de la jouer fine pour appâter davantage sa proie.

- Eh bien, cela dépend. De ta disposition à nous répondre, de la précision des informations, de ta motivation à coopérer.

- Vous êtes malade ! Jamais je ne m’associerais aux poulets ! Je préfère crever ici !

- Je vois, je vois, les négociations ne vont que dans un sens apparemment.

Le jeune homme réfléchit un moment. Il finit par rompre le silence.

- Bon admettons que je lâche un peu de lest, que je te propose d’alléger ta peine de… disons environ deux ans… et qu’en échange je te demande un seul nom… serais-tu prêt à me donner l’information que je souhaite ? Deux ans … ce n’est pas négligeable quand on est père de famille comme toi… ta petite fille doit sûrement t’attendre à la maison à l’heure qu’il est. Or, tu es ici et vu ton dossier, tu vas rester au frais un certain temps. Au moins jusqu’à ton procès. Mais si tu me donnes ce que je désire, je peux faire pencher la balance en ta faveur et peut-être négocier une remise de peine, ainsi qu’un droit de visite pour ta famille.

L’homme retroussa imperceptiblement son nez, se passa la main sur le visage. Il soupira. Une fois. Deux fois. Pour finalement regarder Nathanaël qui afficha un sourire aussi victorieux que mystérieux. Il avait gagné. L’homme était sur le point de céder. Il reprit la parole :

- Je peux pas te donner le nom de celui pour qui je bosse, car il se fait appeler « le maître. » Personne l’a jamais vraiment vu, c’est son sous-fifre qui nous transmet les ordres. Dans le milieu on l’appelle le « nervi ». Il est connu comme le loup blanc tant sa cruauté est grande et personne n’ose lui désobéir. Il glane les informations par le biais d’un informateur qui se situe à Pigalle, dans un bar juste à côté du moulin rouge. C’est un homme grand, aux cheveux noirs, aux yeux marrons, avec un nez retroussé et une balafre à l’œil gauche qui travaille comme barman là-bas. Il se fait appeler Alex’ et si tu vas le voir avec un joli pactole, il te donnera ce que tu souhaites. C’est tout ce que je peux te donner, je ne suis pas aussi haut placé que tu le penses dans la bande, j’sais pas tout.

- Je vois. Eh bien merci pour ta coopération. Je vais appeler le Parquet devant toi.

Le commissaire referma son carnet et se saisit de son téléphone. Il composa un numéro et quelqu’un décrocha à la troisième sonnerie.

- Bonjour, commissaire Leroy à l’appareil, je vous téléphone pour vous demander une faveur. Le principal suspect de l’affaire des braquages vient de collaborer en nous révélant des informations sur sa hiérarchie. En échange je lui ai promis une remise de peine de deux ans et un droit de visite pour sa famille. Pourriez-vous en informer le juge ? Merci.

Il raccrocha et se tourna vers le prisonnier.

- Le parquet va vous accorder cette faveur, en attendant votre procès, vous resterez ici et aurez le droit de voir votre fille une fois par semaine. La remise de peine a été demandée, elle sera précisée lors de votre jugement.

L’homme laissa échapper quelques larmes, mais tenta de ne rien laisser transparaître.

- Merci… bredouilla-t-il.

- Ne me remerciez pas, vous n’êtes pas libre et seul le Parquet décidera d’accepter ou non ma requête. Bon je vais informer mon supérieur, en attendant profitez du confort des cellules de garde à vue, en prison ce ne sera pas pareil, ajouta-t-il l’air narquois.

Il frappa à la porte blindée et aussitôt le gardien entrouvrit la porte, laissa passer le jeune homme et la referma. Le bruit métallique des clefs résonna dans les couloirs déserts, un hurlement de rage s’ensuivit et se répercuta en un écho glaçant à travers toutes les cellules de garde à vue.

Sa besogne terminée, un nom en poche, Nathanaël quitta le couloir des prisonniers pour se rendre dans la salle d’écoute. Livia était en grande conversation avec un autre agent.

- Pensez-vous que nous ayons assez d’éléments pour avancer dans l’enquête ?

- Non, pas vraiment, je pense qu’il faudrait d’abord aller récupérer des informations auprès de cet Alex’ dont le suspect a parlé.

- Oui, tu as raison Livia. Il faudrait dépêcher deux agents pour s’acquitter de cette tâche, ajouta Nathanaël.

- On envoie qui ?

- Je pense y aller en personne.

- Tu ne vas quand même pas y aller tout seul, si ?

- Si je n’ai pas d’autre volontaire…

- Je peux venir avec vous commissaire, proposa l’agent.

- Très bien, allons voir cet Alex’, change-toi, on va boire un verre.

L’agent acquiesça et sortit de la pièce. Nathanaël allait la quitter également quand Livia le retint :

- Tu es sûr que tu n’as pas besoin de mon aide ? Je pourrais rester dans la voiture en retrait ?

- Je ne préfère pas, il faut être discret et puis c’est ma faute si la poursuite a mal tourné, alors je veux réparer ma bévue.

- Ce n’est pas uniquement ta faute, nous étions tous responsables ! Tu n’as pas à endosser ça seul !

- Livia, tu sais comment je suis, j’ai ma fierté, alors laisse-moi m’occuper de ça et reste au bureau d’accord ?

Vaincue, Livia accepta et sortit de la pièce en soupirant. Nathanaël rejoignit son collègue dans les vestiaires et l’informa qu’il allait se changer et qu’il l’attendrait à 19 h devant le commissariat. Ils se saluèrent et se quittèrent.

Arrivé chez lui, Nathanaël se précipita vers sa garde-robe et passa en revue les différentes tenues qu’il pourrait porter pour se fondre dans la masse ce soir. Heureusement pour lui, il adorait le noir et son armoire en était remplie. Pour devenir invisible, il lui fallait s’inspirer de son ancienne étiquette, celle qui le qualifiait de coureur de jupons, de casanova, de libertin et bien d’autres surnoms encore. Il frissonna en repensant à cette facette de lui-même qu’il avait enterré depuis ce jour fatidique. Le soir de ce bal de charité pendant lequel il avait rencontré cette fille, celle qui, d’un simple battement de cil, l’avait sorti de son long sommeil, avait ravivé la flamme de la vie qui couvait sous sa poitrine, avait réveillé l’ange en lui. Il ne savait pas pourquoi elle avait provoqué un tel raz-de marée chez lui, mais son intuition lui soufflait qu’elle pourrait bien être liée à son destin. Depuis lors, il s’était accroché à l’espoir de la revoir, de lui poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis leur rencontre furtive, cette nuit-là. Qui était-elle pour lui ? Pourquoi, quand leurs regards s’étaient croisés, il avait senti quelque chose gronder en lui, comme un écho du destin qui l’attendait ?

Cependant, il ne l’avait jamais revue. Enfin, il le pensait jusqu’à ce qu’il rencontre cette autre fille, cette portraitiste qui lui ressemblait fortement. Lorsqu’il avait posé les yeux sur ses esquisses, la même sensation s’était manifestée dans son corps.

Il aimerait d’ailleurs la revoir, elle aussi. Pour toutes les raisons évoquées et pour d’autres plus sombres, plus intimes…

Le téléphone sonna et le sortit de ses réflexions. Il le consulta et aperçut que l’heure avait déjà bien avancé. Il devait se dépêcher s’il voulait arriver à temps au commissariat. Il secoua la tête et replongea dans sa sélection.

Il retira des cintres un t-shirt à manches longues noir, une veste de cuir et un pantalon en cuir noir également. Il retourna dans son vestibule et retira de son meuble à chaussures une paire de bottines hautes noires et se dirigea vers la salle de bain.

Il prit une douche rapidement et revêtit sa tenue de mauvais garçon pour la première fois depuis longtemps, laça ses chaussures, enfila la veste et quitta son appartement.

Avant de rejoindre son point de rendez-vous, le jeune commissaire passa par un distributeur de billets et retira une somme conséquente de son compte. Cet argent serait la garantie pour obtenir des informations sûres et précises qui lui permettraient d’avancer dans l’enquête et de peut-être posséder enfin un nom et un visage. Il rangea les billets dans une enveloppe qu’il cacha dans la poche intérieure de sa veste. Puis il gagna son lieu de rendez-vous. L’agent l’attendait patiemment devant le commissariat. Il s’approcha de lui :

- Prêt ?

- Oui, monsieur.

- On va éviter les « monsieur » pour ce soir. Tu es un ami avec qui je viens boire un verre, donc tu m’appelles par mon surnom : Nat’

- Bien mo…

Nathanaël claqua la langue, le jeune homme se reprit et dit :

- Ok, Nat’.

- Très bien ! Et toi ? Quel est ton nom ?

- Je m’appelle Nino.

- Ok, Nino, c’est parti.

La nuit tombait sur la ville de Paris et la cacophonie diurne laissa place au concerto de la nuit. Le gris des costumes trois pièces laissa place aux vêtements chatoyants, aux jupes pailletées, aux jeans décontractés, aux vestes de cuir et aux tenues plus excentriques. L’air, déjà lourd, se chargea d’effluves de parfums capiteux, les rayons de soleil s’effacèrent pour laisser les étoiles scintiller. Et sous cette voûte stellaire, deux hommes, suivis à leur insu par une voiture banalisée, s’engouffrèrent dans la porte d’un troquet, le néon rouge sang surplombant l’entrée clignotait macabrement. Une atmosphère d’invitation à la mort se dégageait de ce bar miteux. La porte se referma derrière dans un crissement sinistre, la voiture s’abrita dans l’ombre. Un étrange jeu allait se jouer ce soir…

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