Chapitre 5 : Bonne Idée

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Dans les arbres, des oiseaux se cachent pour chantonner. Il fait frais, temps agréable. La visite terminée, on rentre à pied. Rien de nouveau niveau dents. Je n’aurais pas à revoir le dentiste pour un bon bout de temps et c’est tant mieux.

Pendant qu’on marche, je m’intéresse aux commerces qui défilent à ma droite : la librairie Malraux. C’est là que je vais quand j’ai de l’argent de poche à dépenser. Juste à côté, l’opticien. J’espère ne jamais avoir à m’y rendre. Avoir des lunettes, ça me ferait une tronche pas possible. Encore après, La pizzeria ”La Tomate”. J’aimerais bien y aller un de ces jours. Le bâtiment voisin appartient à une agence de voyages.

Étrange qu’elle soit fermée. C’est pourtant les vacances.

Ma mère répond au chant des oiseaux avec ses propres sifflements. Ça l’amuse. Une fois, elle m’a dit que si elle n’avait pas été coiffeuse, elle aurait pu être chanteuse. Elle avait monté un groupe de musique au lycée mais après les études supérieures, ils avaient fini par se perdre de vue.

Sentant que c’est le bon moment pour lui poser la question, je me lance :

  • Dis, puisque les Fauvin ne vont pas pouvoir partir tout de suite…

  • Oui ?

  • Je me disais…

  • Quoi ?

  • Je pourrais inviter Juliane à dormir à la maison ce soir ?

  • L’inviter ce soir ?

  • Oui, affirmé-je.

Elle s’arrête de marcher pour me regarder dans les yeux. Avec un sourire malicieux, elle me lance, pour me taquiner :

  • Tu ne me cacherais pas quelque chose, par hasard ? On a déjà vu les Fauvin hier. Juliane te manque tant que ça ?

  • Maman…

  • Tu sais… C’est normal d’éprouver ce… genre de sentiments à ton âge, mon fils.

Je sais très bien ce que ma mère essaie d’insinuer. Juliane est vraiment très belle. Une des plus belles filles du collège. Ses cheveux longs qui retombent gracieusement dans son dos, ses taches de rousseur délicates qui parsèment son teint, ses yeux verts et brillants comme des émeraudes, son sourire qui transformerait le plus dangereux des hommes en inoffensif simplet… elle a définitivement tout pour séduire.

Je dois avouer que je ne suis pas insensible à son charme.

Cependant, pour moi elle est surtout une amie, une confidente. Quelqu’un avec qui je suis sûr de pouvoir parler de tout, sans retenue. Qui me comprend.

Si James est mon meilleur ami, Juliane est clairement ma meilleure amie. Je ne suis pas amoureux d’elle. L’amour ça rend bête. Les gens se croient super heureux alors qu’ils foutent leur vie en l’air. Quand ils ont plus rien, ils se rendent compte de leur erreur. Mais c’est trop tard. La personne qu’ils aiment est déjà loin, désintéressée d’eux. Juliane est ma meilleure amie et il vaut mieux que ça reste comme ça.

Je fais la moue et ma mère comprend qu’elle m’embête avec ses messages subliminaux.

  • Et pour quelle raison comptes-tu l’inviter ? demande-t-elle en reprenant son sérieux.

  • Je ne sais pas… C’est juste que c’est les vacances et que j’ai envie de faire quelque chose chaque jour. Sinon, je m’ennuie. Et donc, même si je trouve ça super dommage pour les voisins qu’ils ne puissent pas passer leur Noël là où ils avaient prévu de le faire, et justement parce que c’est dommage, j’aimerais pouvoir inviter Juliane parce que quand on a des problèmes et qu’on est frustré, le mieux, c’est d’être avec les gens qu’on connaît bien. Tant qu’on peut passer du temps ensemble, on oublie de s’ennuyer et on profite enfin de l’instant sans penser à après.

  • Ah oui. Et c’est qui le philosophe ? plaisante ma mère.

Je souris.

Je me sens bien. Tant de bons moment sont à venir. Tant de bons moments… Et pourtant, ce frisson qui ne me quitte pas. Ce vide vorace qui commence à s’installer dans mon esprit, instillant son venin : le doute. La sensation malsaine qu’une chose invisible me poursuit, me chasse, me taquine comme la proie qu’on cherche à épuiser.

Il va falloir que j’en parle.

L’après-midi est passée plutôt vite. J’ai profité du temps que j’avais pour faire de l’ordre dans ma chambre. Honnêtement, je n’ai pas l’habitude de ranger souvent. À chaque fois, je repousse au maximum le moment où je dois m’y mettre. Jusqu’à ce que ce ne soit plus possible de se frayer un chemin à travers BazarLand. Mon raisonnement est simple : je sors des affaires. Demain je les utiliserai aussi. Pourquoi me fatiguer à les remettre à leur place pour devoir les ressortir ensuite ?

Le pire, c’est mon bureau. Partout, des tas de feuilles qui s’empilent dans tous les sens, des gribouillages, des notes, des cours, des pages de magazines dont je me sers pour des collages… Viennent s’y perdre les cahiers en tous genres d’idées farfelues que je ne finis jamais avant d’en commencer de nouveaux, les accessoires inutiles, les drôles de décoration - toutes dans un état plus ou moins détérioré - et des machins qui traînent depuis des semaines, qui n’ont même pas leur place ici et dont je ne me rappelle jamais la raison ni l’utilité de la présence.

Je ne range jamais et je rechigne même à y penser. Pourtant, c’est quand je range ma chambre que je me sens le mieux. Le plus ”chez moi”. Bref, la morale : Ranger, ça fait du bien à petite dose. Attention cependant à ne pas en abuser !

Une fois satisfait de l’ordre relatif de la chambre, j’avais commencé un nouveau dessin. J’aime inventer des personnages. Leur visage, leurs expressions, leur caractère… Puis dans ma tête, je les vois bouger, interagir.

Si seulement j’avais une machine qui me permettait de prendre les idées dans ma tête et de les rendre réelles… Je ne serai très clairement jamais capable de dessiner aussi bien que ce que j’imagine en esprit. Mais bon, je fais de mon mieux.

Là, j’attends. Juliane devrait arriver d’une minute à l’autre. D’ailleurs, ça sonne déjà à la porte. Je regarde par la caméra de l’interphone. C’est bien elle. Elle a un sac à dos et un DVD à la main.

Je vais lui ouvrir. On se regarde quelques secondes sans rien dire.

  • Bah entre. On va pas rester là toute la soirée.

  • Ouais, c’est clair.

Elle se met à pouffer de rire. Moi aussi.

  • Bon ben tu peux déposer tes affaires sur le canapé, lui montré-je alors qu’on entre dans le vestibule. Mais tu sais déjà.

  • Ok.

Juliane enlève ses chaussures puis on s’installe dans le salon. Elle pose le DVD sur la table basse. Bien vite, ma mère vient nous rejoindre avec des cookies qu’elle a préparé pour le goûter.

  • Bonjour Juliane ! Contente de te revoir ! Même si ça ne fait qu’un jour…

  • Bonjour madame. Merci de m’accueillir, répond-t-elle poliment. Et merci pour les petits gâteaux aussi.

  • Mais c’est tout à fait normal, voyons ! Les amis sont bienvenus ici ! Je vais m’occuper du dîner. Je vous préviendrai quand c’est prêt.

  • Qu’est-ce que ça sera ? questionné-je.

Elle esquisse un sourire malicieux.

  • Vous verrez bien.

Elle retourne à la cuisine et ferme la porte derrière elle, s’assurant qu’on n’aille pas jeter un coup d’oeil par curiosité. ”Quand Francesca Hernandez prépare une surprise, elle ne fait pas les choses à moitié”, me dit-elle souvent. Elle adore faire des surprises. Bonnes comme plus ou moins mauvaises.

On monte à la chambre. Une fois là-haut, Juliane se tourne vers moi, surprise.

  • Laisse-moi deviner… Ta mère en avait marre du bordel alors elle a tout brûlé, révélant ainsi sa véritable nature de pyromane ?

Je souffle du nez.

  • Non.

  • Alors qu’est-ce qu’il s’est passé ? M’interroge-t-elle en faisant des mouvements exagérés avec ses bras. Un monstre assoiffé de sang a débarqué dans ta chambre et tu n’avais pas d’autre choix que de lui céder toute ta collection de jeux de société pour qu’il te laisse la vie sauve ?

  • Tu n’y es toujours pas.

  • Ok. J’abandonne, fait-elle en se laissant tomber sur le lit. C’est quoi du coup ?

  • Eh bien ça va peut-être te surprendre, mais en fait j’ai rangé ma chambre.

Tout en se redressant, elle ouvre de grands yeux écarquillés, singeant la stupéfaction.

  • Alors ça ! C’était de loin l’hypothèse la moins plausible !

  • Ça va ? Tu as fini de te payer ma tête ?

Comme toute réponse, elle se lève, va jusqu’à mon bureau, saisit une feuille blanche et un stylo, me les tend et dit:

  • J’ai une idée de jeu.

Je prends le stylo et la feuille et l’écoute.

  • J’ai commencé à écrire une histoire…

  • C’est vrai ?

  • En fait, j’ai écrit le premier chapitre et je voulais te le montrer. Et comme je suis nulle en dessin, je me demandais si tu…

  • Si je peux dessiner les personnages ?

  • Ouais.

  • Cool !

  • Du coup, je vais te lire et toi tu imagines à quoi ressemblent les personnages. Ça te va ?

  • Ok. Bonne idée.

Elle sort un cahier à spirales de son sac à dos et commence à lire. L’histoire se passe dans une montagne, loin, très loin au-dessus des nuages. L’héroïne, Marla, est immortelle. Elle a passé son existence à explorer toutes les passions possibles et inimaginables. Après une éternité à toujours essayer ce qu’il y avait de plus nouveau, elle a fini par en faire le tour. Elle s’ennuie.

C’est sa rencontre avec un certain Monsieur Lenoir qui va, un jour, tout changer pour elle. Monsieur Lenoir a consacré sa vie à escalader la montagne et maintenant qu’il se fait vieux, il cherche un endroit pour se reposer. Fascinée par cette homme et sa persévérance, Marla retrouve le sourire. L’histoire du vieil homme mortel lui donne envie de croire à nouveau en la magie des choses simples, des moments passés ensemble…

Au fil de la lecture, je laisse le stylo courir sur la feuille sans penser. Libre, il se courbe, se tord, glisse, revient, se soulève brusquement, se repose délicatement, suivant son cheminement saccadé, n’écoutant que la voix de Juliane. La voix suave et mélodieuse de Juliane. Comme ses lignes entrent et résonnent dans ma tête, mes lignes à moi se déchaînent sur l’espace blanc, vagues créatrices du visage de Marla. Ses yeux, d’un bleu éclatant, miroir du ciel. Sa bouche, aux lèvres délicates de papier fin. Son nez aquilin, relief de douceur. Ses cheveux courts et bouclés, soie ambrée. Ses lunettes vermillon…

Je sens le point final venir. Je ferme les yeux et me concentre sur ce visage qui sourit. Je peux voir Marla. Je les rouvre pour ajouter une dernière touche à mon ébauche. Plutôt satisfait du résultat, je le lève devant moi et observe. À peine mon stylo reposé, la dernière phrase s’évanouit, laissée en suspens. Juliane quitte lentement son cahier, encore plongée dans son univers.

  • C’est fou… murmure-t-elle, ébahie à la vue du dessin.

  • Quoi ?

  • C’est exactement comme ça que je l’imaginais.

Elle me prend la feuille des mains, délicatement mais avec fermeté.

  • Je pourrais le garder ? questionne-t-elle, les yeux pétillants d’admiration.

  • Euh… Oui. Bien sûr.

  • Trop cool ! Merci beaucoup Anto ! Je t’adore !

Apparement très reconnaissante, elle se jette sur moi pour me serrer vivement dans ses bras. Je sens sa poitrine contre mon coeur, et mes joues s’empourprent du même vermillon que les lunettes de Marla.

  • T’es vraiment le meilleur voisin.

Elle relâche son étreinte. Faisant bien attention à ne pas froisser mon dessin, elle le glisse entre deux pages de son carnet.

  • Tu sais, quand je serai connue pour mes livres, tu pourras faire les illustrations.

  • Les… les illustrations ? bégayé-je, encore un peu étourdi.

  • Ouais. Je voudrais que ce soit toi qui fasse les illustrations de mes livres plus tard. Mais seulement si t’es d’accord.

Elle me sourit.

  • Bien sûr que je suis d’accord !

On continue à discuter encore un peu de son roman. La relation entre Marla et Monsieur Lenoir. Bien qu’elle soit au moins mille fois plus âgée que lui, elle le considère comme un père. Il lui apprend à renouveler son regard sur les choses et elle se rend compte de son ignorance, consternée d’avoir pu vivre si longtemps sans connaître la véritable valeur des émotions et des sentiments. Elle admire la sagesse de cet homme qui a réussi à comprendre le monde et se comprendre lui-même en l’espace de ce laps de temps si court qui lui a été conféré pour seule vie.

Bien vite, une bonne odeur vient nous chercher depuis en bas. On descend les escaliers à toute vitesse, hâte de découvrir ce qu’on va manger. Timing parfait puisque ma mère ouvre la porte de la cuisine à l’instant et sort, portant un plat de…

  • GRATIN DE CHOU-FLEUR !

Inutile de le préciser mais j’adore le gratin de chou-fleur.

On passe immédiatement à table. Face au gratin, je me sers une part plus que généreuse. Ma mère me regarde comme si je venais de commettre un meurtre. Pour le geste, je remets une cuillère de mon assiette dans le plat. Ça m’a l’air d’être encore pire.

  • Mon fils, tu viens de commettre un crime contre l’humanité toute entière.

On se met tous à rire.

La soirée se déroule parfaitement. Pendant qu’on mange, un concours de l’histoire la plus farfelue se lance. Quelques-unes réelles, la plupart complètement inventées. Puis vient le tour des fourches-langues avec les fameuses chaussettes sèches de l’archiduchesse et le pauvre chien du chasseur sachant chasser, laissé pour compte. Au détour d’autres éclats de bonne humeur, Juliane évoque ses projets et ma mère lui souhaite le meilleur.

  • Vous faites une fine équipe tous les deux.

Le repas terminé, la table débarrassée, la vaisselle nettoyée, Juliane propose de regarder le DVD qu’elle a apporté. Mais avant ça, ma mère veut lui montrer où elle va dormir.

  • Promis, après je vous laisserai tranquille !

En haut, elle sort un matelas en plastique et le gonfle. Elle y ajoute un coussin et une couverture assortis Roi Lion.

  • Anto. Que dirais-tu de laisser à l’invitée la place de ton lit ? Toi, tu pourras dormir sur le matelas gonflable.

  • Euh… Ouais, ok, hésité-je.

  • Non mais vous en faites pas madame, réplique Juliane. Ça ne me dérange pas de dormir par terre. Et puis c’est le lit d’Anto après tout. Je ne voudrais pas… comment dire… m’approprier sa chambre ?

  • Je pense que ça ne dérangerait pas non plus Anto de te céder ce droit rien que pour cette nuit.

  • Vraiment. Ça ira.

  • Comme tu voudras. C’est l’invitée qui décide ! En tout cas, si vous avez besoin de quoi que ce soit, je serai dans ma chambre. Je vous souhaite un bon visionnage de film.

  • Merci.

Sur ces mots, elle quitte la salle et nous faisons de même. Pour la deuxième fois de la soirée, on descend les escaliers à toute vitesse. Dans le salon, on allume la télé et Juliane ouvre le coffret DVD pour insérer le disque à l’intérieur du lecteur.

Le générique du début commence. On voit le titre s’afficher en grand : ”La Poudre Verte” On s’installe dans le canapé et je m’empare de la télécommande du son pour augmenter le volume. Sur l’écran, le nom des acteurs principaux défile sur une musique mystérieuse, thème fantastique.

Le film amorce avec une scène tragique au fin fond d’une forêt dans une contrée lointaine et inconnue. Un homme esseulé se traîne jusqu’à un ruisseau et rend son dernier souffle avant d’avoir pu enfin étancher sa soif. Les esprits de la forêt s’agitent. Sa mort n’était pas prévue ainsi et dérègle l’ordre naturel des évènements.

L’histoire déroule son fil de narration et les images défilent. Les mots se mélangent dans des dialogues qui s’enchaînent. Juliane et moi, on ne regarde plus vraiment le téléviseur. Pas que le film soit mauvais. Il ne nous intéresse plus trop. À la place, on parle. On parle et on parle encore. De tout. Avide des mots de l’autre.

Lorsque la dernière note du générique de fin résonne, comme sortis d’une transe, on se regarde, hébétés. Le temps est passé si vite. Il passe toujours si vite avec Juliane.

Doucement, on grimpe les marches jusqu’à l’étage, faisant attention à ne pas trop faire grincer le vieux bois du plancher. Dans ma chambre, le réveil indique 23:12. Ma mère s’est peut-être déjà couchée. La lumière qui filtre en-dessous de sa porte me répond que non. Étrangement, je me sens plus fatigué qu’hier. Je m’écroule sur le matelas. Juliane éteint la grande lumière et j’attends qu’elle s’installe sur son lit gonflable pour éteindre celle sur ma table de nuit.

Noir complet.

J’essaie de ne plus penser à rien. Avec elle, j’ai l’impression que je ne ferai plus de cauchemars. Je vais juste… respirer. Inspirer, expirer.

Le temps défile au plafond de ma chambre et mes paupières déjà bien lourdes commencent à se fermer.

  • Dis, Anto. Tu dors ?

  • Pas encore.

  • Moi non plus.

  • Ben oui. J’avais compris.

  • Je voulais juste dire…

  • Quoi ?

  • Merci.

De m’avoir invitée.

  • Y a pas de quoi.

Je me retourne sous les couvertures pour faire face à la fenêtre. On a beau être en hiver, il fait super chaud dans la chambre. Bien sûr, je suis trop fatigué pour aller ouvrir. Je regarde juste la fenêtre comme si elle allait s’ouvrir toute seule. Comme par magie.

  • Et là ? Tu dors ?

  • Non.

Je l’entends s’agiter dans son lit et je l’aperçois du coin de l’oeil qui retourne son oreiller.

  • Ta mère est vraiment sympa.

  • Ouais.

  • C’était vraiment génial ce soir.

  • Ouais.

  • Je veux dire…

C’était déjà cool hier mais aujourd’hui c’était encore mieux.

Je me retourne à nouveau, observant sa silhouette dans la pénombre.

  • Tu sais, j’ai pas l’air comme ça… commence-t-elle.

Mais en vrai…

  • Oui ?

  • Ben…

Elle se redresse et me renvoie mon regard.

  • Je te le dis parce que je te fais confiance.

  • Vas-y. Accouche.

  • C’est pas souvent que je suis contente.

  • Pourquoi ?

  • Je sais pas. Peut-être que je suis déprimée de naissance.

En fait, j’arrive jamais à être enthousiaste pour quelque chose.

Et la plupart des gens m’ennuient.

  • Et moi ?

  • Non, pas toi…

Toi, t’es cool.

Je ne pourrais pas le deviner dans l’obscurité, mais je crois qu’elle me sourit.

  • Tu sais, j’oublierai jamais cette nuit.

  • Moi non plus, lui répondis-je.

Je lui rends son sourire ombreux.

  • Moi aussi, je peux te dire un truc ?

  • Ouais.

  • J’ai inventé une histoire.

  • Ah oui ?

Vas-y, raconte.

  • C’est un truc d’horreur.

Bouche-toi les oreilles si ça fait trop peur.

  • Tu me prends pour qui ? Je suis pas une chochotte, ça va !

  • Ok, ok. Je plaisantais.

Elle allait presque se lever pour m’en mettre une.

  • Je m’excuse. T’es pas une chochotte.

Elle se recouche, satisfaite de mes excuses.

  • Manifestement.

  • Alors…

Ça se passe dans une petite ville.

C’est l’histoire d’un garçon, à peu près mon âge. Tout se passe bien dans sa vie. Mais une nuit, des choses étranges vont se produire.

  • Quoi comme choses étranges ?

  • Il va entendre des bruits inhabituels. Des voix qui susurrent, des craquements dans la maison. La porte de sa chambre est fermée donc il ne peut pas voir ce qu’il y a dans le couloir. Terrifié, il se cache sous les couvertures. Quand les bruits s’arrêtent il se sent en sécurité. Seulement, ce n’est que pour mieux reprendre. Quelqu’un toque à sa porte. Doucement d’abord puis de plus en plus fort. Le garçon a l’impression que la bâtisse toute entière est en train de trembler sous les coups de la chose de l’autre côté. Il a si peur. Il appelle au secours mais personne ne lui répond. Comme s’il était seul. Seul avec… ça.

Le lendemain, quand il se réveille, il ne se rappelle même plus s’être endormi, ni quand est-ce qu’il s’est endormi. Il se rappelle juste qu’entre deux martèlements féroces, il avait entendu ”bonne nuit”. Il se dit que tout ça n’est qu’un cauchemar un peu trop réaliste. Il prend son petit-déjeuner, remonte pour se brosser les dents et quand il entre dans la salle de bain… En lettres capitales sur le miroir ont été inscrits les mots ”BONNE NUIT”.

Il en a assez. Il veut connaître la vérité qui se cache derrière ce mystère. Il décide d’inviter une amie pour dormir chez lui la nuit suivante, pour être certain qu’il n’est pas devenu fou. Encore qu’il préférerait sûrement l’être…

  • Et ensuite ? Qu’est-ce qu’il va se passer ?

  • Je sais pas.

Justement, c’est à cet endroit que je coince.

Je me demande ce qui va arriver aux personnages.

  • Ok.

Finalement, je me décide à aller ouvrir la fenêtre.

  • Peut-être qu’ils vont disparaître, propose Juliane.

  • De quoi ?

  • Les personnages.

Peut-être que tu pourrais les faire disparaître.

De retour à mon lit, je regarde Juliane une dernière fois avant de me glisser sous la couette.

  • Oui, tu as raison…

Peut-être qu’ils vont disparaître.

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