Prologue

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Paris, 2009

Pour la première fois depuis des lustres, le commissaire Chen lui avait confié une mission d’un tout autre ressort. Il devait assurer la protection des invités d’un bal de charité dont les fonds étaient versés à une association. Qui plus est, une partie de ces dons reviendraient aux équipes de police. En civil, Nathanaël devait surtout vérifier que l’on ne s’en prendrait pas au magnat de la haute couture attendu ce soir. Invité principal, il avait insisté pour jouir d’une protection rapprochée, car il venait en compagnie de sa nièce et elle devait absolument être protégée. Il n’avait pas souhaité donner plus d’informations. Nathanaël, intéressé par l’idée, avait accepté. De toute façon, il venait de larguer la dernière fille avec qui il avait eu une relation, enfin si on pouvait appeler ça une relation. De ce fait, il avait du temps libre. Et quoi de mieux que d’occuper ce temps avec une petite mission ?

De toute façon, l’expression « relation amoureuse » n’appartenait même plus à son vocabulaire. Il avait passé tellement de temps à séduire des femmes et à les plaquer dans la foulée qu’il avait presque tout oublié de l’amour. Emporté par un élan de nostalgie, il se remémora sa dernière histoire.

Pour lui, elle n’avait été qu’une énième fille de passage, une fille rencontrée lors d’une soirée avec les collègues. Il venait d’être promu inspecteur et pour fêter ça dignement, ses collègues et M. Chen lui avaient organisé une soirée en discothèque. À présent, se pavaner sur une piste de danse et terminer totalement ou quasi-totalement ivre dans les bras d’une inconnue croisée au comptoir ne l’amusait plus.

La soirée avait pourtant démarré calmement. Alors qu’ils discutaient autour d’une table et d’un verre, une fille s’approcha de lui et lui jeta un regard lubrique. Habitué à ce genre de regard, Nathanaël lui rendit la pareille.

Ensuite, elle lui lança une œillade pour l’intimer de la rejoindre. Son instinct de chasseur en éveil, il rejoignit la piste de danse en une enjambée. Tellement habitués à ses frasques, aucun de ses amis ne prêta attention au petit jeu qui commençait. La fille s’approcha de lui, l’invita à danser.

L’échange, au départ très sage vira rapidement au ballet de séduction. Langoureusement, la jeune femme jouait des hanches et de la poitrine pour attirer le jeune capitaine dans son piège ; une aura érotique se dégageait de son corps luisant, des effluves de parfum capiteux mêlés à la transpiration envahissaient l’espace, accentuant la sensation d’ivresse qui se répandait doucement dans ses veines. Dans la pénombre de la discothèque bondée, les verres d’alcool aidant, il finit par tomber dans l’horrible guêpier de luxure qui provoquerait un jour sa déchéance.

Envahi par la folie, comme un ancien toxico qui n’avait pas replongé depuis longtemps, il sombra doucement dans le péché. Ses principes réduits en éclats, il dévoila pour une ultime fois la part sombre qui sommeillait en lui. D’un geste sûr et précis, il caressa ses hanches, ses épaules, descendit à la base du cou, continua sous les seins, ce qui lui arracha un soupir de satisfaction. La sueur collait à ses vêtements, accélérait sa respiration, l’obligeait à se débarrasser de ce qu’il restait de sa pudeur. De ses doigts longilignes, elle s’insinua sous le fin t-shirt blanc qu’il portait, le titilla, réveillant cette insatiabilité qu’il croyait perdue ; les pupilles dilatées, elle semblait apprécier l’instant, si bien qu’elle continua son indolente torture et s’attarda sur ses hanches, ses fesses, son bassin. Aveuglé par son désir, Nathanaël agrippa ses mains et les fit circuler sur son corps, laissant sourdre sa cupidité trop longtemps bridée.

À la fin de leur échange, il entraîna sa conquête d’un soir dans un hôtel à proximité de la boîte de nuit. Il se dépêcha de régler la chambre avant de se ruer de nouveau sur sa proie. Arrivés dans le couloir, leurs vêtements pratiquement déchirés, les cheveux en bataille et les lèvres rougies par leurs baisers sauvages, il ouvrit la porte à la hâte. Ils atteignirent la chambre avec difficulté, se cognèrent contre les murs fins de la pièce pour finalement basculer violemment sur le lit immaculé. Très vite, le jeune homme se redressa, arracha les restes de son t-shirt et envoya son jean joncher le parquet de la chambre. Entre temps, elle aussi s’était débarrassée de sa robe. Sans attendre, elle accrocha ses jambes autour sa taille et l’attira à elle, griffant furieusement ses épaules, décoiffant encore un peu plus ses cheveux poissés de sueur. Sous les doigts habiles de Nathanaël, sa peau s’échauffa, ses murmures de plaisir se transformèrent en halètement et ses mouvements jusqu’alors timides, se firent plus francs, plus lascifs, plus cupides. Elle se cabra sous ses assauts sauvages, ses hanches enclavées aux siennes dans un ondoiement unanime. L’atmosphère était lourde et électrique dans la pièce aseptisée. La privation avait rendu le jeune homme esclave de son désir et la maîtrise manqua rapidement à l’appel. Engagé dans un corps à corps endiablé, une cacophonie de cris et de halètements comme seule musique d’ambiance, il relâcha toute la pression et la frustration contenues depuis un temps incertain. Cette nuit-là, il n’avait pas su se satisfaire d’une seule et unique fois, alors il avait entraîné sa conquête dans un tumulte infini de sensations érotiques. Alors que l’aube poignait à peine, ils se retrouvèrent tous les deux épuisés, ruisselant de sueur et d’autres liquides...

Au petit matin, la sonnerie stridente de son téléphone professionnel le réveilla en sursaut. Son chef lui avait laissé un message pour lui rappeler que le bal de charité se déroulait le soir-même et qu’il devait impérativement venir accompagné pour passer inaperçu. Il avait employé un ton si catégorique que Nathanaël se sentit obligé d’accepter.

La fille se réveilla et se sauva juste après sa douche. Elle avait laissé à son intention un post-it sur lequel elle avait griffonné des cœurs, un petit mot et son numéro « Rappelle-moi pour une autre virée torride ! » Nathanaël lut le mot en diagonale. Puis, il chiffonna le papier et le jeta dans la poubelle, sans même prendre le soin de noter son numéro. Il ne voulait pas la revoir et encore moins passer une nouvelle nuit avec elle. Il avait fait ça sur un coup de tête parce qu’il avait eu envie de se détendre et de s’amuser un peu, mais ça s’arrêtait là.

Le soir venu, sa cavalière, une collègue d’un autre service, vint le chercher à son domicile et le conduisit au bal de charité en question. Les mondanités n’étant pas tellement son genre, il s’assit à la table qui leur avait été réservée et attendit patiemment l’arrivée des invités, les yeux rivés sur son téléphone portable. Désintéressé et surtout concentré sur son travail, il ne prit même pas la peine de scruter les alentours pour voir si une éventuelle conquête pointait le bout de son nez. Non, la soirée de la veille lui avait suffi et surtout l’avait lassé. Ce jeu malsain ne le divertissait vraiment plus.

À ce moment, la foule se tut et tous les regards se tournèrent vers l’entrée. Le magnat de la haute couture venait d’arriver. Comme prévu, une très belle jeune fille brune aux yeux verts l’accompagnait. Sa nièce, en déduisit Nathanaël. Prêt à agir si nécessaire, il risqua un regard en direction de l’entrée. Ce fut à ce moment que ses yeux se posèrent sur elle. Hypnotisé par la beauté de la créature, il était incapable de détacher son regard d’elle. Alors qu’il continuait de l’admirer, quelque chose s’éveilla en lui. Un courant électrique lui parcourut le corps. Il tenta de la suivre mais elle disparut dans la foule. Dès lors, une pensée s’insinua en lui : il voulait retrouver cette jeune femme. Il avait la sensation de devoir la rencontrer. Elle semblait liée à lui d’une manière ou d’une autre et il désirait en connaître la raison.

Depuis ce bal, il n’avait jamais réussi à la revoir. Jusqu’à ce fameux jour. Le jour de leur vraie première rencontre.

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