Chacune de ses écailles accueillait la chaleur du zénith, tandis qu’elle languissait sur son rocher brulant. Elle se gorgeait de ces caresses brutales, son corps gonflait sous le plaisir, tendant sa peau luisante. Elle était tellement belle, divine, son hâle orné d’une captivante tresse de jais. Son poitrail blanc levé vers le ciel, elle ne cillait pas.

Alors que le soleil déclinait, elle s’étira paresseusement et glissa jusqu’à la plage caillouteuse. Elle sélectionnait les pierres les plus pointues, les plus irrégulières, pour frotter ses squames. Elle s’immisça dans l’eau du lac sans un bruit ni un remous. La fraicheur l’engourdit quelques instants, avant qu’elle n’ondule vigoureusement, pour détacher sa mue. De ses mains libres, elle arracha les lambeaux qui s’accrochaient à ses cuisses. Lorsqu’elle émergea, telle la charmeuse du Douanier Rousseau, les derniers rayons miroitèrent sur les quelques écailles qui demeuraient, souvenirs des baisers du soleil. Un triangle luisait entre ses seins lourds et la frise noire s’enroulait autour de ses jambes puissantes, de son ventre et de ses bras.

Le son de la fête du village lui parvenait de manière étouffée. Elle savait que des noctambules imprudents ne tarderaient pas à venir chercher fraicheur et intimité sur les berges. Il suffisait d’être patiente. L’eau goutait en douceur sur le sol pendant qu’elle donnait son visage à la lune, qui baignait ses pommettes saillantes et son menton pointu. Ses pupilles fendues observaient l’obscurité croissante. Titubante, sa proie arriva enfin. La nouvelle Eve se coula dans un rayon lunaire. Le jeune homme crut d’abord à une hallucination née de ses excès, avant de se persuader qu’il s’agissait d’une offrande bien méritée. Il suffisait de la coucher dans l’herbe grasse, cette femme consentante. Il suffisait de l’approcher, ce mâle désirant. Il ne s’interrogea même pas sur ces étranges lueurs qui parsemaient son corps mat, il remarqua à peine ses tatouages, pensant qu’Hécate jouait avec ses sens. Il ne voyait que le balancement de sa poitrine ronde, accompagnée par la danse des aréoles foncées. Une légère poussée le fit tomber au cœur du bosquet. La mystérieuse sinua sur lui, tout en le déshabillant. Elle semblait chanter, susurrer quelques secrets trop anciens pour l’humanité. Elle darda sa langue sur sa peau nue et blanche. Il frémissait, offert pour la première fois de sa vie à une autre volonté que la sienne. Il sursauta lorsqu’elle referma ses cuisses sur ses hanches. Une inquiétude fraya en vain jusqu’à sa conscience déclinante. Il oublia tout au moment où la créature s’empara de lui.

L’homme semblait endormi quand la serpentine se releva. Son ventre faisait déjà écho à la lune pleine. Son moment favori était arrivé. Plonger, se laisser couler, remonter en crevant la surface, grâce à la poussée vigoureuse de ses jambes. Roulades, cabrioles… c’était l’heure où la fille du soleil devenait enfant de l’eau. Elle se sentit soudainement pesante. Les serpenteaux ne tardèrent pas à glisser hors d’elle, avant de venir se réfugier contre sa poitrine. Adorables petites têtes aux grands yeux noirs dans ces profondeurs. Alors qu’ils la tétaient doucement, un peu de lait s’échappait, formant une brume légère. La belle enroula ses bras autour de ses jambes repliées et se laissa tomber au fond, sur un tapis limoneux. Le halo lacté les faisait à la semblance d’une grosse perle nacrée. Les amants qui regagnaient le village pensaient apercevoir le reflet de la lune sur la surface sombre du lac.

Ce n’est que deux jours plus tard qu’une sœur inquiète trouva son frère, nu et paisible, étendu en son dernier refuge. Deux trous rouges au flanc.