Récit d'une migration
L'orange me regarde. Je sens qu'elle voudrait me parler mais que la fatigue et l'incompréhension sont trop oppressantes. Les pores dilatées de sa peau trahissent son âge : déjà trois jours qu'elle a été cueillie. Elle s'ennuie dans son panier étroit, perdue au milieu des pommes. Ces filles de Normandie ne lui disent rien de sympathique. Où sont passées toutes ses sœurs, ses nombreuses cousines, installées de branches en branches, sous le feuillage vert luisant et odorant du grand Sud Espagnol ?
C'est le drame de l'exil.
Au cœur d'un bel après-midi, elle s'est retrouvée dans un bac flottant, frèle, au milieu d'un bassin, aspergée par des vagues agitées. Elle a ensuite débarqué en terre inconnue. Là, tout a changé pour elle : attendre des heures dans le froid d'un immense hangar, avec des lettres géantes aux couleurs vives et les autres, toutes inconnues, qui gémissaient ou s'écrasaient autour d'elle. Que de souffrance ! Enfin, des mains douces et chaudes, lui ont donné une couverture et elle est partie en camion. La route fut longue et pour finir, on l'installa dans un nouveau bâtiment empli de musique doucereuse et de personnes humaines au regard vide qui se promenaient lentement appuyés sur d'étranges boites à roulettes ajourées. Elle fut envahie par un sentiment de panique en passant devant une machine dont le centre était constitué d'une lame hélicoïdale et qui sentait très fort l'odeur de ses congénères. Mais c'est en haut d'une étagère en bois qu'on l'installa. Avec une étiquette portant trois lettres vertes B. I. O. C'est, là que je l'ai aperçu et invité à venir partager ma maison.
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