Retour au bercail
Ils roulèrent à vive allure à travers la campagne froide et obscure. La route était par endroit enneigée, mais ils gagnèrent rapidement un important axe routier et avalèrent les kilomètres pendant quelques heures.
Peu à peu, l'aurore se leva, et ils commencèrent à distinguer au loin une grande lueur rougeâtre. Mais cette lumière n'était pas que celle de l'aurore. Deux tâches lumineuses se concurrencèrent un instant à l'horizon, puis l'évidence s'imposa d'elle-même : un immense brasier brûlait à une centaine de kilomètres d'eux, provoquant l'illusion d'une nature se réveillant à la lumière d'un double soleil. Ainsi reconnurent-ils au loin les abords d'une grande ville, mais la route se fit progressivement difficile. Le bitume avait été arraché ou fondu par endroit et plus aucun arbre ou panneau ne tenait debout, révélant un paysage décimé.
L'Agent prit quelques bretelles relativement épargnées, et ils purent pénétrer dans ce qu'il restait finalement de Paris. Dockman reconnut avec horreur certains bâtiments, certaines grandes places qui avaient été comme soufflées par le feu.
Evitant les obstacles qui jonchaient en nombre la chaussée, ils roulèrent encore quelques temps avant de ralentir et de se garer finalement au pied d'un immeuble encore debout. En descendant de la moto, il eut un choc : il reconnut la petite plaque noircie numérotée à côté de la porte d'entrée.
- Mais c'est chez moi ! s'exclama-t-il, incrédule.
- Entrons, vite. coupa l'homme en blanc.
Ils poussèrent la porte entrebâillée et montèrent les marches qui menaient au premier palier. Dockman se précipita vers l'entrée qui lui était familière et tenta de l'ouvrir, en vain.
- C'est plutôt bon signe, commenta l'Agent. Personne, pillards ou survivants, n'est encore entré ici.
Il s'avança devant la porte à son tour, et sortit du côté de sa ceinture un objet brillant et mince. Il l'appliqua dans la serrure et un déclic se fit entendre. Celle-ci s'ouvrit doucement et ils entrèrent dans l'appartement, puis il referma le verrou derrière eux. Dockman contempla alors ce qui avait été autrefois son lieu de vie lorsqu'il était étudiant. L'appartement montrait des traces d'occupation par d'autres, mais elles n'étaient pas évidentes : la tempête de feu qui avait ravagé la ville avait pénétré par les fenêtres et brisé, brûlé, tordu tout ce qui pouvait l'être. Complètement déboussolé, il s'affala sur un canapé à moitié brûlé et jonché de débris. Son comparse referma les volets en volets en bois, puis trouva une bougie qu'il alluma. Il fit une pile avec quelques bouts de chaises et de meubles épars et la posa dessus, éclairant modestement le salon dans lequel ils se tenaient.
Dockman se prit la tête dans les mains. Tout cela lui tournait, et il était épuisé. Mais il repoussa sa capuche noire et fixa intensément l'inconnu en uniforme blanc : il était temps d'avoir des réponses.
- Je veux tout savoir...
- Je le sais. Je peux vous apporter quelques éléments de réponse. Nous sommes en sécurité, pour le moment. Il tourna la tête un bref instant, à l'affût d'un mouvement ou d'un bruit quelconque, puis il le regarda de ses yeux étincelants. Lentement, il s'accroupit, et commença d'un ton monocorde :
- Nous sommes en 2031. Vous avez subi un choc traumatique il y a longtemps... votre coma aura duré trente-quatre ans. Nous vous attendions. Nous vous espérions, même si les derniers évènements ont détourné notre attention vers d'extrêmes urgences...Vous êtes l'Agent 1, et nous avons besoin de vous pour gérer la crise actuelle mondiale et continuer la mission de notre section.
L'homme avait parlé d'une voix calme inhabituelle, étrangement neutre, sans émotion. Ses yeux ne quittaient pas Dockman, et le blanc qu'il laissa un instant accentua le sentiment de malaise qu'il commençait à ressentir.
- En tant qu'Agent 2, je suis sous vos ordres. Dès que vous irez mieux, nous pourrons...nous pourrons r... Il grimaça soudain et secoua la tête. Quelque chose semblait le gêner.
- Nous pourrons repartir et revenir au Pôle...au Pôle Central...
Cette fois il ne put terminer sa phrase. Au prix d'un effort visible, l'homme prit une profonde inspiration et parla pour la première fois avec sa voix naturelle, mais avec difficulté :
- Je...peux...vous aider mais...je peux également vous être un obstacle, articula-t-il difficilement. Il vous cherche, et il ne doit pas...vous trouver... Evitez également la Section, ils...sont comme...moi, sous contrô...Il grimaça plus fort et tenta de reprendre ses esprits, laissant un bref silence s'installer.
Soudain, on frappa à la porte. Trois coups sourds retentirent et déchirèrent la pièce sombre.
L'Agent 2 bondit sur ses pieds mais une vieille voix se fit entendre depuis le palier à cet instant, résonnant sinistrement :
- Il arrive...
Le soldat s'élança d'un coup vers la porte, mais au même moment le sol se souleva et les lames du plancher volèrent en éclat en un fracas gigantesque, projetant des débris dans toute la pièce et le catapultant violemment. Dockman hurla sous la violence du choc et le sol se déroba sous le canapé qu'il occupait. Chutant par le trou béant, il s'écrasa au beau milieu de la cuisine de l'appartement inférieur sur une table couverte de cendre et de poussière qui plia instantanément sous son poids.
Terrifié, il se releva sans trop de mal dans le vacarme environnant, mais une immense poussière le plongea instantanément dans un brouillard irrespirable. Avançant en tâtonnant, il se dirigea vers un endroit où la visibilité redevenait meilleure, et l'espoir de s'en sortir précipita ses mouvements. Brusquement, un déchirement du voile opaque lui fit entrevoir le vide dans lequel il était sur le point de se jeter et il s'arrêta net : la fumée s'échappait par tout un pan de l'immeuble qui n'avait plus de mur, et son regard se perdit huit mètres plus bas. Poussé par l'instinct de survie et la chute de toute part de décombres qui faisaient trembler tout l'édifice, il attrapa un bout de gouttière tordue qui se dressait à l'extérieur et s'y agrippa pour descendre et tenter d'atteindre la cour extérieure en contrebas. Celle-ci tint bon, et il parvint non sans de multiples écorchures à glisser lentement le long et à poser enfin les pieds sur le sol.
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