La Petite Ourse

2 minutes de lecture



Elle a 10 ans et personne ne l’aime. Si sa sœur et elle ont été placées pendant une période, c’est à cause d’elle. Sa mère le lui a dit et sa grande sœur le lui répète. Le père… Quel père ?


Elle jouait avec son caca, elle est mauvaise. À cause d’elle, les services sociaux risquent de les séparer à nouveau. Tout devient sale autour d’elle : sa table de classe est pleine de feutre en fin de journée, comme ses mains et sa figure. Ses cheveux en bataille sont régulièrement infestés de poux. Elle sent le pipi de chat, toutes ses affaires sont imprégnées de cette odeur fétide. Elle ment, elle vole. Personne ne l’aime.


La femme devant la porte accueille les élèves, elle l’observe. Son t-shirt à manches longues est bombardé de tâches. La professeure des écoles se rappelle la dernière séance d’art, quand la petite lui a montré son dessin : « C’est beau, maitresse ? — Regarde, le feutre déborde, les couleurs se mélangent. Ce n’est pas réussi, les consignes ne sont pas respectées. » Et elle part, emportée par les sollicitations. La maitresse y repense. Elle programme une remédiation : elle proposera l’utilisation de crayons de couleur, car même les feutres fuient devant la petite.


L’élève a été absente : elle devait voir un ORL. Cette annonce de rendez-vous a rassuré son enseignante, car la petite respire si mal qu’elle doit prendre de la ventoline régulièrement. Ce n’est pas un pneumologue, mais cette visite sera surement utile. L’absence qui devait durer une journée s’est prolongée. La mère écrit que l’enfant était malade, et elle apportera sans faute un certificat médical. La professeure attend toujours. Quand l’enfant revient, sa maitresse l'interroge : « Ta visite chez le médecin s'est bien passée ? » La gamine répond qu'elles n'y sont pas allées. Elle trouve des excuses pour sa mère, s'emmêle dans des explications contradictoires, alors que son enseignante ne lui demande rien. L’enfant sait qu’elle doit répéter les discours appris à la maison, sinon les services sociaux briseront sa famille, et ce sera entièrement de sa responsabilité.


Dans la classe, la gamine met la capuche de son gilet miteux. La maitresse préfère ne pas s'attarder sur les boulettes qui s’accrochent au tissu râpé. Sur la capuche, de petites oreilles sont cousues. La maitresse s’exclame : « Oulalala, tu ne dois pas mettre la capuche en classe ! » La petite s’excuse et la rabat. La femme, si grande et à l’allure si moelleuse, sourit pourtant : « C’est que c’est trop mignon ces petites oreilles ! Tu ressembles à un ourson ! Je ne vais pas résister et te faire des câlins ! »

Depuis, la petite remet sa capuche quand elle croise la femme. Son regard bleu, clair et affamé, plonge alors dans le sien.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire En attendant la pluie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0