Silence. Je comprends qu’ils intègrent cette donnée à celles déjà existantes sur mon peuple. Ruka opine et passe à un autre sujet.

— Il m’a fallu m’y reprendre à trois reprises pour réussir à extraire quelques gouttes de son sang. Ou plutôt de sa sève. Enfin, c’est plus complexe que cela. Extraordinaire même !

— Ben alors, tu craches le morceau, oui ? s’impatiente l’homo sapiens de petite taille et à la peau sombre.

Son crâne, exempt de cheveux, luit de centaines de gouttelettes. Il ouvre la bouche pour la première fois. Depuis le début, il ne cesse de tapoter ses doigts sur la table et de lorgner vers moi avec nervosité.

— Harty, soupire-t-elle. Calme-toi un peu.

— Je me calmerai une fois cette choseloin de moi, marmonne-t-il d’un ton inaudible pour ses camarades.

Pas pour mon ouïe fine. J’inspire profondément afin de me pas me laisser posséder par les images de son cou brisé qui surgissent en moi. Supporterai-je encore longtemps les insultes directes ou voilées ?

— Bon, il faut que je vous montre ! s’écrie Ruka. Bien sûr, avec un meilleur microscope, j’obtiendrai de meilleurs résultats, mais…

— Viens-en au fait, la coupe Jak.

Le docteur pose un objet blanc – le fameux microscope – devant lui et l’incite à l’examiner. Jak se penche dessus, l’œil fixé sur le tube. Après quelques secondes, il le tend à Malow et ainsi de suite jusqu’à revenir vers elle. Ils tournent ensuite vers elle un visage incrédule.

— Qu’est-ce qu’on doit comprendre, Ruka ? souffle Harty. C’est toi le doc, ici !

Le petit bonhomme à la peau aussi sombre que l’écorce d’un arbre ne cache pas son exaspération. Il soupire sans arrêt ce qui commence à irriter Irina. Elle lui lance un regard noir. Je songe à mon peuple avec nostalgie. L’harmonie qui régnait contraste durement avec la scène à laquelle j’assiste. Les humains sont si contradictoires. Tellement dissemblables. Leurs dissonances créent un amas de basses vibrations qui m’impacte directement.

Ruka pince l’arrête de son nez en secouant ses longs cheveux.

— Vous avez déjà oublié la dernière réunion à ce sujet ? Petit indice : l’observation du fluide vital du dernier cadavre de Sylvanos. Non, toujours rien ?

— De la sève ? tente Irina. Qu’est-ce qui change dans le cas de Syl ?

Le docteur pointe sa collègue du doigt avec un sourire.

— Voilà la vraie question ! De la sève ! Et rien que de la sève pour chacun des corps observés jusqu’à présent… Mais pas ici! (Elle désigne le microscope). Dans la paroi des phloèmes, on distingue des érythrocytes…

— Ruka ! s’emporte Jak. S’il te plaît, oublie ton jargon scientifique.

Elle soupire et s’assoie sur un siège.

— Des globules rouges.

— Du sang ? soulève Malow, soudain fasciné.

— Exact, confirme-t-elle. J’ai besoin d’effectuer des recherches complémentaires, mais tout pousse à croire que l’Ancien avait raison. Depuis le début.

Tous les regards convergent de nouveau vers moi. Bouches ouvertes ou yeux écarquillés, l’incrédulité déforme leurs traits. Seul Harty garde les sourcils froncés. Mes racines agitées renversent la bassine d’eau. Le liquide se répand sur le sol sous l’indifférence générale. Mal à l’aise, je n’y tiens plus.

— Moi pas comme autres. Pourquoi ?

— Je l’ignore encore, répond Ruka, mais je compte bien le découvrir. Cette première découverte discrédite tout ce à quoi nous pensions à votre sujet ; une race à part. Végétale, extra-terrestre ? Que des suppositions. Mais ce sang en toi nous révèle une autre piste. La seule envisagée par l’Ancien.

— Quoi c’est ?

Jak se racle la gorge. Il prend ensuite la parole :

— L’origine humaine des Sylvanos. Voilà la théorie du plus vieux des hommes d’Anjos.