Courage
Je monte discrètement dans ma chambre en faisant signe à soeur Marie-Jeanette que je souhaite être tranquille pour réfléchir. Le livre est grossièrement caché sous mon t-shirt car son épaisseur est conséquente. J'arrive à atteindre mon objectif sans révéler mon secret et je plonge sous mes draps pour feuilleter ce bijou. Page après page j'étudie, consciencieux, chaque détail. Il n'y a pas de texte, il n'y a que des images. On y voit des formes étranges ressemblant à des humains qui auraient été modifiés. Les bras s'entremêlent avec les jambes, cela ressemble à deux corps mélangés. Je n'avais jamais vu cela avant et je ne comprends pas. Après quelques heures de lecture, je ne suis toujours pas arrivé à la fin et je ne trouve aucun sens à ces dessins. Ils m'intriguent et j'ai une envie très forte de connaître leur signification. Soudain, quelqu'un frappe à ma porte et je sursaute. C'est la Soeur Francine qui m'invite d'un ton forcé à rejoindre le réfectoire pour dîner. Je refuse d'y aller, je veux finir ce bouquin. La bonne soeur pénètre en toute indiscrétion et m'oblige à la rejoindre. J'essaie de cacher mon livre, mais la surprise sur mon visage me trahit. Elle m'interroge sur mes occupations. Je dois mentir pour dissimuler ce livre et j'y parviens en laissant tout de même un doute que la bonne soeur ne peut déguiser. Je lui demande cinq minutes pour me préparer et je lui promets d'arriver aussitôt. Elle repart et me laisse le temps d'enfouir mon trésor sous le lit.
Je n'arrête pas d'y penser. Quelles sont toutes ces formes ? De quel artiste proviennent-elles. Mon assiette ne désemplit pas. Je n'ai pas faim. Je veux rejoindre ma chambre pour élucider ce mystère. Je pourrais peut-être en parler au Père Victor, le seul qui semble à peu près normal ici. Mais il n'hésiterait pas à me trahir pour ses confrères, je ne peux faire confiance à personne dans ce lieu maudit.
Soeur Margaux m'oblige à finir mon assiette en me rabâchant qu'il y a des enfants qui n'ont pas ma chance. Une "chance" ? Moi, j'aurais de la "chance" d'être ici ? On entend vraiment que des inepties dans ces lieux, je dois partir d'ici et au plus vite. Je me force à terminer cette purée sans saveur et c'est le ventre trop plein que je remonte dans ma chambre. Je monte les escaliers, je passe la porte de ma chambre, je referme derrière moi mais quelque chose coince : c'est le pied de Soeur Francine. La pire femme au monde. Aurais-je pu croire un jour qu'une personne aussi malveillante soit dans cet endroit. J'ai lu un jour que les orphelinats étaient remplis d'enfants abandonnés et que les personnes travaillant ici donnaient de leur temps pour ne pas laisser ces derniers seuls. Visiblement cette femme n'aime pas les enfants et elle leur fait payer cher. Elle me rappelle que la messe du soir est obligatoire et que je dois m'y rendre. Impossible pour moi d'y aller, je dois lire ce livre, je dois le terminer et comprendre ce qu'il me raconte. Je regarde ses yeux remplis de haine et je lui dis que je n'irai pas à la messe ce soir, je lui raconte que Dieu est un mythe, que Jésus est un mensonge et qu'il faudrait être idiot pour croire toutes ces légendes. Mes propos ne furent qu'une raison de plus pour me battre et pour m'enfermer dans l'isoloir afin de "réfléchir à mes paroles", selon elle. J'eus passé la nuit, allongé dans un lit composé d'un matelas d'un centimètre d'épaisseur.
* * *
Au petit matin c'est le Père Victor qui vient me réveiller, avec douceur comme à son habitude. Il m'explique sereinement que mes paroles de la veille ont blessé Soeur Francine car elle est très croyante et qu'elle souhaite partager ses convictions avec nous. Peut-être qu'elle s'y prend mal, mais il faut la comprendre. Je me suis toujours demandé ce que cet homme faisait dans cet endroit, il ne me l'a jamais avoué, mais en tout cas il est différent. Il est bienveillant et même si je ne suis pas d'accord avec leur idéologie, je ne peux m'empêcher d'avoir du respect pour lui. Lui seul essaie de me comprendre et c'est l'unique personne qui pourrait me donner envie de rester ici. Sauf qu'il est seul à me donner cette envie et que tous les autres m'obligent à partir. Je dois m'enfuir, cet endroit est toxique pour moi. Mais je ne dois pas m'y prendre comme un débutant, je dois réfléchir, préparer un plan, rassembler toutes les chances de mon côté et réussir mon évasion.
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