Souviens-toi
Tout avait commencé par le silence. Un silence froid et dur. Puis, progressivement, bien qu'étouffées, les sensations m'étaient revenues. Mon cœur battait, comme affolé, dans ma poitrine qui semblait en train de se fissurer, d'exploser en morceaux ; mon souffle était court, désordonné ; ma vision était restée noircie jusqu’à ce que mes yeux s'ouvrent. Après ça, je m'étais redressé, hagard, et avait balayé les alentours. Les sons, les détails, et même la texture sous mes doigts, tout était indistinct autour de moi, alors, hésitant, je m'étais levé, un martellement atroce dans le crâne.
Grimaçant, la première pensée qui m'avait traversé l'esprit était que le sol n'était définitivement pas un endroit où s'étendre confortablement.. La suivante, c'était que je me trouvais dans une chambre. Occupée, en toute vraisemblance. En effet, un tout jeune homme endormi siégeait sur le coté droit du lit duquel les draps étaient défaits. Et il m'avait, sur le moment, tant fasciné que tout juste quelques mots étaient encore compréhensible à travers le bruit brouillé de la vieille radio, j'avais néanmoins retenu l'information essentielle, que je connaissais malheureusement déjà, un premier souvenir remontant à la surface : Avril venait de mourir tout comme lui était mort aussi, et notre idéal avec. Il avait été mis au pied du m.ur, s'était donné la mort, paraissait-il. Nous avions perdu notre guerre, le pays était à feu et à sang..
Enfin, du coté de l'homme ses traits fins se trouvaient être apaisés ; ses cheveux blond pâle, éparpillés autour de sa tête, comme s'il s'agissait d'une auréole ; une petite moustache lustrée garnissant son philtrum ; son uniforme gris anthracite qui recouvrait délicatement sa poitrine immobile. Immobile ? Surpris, je m'étais approché avec curiosité de cet homme étendu, et, sans réelle justification, une impression de malaise, d'horreur m'avait brusquement saisi alors que je m’apprêtais à toucher sa peau pâle, si ce n'était que l'individu me semblait vaguement familier. Je n'avais pas pu pour autant en pointer du doigt la raison.
Sitôt cette pensée née dans mon esprit, un petit rire avait raisonné dans un coin de la pièce et je m'étais retourné d'un bond, les yeux écarquillés. Cela avait eu pour effet de déclencher à nouveau l'hilarité de ma spectatrice inopportune. Car la propriétaire du petit rire était bel et bien une femme. Qui plus est, avec ses longues mèches similaire à l'intense plumage du corbeau et ses prunelles sombres qui contrastaient avec sa peau d’albâtre, il s'agissait tout simplement d'une splendide créature. Je n'avais pas pu en détourner le regard les premières secondes, avant de remettre mes idées en place, puis lui avais finalement lancé un regard aussi interrogateur que perdu. Depuis quand était-elle présente ?
« Je te déconseille de t'y risquer, avait-elle lancé en direction de mon bras toujours en suspens, riant sous cape. Par contre, tu peux peut-être m'aider. », avait-elle ajouté en souriant avec une expression amusée.
Pas éclairé pour deux sous et plusieurs questions se bousculant dans ma tête, mon regard braqué sur elle était toujours aussi égaré alors que je m'étais décidé à lui demander qui elle pouvait bien être. Son identité autant que sa présence ici étaient d'entiers mystères. À mon grand désarroi, la belle aux yeux noirs avait ri, laissant échapper un son doux qui m'avait fait frissonner, avant de secouer négativement la tête dans ma direction, ses orbes abyssales me scrutant avec un air joueur. Elle ne m'avait finalement apporté aucune réponse, répliquant seulement que celle-ci viendrait d'elle même dans quelques minutes. Les sourcils froncés, toujours perdu, j'avais seulement hoché la tête.
Cette femme était étrange : Attirante comme un aimant mais au regard aussi effrayant que celui que posséderait un démon. Il y avait une sorte de force aussi séduisante que répulsive chez cet individu. Cette absolue certitude avait vibré en moi depuis le plus profond de mon être et une désagréable sueur froide avait coulé le long de mon dos. Elle avait finalement sonné le début de la fin à compter de ce moment quand elle avait demandé, la voix toujours douce et enivrante, si je savais ce que je faisais à cet endroit.
Confus, j'avais à nouveau balayé la pièce, me rendant finalement compte que je n'en vais absolument aucune idée. L'illumination s'était soudain faite : J'avais fui, les ennemis ne devaient pas m'attraper. Je ne l'aurai jamais permis. Fuir qui ? Eux, évidemment, les Soviétiques. Mais l'Armée rouge ne m'aurait pas attrapé, je m'en étais de toute façon assuré. À peine cette pensée avait-elle été formulée que mes yeux s'étaient arrondis sous le choc, alors qu'une légère pointe de douleur m'avait traversé. « Je m'en étais assuré ». Une violente vague de souvenirs, partiels, m'avait submergé soudainement et j'avais jeté sur l'homme un regard neuf, plein d'effroi et de compréhension, reportant l'espace d'un instant mes yeux sur la fiole vide qui gisait aux pieds du lit. Ça avait été du pur orgueil, autant que de la lâcheté. Finalement, j'avais fait comme lui. La silhouette de mon observatrice s'était postée à mes coté, toujours un fin sourire ancré sur les lèvres.
« Tu te souviens un peu maintenant, mais pas encore assez. Ce n'est pas suffisant. Va plus loin. », avait-elle dit en accrochant mes aigues-marines ébranlées, les piégeant dans ses propres orbes, remplies de ténèbres.
Alors, j'avais cherché à me souvenir. Et je m'étais souvenu de Rachel. Écroulé sous la souffrance, mes genoux avaient durement percuté le sol. Rachel. Je l'avais déjà ordonné plusieurs fois auparavant, de nombreuses même, mais je n'y avais jamais assisté en personne, j'avais toujours fui, fui la responsabilité de mes actes. Mais la veille, c'était différent, j'étais là. J'avais vu Rachel, cette petite fille si jeune, adorable, innocente. La balle avait soufflé sa vie du premier coup. C'était ma balle, la mienne, qui avait prit sa vie, arraché son souffle. J'aurai souhaité ne pas avoir à le faire, vraiment. Elle était trop jeune et encore inconsciente de son crime. Mais les choses étaient ce qu'elles étaient et j'avais dû trouer son corps. Trop tard, le poison était déjà dans son corps, transmis par son sang. Car Rachel portait une Étoile. Cela avait fatalement scellé son destin comme celui de tant d'autres..
Me souvenir était brutal, douloureux. J'avais désespérément essayé de balayé l’expression de vide béant sur le visage de l'enfant, j'avais même essayé de me convaincre qu'elle avait mérité son sort pour être ce qu'elle était, elle et tout ceux de son espèce. Mais rien n'avait fonctionné. Son fichu visage m'avait hanté toute la journée, toute la nuit. Et ça continuait, encore et encore, je ne pouvais m'en défaire. Et après ça, alors que notre situation devenait bancale, nous laissant acculés, il avait fallu que notre leader aille se terrer comme un rat pour se donner la mort, le lâche. Il nous avait laissé, nous ses fidèles, naïfs pions, être exposé à la Justice. La Justice.. Une exécution pure et simple serait le mot le plus juste. Quand ceux qui croyaient en ces idéaux pour lesquels on se battait nous acclameraient, les autres nous lyncheraient, alors que nous serions exposé à leur haine, sans défense aucune. Mais je ne leur aurais pas laissé ce plaisir. C'est pourquoi, alors que le pays été fouillé pour tous nous appréhender, je m'étais retranché dans cet hôtel miteux pour partir dignement, fièrement. La douleur de cette constatation m'avais foudroyé et la femme avait alors inspiré avec une expression de délice.
« C'est dommage, tu es bien jeune pour mourir, avait-elle dit en arborant un regret factice, Enfin, les Hommes vivent des temps troublés et les âmes corrompus comme les tiennes sillonnent le monde, ce n'est que plus de satisfaction pour moi. J'ai encore beaucoup de travail avec tes semblables.
– Alors tu es venue pour m'emmener ? Pourquoi ne l'as tu pas fais plus tôt ?, l'avais-je interrogé avec circonspection, alors que je ne pouvais m’empêcher de la détailler, pris d'une curiosité malsaine, morbide, à l'idée folle d'être en train de converser avec la Mort, Qu'est-ce qui t'en empêche ?
– Je te l'ai déjà dis, tu dois d'abord te souvenir, c'est essentiel. Absolument nécessaire pour que je puisse être totalement satisfaite. »
Cette femme qui incarnait ma fatale, inévitable mort, ne m'avait apporté qu'interrogations supplémentaires. Essayer de l'acheter ou de la corrompre de quelque manière que ce soit était voué à l'échec, elle avait les pleins pouvoirs. Le simple fait de croiser son regard me gelait de l'intérieur, me faisait frissonner. Et alors qu'on s'était regardé encore, elle avait susurré qu'elle pouvait peut-être m'aider à faire remonter à la surface de mon esprit mon souvenir le plus fondamentale. Alors, s'approchant de moi, toujours à genoux, elle avait soufflé à mon oreille sur un ton de confession, murmurant d'une voix à peine audible :
« Souviens-toi. Tu ne t'es pas donné la mort uniquement à cause de Rachel. Il y avait plus. Quelque chose de bien pire. Il y avait aussi Bertha. »
Quand le nom avait m'atteint, le flash avait été si violent, si douloureux, que mon estomac s'était contracté. Je m'étais alors souvenu de la rage qui m'avait aveuglé quand Bertha avait voulu prendre la fuite, ne supportant plus mes agissements pour la cause Nazi et apprenant pour Rachel. Mais je l'aimais, tellement. J'avais besoin d'elle, de sa présence à mes cotés. Je n'avais pas pu me résoudre à la laisser partir.. Je m'étais souvenu de son corps gisant, la tempe explosée.
À ce moment, un océan de douleur s'était ouvert sous mes pieds, et c'est en tremblant que je m'étais recroquevillé sur moi-même. Relevant les yeux j'avais constaté le sourire de la femme. Avait-il toujours était si hautain, si froid ? Elle ne s'était nourrie que de ma souffrance, depuis le tout début. Espérer partir en paix était vain, la rédemption n'existait pas. Ce ne fut qu'un rêve impossible. La Mort n'était jamais douce quand on était rongé par la culpabilité.
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