Union
La grande tablée bruyante fascinait Kaien. Lui et Pavelox n’avaient pas souvent vu Akmmariais et Anayaneiais discuter sans s’invectiver ou se menacer. L’Histoire conflictuelle de ces deux terres semblait s’être adoucie, au moins le temps du conflit avec les Axems.
Debout et présidant la longue table, Asianus attendait le silence qui tardait à venir selon lui. Un imposant Akmmariais, fatiguée d’attendre, se manifesta plus bruyamment que les autres et instaura le calme, tout de même entrecoupés d’abscons chuchotements.
Le doyen de Jafar chercha ses mots avant de s’élancer, le moment était historique pour Rae.
« Nous voilà tous réunis : Raeiens des montagnes de Drihurla Man Ran, d’Iriam Lest, des déserts d’Akmmar, de Syria Val Dillit, de Jafar Ket Den et de ce qu’il reste de notre chère Rae libre. Vous tous savez pourquoi je vous ai rassemblé. Il est temps de riposter et de faire comprendre à cette Skyva qui nous sommes ! »
La ponctuation appuyée d’Asianus fut accompagnée d’un brouhaha d’approbation montant. Les chuchotements se turent cependant à la reprise du discours.
« Une armée de plusieurs milliers de Raeiens et Raeiennes est maintenant formée. Avec cette force, nous allons marcher sur Syria Val Dillit et la reprendre des mains de ces satanés écailles bleues ! »
Le Brouhaha reprit sa naissance pour se transformer en ferveur guerrière. Certains tapaient du poing, surtout les Akmmariais, d’autres se levaient pour manifester leur accord, tandis que les Syrialais restaient calmes en opinant du chef. Après tant d’années à subir la Communauté de Ryva, après la dissolution de la Vaïncrus par celle de Skyva, la cohésion que voyait Kaien semblait inespérée.
« Nous continuerons notre avancé avec Akmmar pour reprendre Iriam Lest, Guoria Ket et toutes les cités qui croiserons notre route ! continua Asianus le poing maintenant levé, assuré de la réussite de cette entreprise. »
Seul Pavelox restait de marbre au discours et à l’ambiance. Ces pensées étaient tournés vers Ashron, Guidomex, Hellie, Vallia et Naioji. Malgré l’armée, l’espoir et les mots du doyen, il restait convaincu que sans eux et les Emeraliens, la bataille était perdue d’avance.
« Kaien, devrions nous parler d’Emerala?
— Pourquoi donc ?
— Peut-être que les Eraiens arriveront à les convaincre de se joindre à nous ? L’avantage stratégique ne serait pas négligeable.
— Il est vain de croire que les Emeraliens nous prêterons leur force. Et quand bien même, cela s’avèrerait inutile. Regarde ce qu’il se passe autour de toi. Nous sommes en train d’assister à la fédération de Rae. Tous unis face à un ennemi commun ! Ne gâchons pas un tel instant. Emerala peut attendre.
— Préparez vos armées respectives, armez-les et prévenez-les! Dans un jour, nous attaquerons les Axems à Syria Val Dillit ! ordonna Asianus avant de quitter la pièce. »
Assit au bord d’un lac dont le calme marquait sa surface aplanie, Ashron fixait un point invisible. L’esprit occupé à évaluer la probabilité que les Emeraliens se joignent à eux, il avait trouvé cet endroit éloigné des tumultes de Gaia. Celenok leur avait demandé d’attendre de ses nouvelles, alors c’est ce qu’il faisait, ici à patienter.
Soudain, Guidomex apparu pour venir s’assoir à côté de lui.
« Ça va ? demanda Ashron sans vraiment avoir envie de savoir.
— Oui. Et toi ? rétorqua l’Eraien avec plus de conviction que son ami.
— Oui bien sûr. Pourquoi ? répondit l’ancien Executor Prima qui avait perçu la sincérité de la question.
— Cette dispute… Avec Vallia.
— Ne t’en fait pas… J’ai compris ce que je devais changer.
— Je n’en doute pas ...
— Depuis combien de temps est-ce que l’on se connait ? demanda Ashron qui avait décelé l’inquiétude de Guidomex.
— Plus de dix ans maintenant ?
— Et combien de fois as-tu hésité à me parler directement?
— Jamais… répondit l’Eraien en relevant son regard pour le poser sur les yeux d’Ashron.
— Le temps pour toi de te confronter à un choix approche. Il est peut-être même déjà là.
— Un choix ? Quel choix ?
— Tu devras choisir entre Vallia et ton combat contre les Axems.
— Où veux-tu en venir ? Sois plus clair.
— Les choses ont changé depuis ta victoire sur Skyva. Vallia a dû traverser beaucoup d’épreuve sans toi. Elle n’est plus la jeune Eraienne que tu as connu dans l’Harzerezh. »
Ashron resta muet à fixer Guidomex. Sans qu’il ne se l’explique, il n’avait pas envie d’entendre ce qu’il avait à lui dire.
« Elle est une mère maintenant. Et malgré ça, elle n’a pas hésité à partir sur une planète inconnue pour te retrouver, en laissant votre enfant sur Era. Tu dois comprendre une chose Ashron : Elle t’aime plus que sa propre vie.
— J’en suis conscient si cela t’inquiète.
— Elle a toujours élevé Leon comme si tu étais vivant. As-tu conscience du sacrifice qu’elle a fait ?
— Tu penses que je ne le mérite pas ?
— Mais bien sûr que non ! s’énerva Guidomex en frappant des mains. Tu vois, tu recommences !
— Je recommence quoi?
— Tu te réfugies dans cette victimisation consternante! Tu n’assumes pas, tu te rends coupable de tout ! D’abord la Grande Exécution, la perte de nos amis et maintenant, la vision du cycle de Skyva. Si on t’écoute, tu es responsable de tous les maux !
— Je ne peux nier ma responsabilité dans tout ce que tu énonces.
— Alors très bien ! Parfait ! Dis-moi alors: Que se seraient-ils passés si tu n’avais pas été là ?!
— Qu’essayes-tu de me faire dire ?
— Réponds à ma question ! Si tu n’existais pas, penses-tu que Skyva n’aurais pas mis en œuvre la Grande Exécution avec Serath et n’importe qui d’autre ? Penses-tu qu’Era serait libérée des Axems ? Penses-tu que nous serions tous encore vivant ?
— Ce n’est pas aussi simple.
— Dire qu’elle doit supporter ça constamment ! rétorqua Guidomex en se prenant la tête par les mains. Tu vas la perdre Ashron. T’es-tu déjà demandé ce que c’était d’être la compagne de l’ancien Executor Prima d’Adrais ? Amoureuse de celui qui a vaincu l’Axems menaçant la planète entière, tout en étant celui qui a mené la Grande Exécution ? Des gens t’aiment, d’autre te haïssent profondément et tous la regardent à travers toi. Elle s’est endurcit tandis que toi, tu joues les victimes d’évènements qui te dépasseraient. Mais assumes bordel !
— Mais tu me fais quoi la ? Sais-tu ce que c’est d’avoir autant de mort sur la conscience ?
— Non, je ne le sais pas ! Mais tu n’es pas le seul à en subir la conséquence. Donc tu dois faire ton choix : Soit tu choisis Vallia et tu abandonnes ton combat contre les Axems et cette culpabilité pour te consacrer à ta famille, soit tu la laisses partir et vivre sa vie, pendant que toi tu sauves la sienne et celles des autres.
— Aucun de ces choix n’est possible, répondit Ashron en baissant les yeux.
— Alors ne choisit aucun des deux !
— Mais que cherches-tu à me faire dire ?
— Acceptes la totalement telle qu’elle est. Ne l’écartes plus des combats et considères la comme ton égal. Ta confiance en elle doit être totale et sans retenue. Et débarrasses toi une fois pour toute de tes remords, ils n’ont plus leur place dans ton esprits et surtout dans celui de Vallia. »
Les yeux maintenant relevés et fixant Guidomex, Ashron attendit que son ami n’ait finit son sermon. Trop occupé à se morfondre dans sa pénitence d’Executor Prima, jamais il n’avait vraiment pris le temps de comprendre les sentiments de Vallia à ce sujet. Les nuits où il entendait le cri de ses victimes, elle était là pour les faire taire. Les jours ou leur vision déformait sa vue, elle était là pour la remodeler.
« Tu as tellement raison, dit Ashron résigné. Je ne dois plus être celui qui alourdit son épaule par ses remords. Je dois être celle sur laquelle elle pourra se reposer, à tout moment et en toute circonstance. J’espère vraiment y arriver.
— Tâche d’accompagner ces mots par des actes, répondit Guidomex en souriant. Et aussi de nous débarrasser de Skyva une fois pour toute »
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