Délaissée par son père et ses proches, la fillette s'ennuyait...

Elle avait beau essayer d'écouter la conversation des adultes, conversation qui s'était rapidement transformée en dispute, elle n'y comprenait rien sauf que son père Tylak n'était pas d'accord avec les deux autres chasseurs. Mais Tylak était un puissant guerrier et on pouvait difficilement s'opposer à sa volonté. Kyra n'avait donc pas le moindre doute sur l'issue du conflit : son père en sortirait vainqueur.

Alors elle cessa d'écouter reprit son activité favorite : ramasser des morceaux de silex et les lancer sur un bloc de glace placé à bonne distance. Mais atteindre la cible n'était pas suffisant, il fallait que le silex s'y enfonce. L'exercice était loin d'être facile pour une fillette de six ans, même pour une femme des glaces de sang-pur.

— Hyaaaarrr !

Le cri de victoire de l'enfant interrompit la dispute des adulte. La pointe du silex s'était plantée au centre de la cible. Tylak hocha la tête avec un sourire d'approbation.

— Ta fille a tout d'une grande chasseresse, murmura Timur Malkomsson. Bientôt elle n'aura plus besoin de nous pour traquer le morse.

Timur Malkomsson et sa compagne, Xaria Jorsvarsdottir, étaient des sang-mêlés, leur petite taille (à peine deux mètres quarante) le montrait clairement. Le père de Timur et le grand-père de Kyra étaient deux humains qui s'étaient égarés dans la grande plaine de glace bien des années plus tôt. Mais Malkom, le père de Timur, avait attiré l'attention des anciens par son intelligence et son courage, sa peau sombre les avait également surpris car les égarés avaient généralement une peau claire, presque blanche. La plupart des égarés étaient plus rusés et plus ambitieux que les hommes des glaces à peau bleue. Malkom ne faisait pas exception à la règle et ses ruses de guerre avaient plus d'une fois mis en déroute les féroces skraelings qui attaquaient régulièrement les chasseurs isolés.

— Oui, acquiesca Tylak. Ma fille sera une grande chasseresse...

Puis il réalisa que Timur essayait de l'embobiner.

— Elle sera une grande chasseresse, reprit-il, mais pour l'instant elle n'est qu'une enfant sans mère et elle a besoin d'être en sécurité. Nous avons fait une bonne chasse, mais la saison chaude revient. Celle où la glace se brise sous les pieds des grands-hommes et où les skraelings viennent rôder sur nos terrains de chasse. Nous avons assez de viande, assez de graisse et assez de fourrures pour l'année à venir. Pour moi, il faut rentrer.

— Nous avons besoin de pointes de flèches, et les marchands norrois demandent toujours plus de fourrures ou de dents de morses en échange... et les épées en métal coûtent encore plus cher. Si nous poussons jusqu'aux grottes, nous aurons peut-être la chance de débusquer un Narwal et on pourra vendre sa corne.

— Les norrois sont des voleurs, répliqua Tylak.

— Peut-être, mais il nous faut des armes en métal. Les harpons en os ne traversent pas les armures de fer des skraelings.

— Au village, nous n'aurons pas à craindre les skraelings, ils ne viennent jamais aussi loin sur notre territoire. Ils devraient pour ça traverser la grande plaine de glace. Rentrons maintenant et nous ferons une plus grande expédition l'année prochaine, avec plus de chasseurs.

— Tu dis ça tous les ans, mais ce sera impossible si Kyra nous accompagne dans les expéditions. Si au moins tu reprenais une femme ou si tu la confiais à ses soeur aînées...

— Ça suffit ! s'exclama Xaria. Discuter des heures, encore et encore, ne servira à rien. Votons !

— C'est celà, renchérit Timur. Votons !

— Voter, soupira Tylak. Toujours voter...

Ils étaient trois, Xaria suivrait l'avis de son compagnon et il savait fort bien qu'aucun argument raisonnable ne les ferait changer d'avis. Entretemps, la fillette avait délaissé son jeu et à présent, elle s'ennuyait... Tylak eut soudain une idée.

— D'accord votons. Mais si nous n'arrivons pas à trancher dans un sens ou dans l'autre, il faudra rentrer.

— Nous sommes trois, fit Timur.

— Nous sommes quatre ! répliqua Tylak.

— Les trois géants tournèrent leurs regards vers la fillette, toute étonnée d'être devenue le centre d'attention des adultes.

— Oui nous sommes quatre, confirma Xaria. Je pense comme Timur que nous devons ramener plus de peaux et de dents de morse avant de rentrer. Il nous reste à demander l'avis de Kyra.

Tylak s'assit à côté de la fillette et la prit sur ses genoux.

— Ma chérie, nous avons fait une longue chasse et nous avons beaucoup de gibier, mais il fait de plus en plus froid et il nous faut bientôt rentrer. Une fois au village, Ta grand-mère Helli nous fera des patés au poisson et le vieux Malkom nous racontera des histoires. Tu es d'accord, bien sûr !

— Oui j'aime bien quand Malkom raconte, il a une drôle de voix...

— Mais on peut aussi rester quelques jours de plus, intervint Timur Malkomsson, le temps d'aller voir si on peut trouver un narwal près des grottes d'acier d'Ussalab. Tu y es déjà allé ?

— Non jamais... Oh papa, je veux voir les grottes, Malkom a dit qu'elles étaient immenses et qu'il y avait encore des objets magiques.

— On ira voir les grottes, soupira Tylak vaincu. Mais si on ne trouve pas de narwal avant les premiers signes de glaces maigres, on rentrera au village.

Les sang-mêlés, Timur à la peau violette et Xaria à la peau bleu pâle, avaient gagné.