-5- Les chasseurs Hurks
Guzog courrait depuis maintenant trois heures sur la plaine verglacée. Un traîneau skraeling le suivant à bonne distance, s’arrêtant quand il s’arrêtait et repartant quand il repartait. Les quatre autre guerriers hurks qui y étaient confortablement installés n’attendaient qu’un signe de sa part pour que l’un d’eux prenne sa place.
« hurks » était le nom que les humanoïdes à face porcine donnaient à leur propre race. Leurs ennemis héréditaires : elfes, nains et bretons les appelaient « les orques » et seuls les norrois et les géants des glaces les qualifiaient de « skraelings », ce qui signifiait en ancien norrois « créature contrefaite ».
Guzog avait largement dépassé sa période de garde, mais il ne voulait pas laisser à un autre la gloire d’être celui qui a vu un géant des glaces en premier. Et surtout pas cet idiot de Snarzog qu’il détestait copieusement.
Tous les mille pas, l’éclaireur s’arrêtait et prenait une minute pour scruter les alentours et renifler les odeurs. Les hommes des glaces étaient dans leur territoire, ils connaissaient le terrain et laissaient peu d’indices. Mais Guzog n’était pas un novice. C’était la troisième fois qu’il participait à une campagne de chasse aux hommes des glaces dans la région, cela faisait de lui un vétéran.
Il s’arrêta pour la centième ou deux-centième fois — il avait perdu le compte — et huma l’air ambiant en comptant les secondes dans sa tête.
Il était épuisé, mais il devait repartir après avoir compté jusqu’à cent. S’il restait trop longtemps, le chef Holor lui ordonnerait de prendre une pause, il devait tenir encore un peu, même s’il n’en pouvait plus.
— C’est mon tour, hurxar Holor ! Grogna la créature. Son temps est largement dépassé.
Dans le curieux patois qui servait de langue aux hurks, « hurxar » signifiait « chef », parce que « xar » voulait dire roi dans la langue d’un des nombreux peuples que les hurks avaient combattus.
— S’il a envie de continuer, qu’il continue, répondit le chef Holor en haussant les épaules. Tant qu’il ne nous ralentit pas, il a le droit de courir, et ce sera pareil pour toi.
— Mais ça fait plus d’une minute insista la créature.
Holor échangea un regard avec le guerrier qui tenait les rênes du traîneau. C’était un personnage massif dont les canines inférieures sortaient de la gueule.
— T’en penses quoi, Gothrum ?
— J’aime pas penser.
— J’ai compté cent-vingt, intervint le quatrième guerrier… mais c’est pas la peine d’en faire une histoire, il vient d’envoyer le signal.
En effet, le trait de lumière qui émanait du bouclier de l’éclaireur mit fin au débat. Guzog se mit à courir vers le traineau.
— Bien vu Puldik ! fit Holor en guise de conclusion. Tu prendras la suite de Snarzog quand il sera fatigué. Ça devrait aller plus vite que pour Guzog.
Il accompagna cette dernière réflexion d’un gloussement moqueur auquel Snarzog répondit par un court grognement.
Ils furent interrompus par l’arrivée de Guzog et son exclamation triomphale.
— Grimpatulik ! Je les ai vu !
— Ne jure pas comme un porcher, protesta Holor. Qu’est ce que tu as vu ?
— Un traîneau d’hommes des glaces, un grand ! Il est passé il y a plus ou moins trois heures, et il se dirige vers le sud. Ils ne se sont même pas donné la peine de masquer les traces.
— Alors c’est sûrement un piège, grogna Snarzog. Il y a deux ans, le démon violet a abusé nos chasseurs avec des fausses pistes, et c’est comme ça qu’il a entraîné Bazeg dans une embuscade,
— Le démon violet ? Interrogea Holor.
— C’est un petit géant des glaces, confirma Guzog. Il nous a posé des problèmes lors des précédentes expéditions. Il est sournois et dangereux… mais les traces que j’ai vu sont celles d’un grand traîneau, tiré par des syamoks alors que le démon violet a un petit traîneau avec des huskies.
— Il a des pouvoirs magiques, ajouta Snarzog en crachant par terre. Il peut changer de forme à volonté. N’oublie pas que c’est un démon.
— Kirikul ! Siffla Guzog. C’est juste un chasseur très malin qui s’est mis de la peinture sur le corps pour se rendre effrayant.
— Un simple chasseur n’aurait pas pu décimer Bazeg et sa troupe.
— Bazeg était un fameux guerrier, intervint Gothrum. J’étais dans sa troupe lorsqu’il pillait les caravanes du Kytar. Un jour, en pleine bataille, je l’ai vu sauter au dessus d’un mur de bouclier norrois et attaquer tout seul les guerriers qui se tenaient derrière. Grâce à lui, on a fait sauter le mur et on les a massacré sans subir de pertes… Il en a tué six à lui seul.
— Oui, un grand guerrier, ajouta Guzog. Sa troupe a été décimée parce qu’il s’est laissé guider par un imbécile doublé d’un lâche.
— Répète ça ! Hurla Snarzog en empoignant son cimeterre.
— Vos gueules ! Aboya Holor. Vous allez fermer vos gueules sinon c’est moi qui m’en charge, et ce sera définitif !
Les deux guerriers rangèrent leurs armes en échangeant des regards de haine.
— Ecoutez-moi, reprit Holor d’un ton plus calme, écoutez-moi bien ! Il y a au bout de cette piste un traîneau d’hommes des glaces, chargé de fourrures, de viande et de cornes, mais il y a aussi des hommes des glaces et vous ne voulez pas qu’ils nous entendent, pas vrai ? Alors écoutez bien ce que je vais vous dire, tous les deux… un traîneau d’hommes des glaces, c’est trois ou quatre individus pas plus, peut-être une famille. Et dans une famille, il y a presque toujours un jeune, vous voyez ce que je veux dire ? Un jeune homme des glaces — ou mieux encore, une jeune fille des glaces —, ça vaut des milliers de pièces d’or sur le marché aux esclaves. Assez d’or pour que chacun d’entre nous puisse s’offrir une armure en véritable acier, des cuirasses sur lesquelles rebondissent les flèches, même avec des pointes en métal… et je n’ai pas envie de rater une occasion pareille à cause de vos chamailleries. Alors on va suivre cette piste, on va surprendre les hommes des glaces au bivouac, on va capturer les plus jeune, tuer les autres et le premier d’entre vous qui la ramène, je lui fends le crâne. Nous sommes tous d’accord ? Alors en route.
Ils reprirent la route, dans un silence presque mystique. Snarzog avait remplacé Guzog et précédait d’un bonne centaine de mètres le traîneau des hurks que Gothrum le costaud et Holor le chef guidaientt à l’avant tandis que Guzog boudait à l’arrière. Entre les deux, Puldik aiguisait consciencieusement son cimeterre, en essayant de ne pas faire trop de bruit pour ne pas importuner son chef.
— S’ils sont aussi chargés que Guzog le prétend, murmura Gothrum, ils ne devraient pas tarder à s’arrêter. On a de bonnes chances de les surprendre alors qu’ils seront épuisés, et leur attelage aussi. Et pour ce qui est du butin, herk herk…
— Pourquoi tu ricanes ? Demanda Holor.
— Parce que j’ai l’impression que même dans le meilleur des cas, on ne sera que quatre à le partager.
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