- Café -

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Mercredi 16 octobre 2002, Down-Town, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.

Penchée sur son rapport de mission depuis deux heures, Maria soupira puis se leva. Elle méritait bien un café. Et une pause. Adrián était en arrêt maladie pour deux semaines après s’être blessé au cours de leur dernière sortie sur le terrain. Depuis, les journées étaient inhabituellement longues. Ne s’étant pas fait spécialement d’amis parmi les jeunes recrues de S.U.I, Maria prenait ses repas seule et remontait le chemin de son appartement sans les plaisanteries de son ami. Le monde était bien silencieux et morne sans Adrián.

Des salles de repos ponctuaient les locaux de S.U.I. S’il n’y en avait pas à tous les étages, elles se trouvaient en nombre suffisant pour qu’il y ait rarement la queue. Son stylo encore en main, Maria s’engouffra dans la première salle commune qu’elle rencontra et se hâta vers la machine à café. Elle choisit le plus corsé de tous – sa mère Italienne lui avait transmis son goût des cafés noirs – avant de lorgner le distributeur de snacks. Sa dose d’exercices physiques hebdomadaires lui permettait des écarts dont elle était loin de se priver. Tandis que le café coulait dans un gobelet en carton, elle commanda une barre chocolatée qui ne tarda pas à craquer sous ses dents. Même si le temps s’était rafraîchi depuis deux jours, le soleil se paraît de ses meilleurs éclats dans le ciel d’un bleu cinglant. Maria se colla à la baie vitrée, gobelet en main et friandise en bouche, pour profiter de la chaleur des vitres.

Des voix troublèrent le silence dans son dos. Deux collègues entrèrent dans la salle de repos. Au moins un homme, jugea Maria à la lourdeur de ses pas. D’un coup d’œil par-dessus son épaule, elle s’avisa que la deuxième personne était aussi de la gent masculine. Sa présence lui tira une moue renfrognée.

— Oh, salut, Maria, lança le plus grand des deux hommes avec un geste de la main.

— Salut, Mike. (Elle tourna la tête vers son partenaire, hocha le menton.) Ethan.

Comme souvent au sein des locaux de S.U.I, les deux jeunes hommes avançaient d’un pas assuré, les mentons hauts et les regards imperturbables. Maria leur enviait leur assurance. Elle aussi aurait aimé arpenter les couloirs comme s’ils lui appartenaient.

Avec un sourire crispé, elle se rappela que c’était en partie vrai pour l’un des deux hommes.

— On te dérange pas, j’espère, ajouta Michael en lorgnant sa collègue.

— Pas du tout. La salle m’appartient pas, hein.

Elle ne put s’empêcher de zieuter vers Ethan. Il capta son coup d’œil, fronça les sourcils.

— J’ai vu qu’Adrián était pas là. Malade ? entama Mike avant que le silence s’installe pour de bon.

— Entorse de la cheville. Entre l’attelle et le renforcement, il en a bien pour deux semaines avant de pouvoir repartir sur le terrain. En attendant, je remplis de la paperasse et j’aide d’autres unités.

— Oh, d’accord ! Tu lui souhaiterais bon rétablissement de ma part.

Maria hocha la tête, retourna à la contemplation de l’horizon citadin. Les immeubles avaient poussé sans obstacles au cœur de Modros. Down-Town étendait ses bras vers les quartiers limitrophes sans que ceux-ci le surpassent en densité de population ou d’immeubles. Pour autant, chacun entretenait ses spécificités : Mona attirait les familles aisées, Seludage leur exact opposé.

Dans son dos, ses collègues s’agitèrent.

— Je file aux toilettes, Ethan.

— Ça marche, à tout.

Maria profita du départ de Michael pour se prendre un nouveau café. Ethan la dévisagea sans gêne, l’air suspicieux.

— Tu m’aimes pas beaucoup, hein ?

— C’est pas tant toi que ce que tu représentes, Ethan.

L’intéressé fronça les sourcils, incapable de comprendre où elle venait en venir. Avant qu’il puisse la relancer, Maria indiqua le distributeur.

— Tu veux un café ? J’ai encore du solde.

Ethan observa tour-à-tour la machine et sa collègue. Les yeux verts le perçaient et le pressaient.

— Va pour un café, marmonna-t-il en fouillant sa poche à la recherche des piécettes qui complèteraient la somme.

Maria s’écarta pour qu’il puisse finaliser sa commande. Elle s’étonna de son odeur de miel, glissa les yeux le long de sa silhouette élancée. Ses manches étaient élimées, l’arrière de son jeans troué aux genoux. Quant à ses sneakers, leur blancheur n’était plus d’actualité. Maria ne jugea pas la négligence de sa tenue – elle-même accordait assez peu d’attention à ses vêtements – mais ajouta cette interrogation à son esprit. Elle s’était imaginé que le fils de la fondatrice se baladerait avec des tenues de qualité. Et, à y regarder de plus près, non seulement l’accoutrement d’Ethan n’était pas de la dernière fraîcheur, mais ses cheveux étaient aussi désordonnés que ses joues mal rasées.

Cette constatation fit sourire Maria dans son coin. Ethan Sybaris, fils de la fondatrice de S.U.I et récent agent de la A.A, avait l’air de sauter du lit en urgence le matin.


Ethan observait la boisson sombre au fond de son gobelet. La nausée lui remonta fugacement la gorge. Il déglutit péniblement pour la chasser, leva les yeux pour s’assurer que Maria n’avait pas remarqué son dégoût passager. Il détestait le café. Son truc, c’était le thé. Pas cette immonde boisson amère qui lui tordait les intestins. Mais, sous le joug du regard inquisiteur de Maria, il avait cédé. Ses cinq pauvres heures de sommeil lui réclamaient aussi un excitant. Il n’aurait jamais dû céder aux supplications de Mike et jouer jusqu’à deux heures du matin. Contrairement à lui, Michael se remettait bien des nuits courtes. Et il aimait le café.

— C’est trop chaud ?

La question de Maria fit frémir le silence et l’estomac d’Ethan. Il se fit pourtant violence pour secouer la tête et tremper les lèvres dans la boisson. Le café fumant lui brûla la langue et l’œsophage. Il toussa, renversa à moitié son gobelet et afficha une grimace consternée.

— C’est dégueulasse.

Hébétée, Maria contemplait les taches de boisson sur le t-shirt de son collègue.

— Je suis d’accord pour dire que c’est beaucoup moins bon que du café fait chez soi, mais de là à se le cracher dessus…

Tandis qu’Ethan secouait son col pour faire sécher le liquide, Mike fit son retour. Il engloba la scène d’un regard, plissa les paupières puis s’approcha.

— Eth’, tu fais quoi ?

Le concerné, qui avait reposé son gobelet de dégoût, tira la grimace.

— J’ai voulu boire un café.

— Mais… tu aimes pas ça.

Ethan cingla son partenaire du regard.

— Je sais.

Mike le dévisagea d’un air stupéfait, interrogea Maria d’un haussement de sourcils.

— OK, je veux pas savoir, capitula-t-il en levant les mains.

Alors qu’il récupérait le gobelet de son partenaire pour éviter le gâchis, Maria s’approcha d’Ethan.

— Pourquoi tu en as pris si t’aimais pas ?

— J’avais besoin de me réveiller. Petite nuit.

Maria hocha la tête, compatissante. Les cernes sous les yeux de son collègue présentaient en effet une teinte sombre caractéristique.

— Je préfère le thé, en fait.

Maria ne put s’empêcher de sourire de surprise. Face à son expression, Ethan se renfrogna.

— Quoi ?

— Rien, je m’attendais pas à ça venant de toi.

Saisissant l’opportunité qui se présentait à lui, Ethan planta un regard sévère dans celui de sa collègue.

— Tu as l’air d’avoir quelques aprioris sur moi.

— Seulement « quelques » ? répliqua Maria avec un sourire en coin. Pour être honnête, je te pensais aussi… plus propre sur toi.

— Je t’ai dit, petite nuit, grommela l’intéressé.

Il était vexé qu’elle ait remarqué la négligence de son apparence.

— Et puis, ajouta-t-il en redressant le menton, t’es pas non plus une figure d’apparence soignée.

Maria porta un regard jaugeur à sa tenue – t-shirt serré, legging de sport – avant de hausser les épaules. Elle préférait les tenues décontractées à celles plus sophistiquées. Ça avait toujours été le cas, bien qu’elle s’essaie de temps en temps à des choses différentes.

— Je sais que tu te rappelles pas de moi quand on était à l’École de S.U.I ensemble, mais mon style était encore pire.

Une lueur dansa brièvement dans les prunelles ambrées d’Ethan.

— Je me rappelle un peu de toi, quand même. Avec Adrián, vous passiez votre temps à jouer aux cartes et à boire des sodas.

— Je démens pas, soupira Maria en levant des mains innocentes. Au moins, les profs m’aimaient bien.

Un rictus étira les lèvres de son collègue.

— C’est un coup bas, ça.

Comme Mike venait de terminer le café abandonné par Ethan, il lui fit signe avant d’indiquer la porte.

— On te laisse, Maria, les super rapports de mission nous attendent.

Calée contre le canapé, l’intéressée les salua d’un hochement de tête.

— Courage, le mien m’attend aussi.

Michael attendit qu’ils soient dans les couloirs pour tapoter son partenaire entre les omoplates.

— C’était quand même pas bien malin cette histoire de café. Tout ça pour pas perdre la face devant Maria ?

Ethan fronça les sourcils avant de répliquer fermement :

— C’était pour essayer de rattraper la soirée que tu m’as forcé à passer devant les jeux vidéo que j’ai bu du café.

— Comme si je pouvais vraiment te forcer à jouer. T’as pas besoin de moi pour ça. Mais, bien joué, je crois que tu as eu ta première véritable discussion avec Maria.

Ethan lui adressa un regard perplexe que Mike ignora. Il ne voyait pas ce qu’il y avait de remarquable là-dedans.

Mais Michael souriait dans sa barbe. Mission réussie.

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