Le Juste Meurtre
Ce monologue s'inscrit dans le cadre du BAC blanc de 2017. Il se situe dans l'univers de Les Mains Sales, de Sartre. Nous y suivons Hugo, jeune cadre du Parti, idéaliste, dont les patrons ont donné l'ordre d'exécuter Hoederer, leader dont les actions manquent de radicalité. Ainsi, il fallait écrire un monologue délibératif retranscrivant l'hésitation d'Hugo face à ce choix. Celui-ci devait mener à une prise de décision.
Hugo se tient au-dessus d'un Hoederer inconscient. De sa main gauche, il brandit une massue. Il y a peu de lumière dans la salle. Il va allumer la lumière mais celle-ci reste faible.
Hugo : Je veux en être. Lorsque le Parti gagnera, je veux être de ceux qui seront dans cette tour. Et cette tour, elle grandira haut, haut, pour atteindre les nuages. Cette tour, elle grandira et sa lumière baignera chaque enfant affamé. Si le Parti gagne… si je… si je… (la lumière clignote mais tient bon, faiblement. Il saisit fermement sa massue) Si le Parti gagne, il n'y aura plus de larmes, plus de douleur et cette splendide terre deviendra un paradis où l'égalité et la liberté régneront, une terre sans patrons pour maltraiter leurs employés, sans obèses, riches, blancs et arrogants à côté de souffreteux, pauvres, maigres, pieds nus, la manche trop courte, le regard vide, l'âme sombre et demandant de l'aide. Si je le tue, le Parti gagne enfin. C'est dit, il faut qu'il meurt pour cette liberté là, de celles qui ne chutent jamais. Et moi, moi, je ne serais plus dans cet océan de ténèbres, moi, j'aurais l'amour. Plus jamais ces nuits de tourmentes sur un canapé trop grand pour une seule personne. Moi, on m'aimera. (son visage s'éclaircit un instant puis s'assombrit) Le premier coup est déjà porté. Assommé, il partira sans douleur. Cela serait juste. Simple et méthodique, il n'y aura pas de larmes, pas de regrets, plus rien. Le môme du Parti, secrétaire, sans barbe, deviendrait un homme. Hoederer, lui, traître au Parti, faible et misérable, mourrait, comme c'est commandé. (il marque un temps, la lumière s'éteint) Pourquoi en ai-je tant envie ? (il se met à genoux) Ce regard sur ce visage, mon visage, est innocent. Il ne pense pas à mal. Il ne veut que le bien des autres. (il sanglote) Tout le monde l'aimera… (il crie de douleur) Combien de secondes encore dans l'éternité d mon enfer dois-je encore souffrir ? Pourquoi je doute ? Pourquoi ? Pourquoi ?! (il fonce vers le miroir à sa gauche et se regarde) Oh, tu le sais, toi ? Ce qu'il se passera, le sais-tu ? Oh, ne me regarde pas comme cela. Ne me juge pas ! Il le faut. C'est dit. Le Parti a commandé sa mort, j'exécute ! Moi, l'être misérable, mule de combat, chien des égout, je renifle ma cible, et je la tue ! Moi ! Moi ! (il frappe le miroir comme pour se convaincre) Je sais ce que tu penses. (toujours à son reflet) Depuis tout petit déjà, tu te lèves le main, tu regardes le miroir et tu détestes ce que tu vois. Chaque matin, tu te détestes. Cette rage, elle brûle en toi, et tu es le bout de bois ! Tu détestes de voir à quel point c'est vide de lumière à l'intérieur. Je ne peux ! Pourquoi j'hésite tant ?! Tu te détestes pour avoir ce gros bouton rouge dans ta petite tête, ce gros bouton rouge à ne jamais pousser. (il se retourne, regarde ses mains puis avance vers Hoederer) Quand on tue, il n'y a pas de retour en arrière. Cette souffrance, ce meurtre, il va me tuer, m'assassiner. Est-ce que je dois mourir pour les que les autres vivent ? Est-ce qu'il est possible qu'il reste une partie de moi après ça ? Ne sombrerais-je pas dans les ténèbres, loin de l'Amour de Dieu, loin de tout ? Je serais seul la nuit, seul le jour, seul sous l'océan, seul au cimetière, seul chez moi. Et pourtant, je dois avancer, encore et toujours, et une fois arrivé, même là, à la fin de tout, je serais le petit dernier qui ne sait pas s'il mérite de monter ou de descendre… Je ne peux pas l'abattre, non, non, non ! Je vois le futur, je vois ce qu'il sera pour moi. Et ce qui sera pire, c'est lorsque je pourrai vivre avec ça, en moi. Là, je serais perdu. Parfois, il faut savoir être égoïste, ne penser qu'à soi. Parfois, les seuls choix qu'on a sont mauvais, mais l'on doit toujours choisir… Si la liberté en vaut la peine, pourquoi je ne le tue pas ? (la lumière se rallume, une douce musique se joue au loin. Hugo s'accroupit aux côtés de Hoederer, toujours inconscient) Tu as des enfants, non ? Une fille, Barbara, et un fils, Stepan… Si un jour je suis emmené à les voir, j'ai peur de leur regard, regard que je ne pourrais soutenir. Tu vois, je me dit maintenant que la vie des autres, elles est importante. Maintenant, je me dis que… peut-être… une liberté basée sur un meurtre n'en vaut pas la peine. Maintenant, je me dis que toutes les vies sont importantes, dans leur individualité. Si je commence à penser aux Hommes comme à des chiffres, qui suis-je ? Les gens, ces êtres étrangers et si doux, si complexes et si simples, ne sont-ils pas tous mes amis ? Je ne vais pas te tuer. Je ne le ferais jamais. Tu sais, je crois que je suis je me détestais depuis toutes ces années, c'est parce que je savais que, à un moment, je serais confronté à ce choix, et que je te tuerais. (Hugo met sa main doucement sur le visage de Hoederer) Dors, mon frère ! Repose-toi dans ces vallées vertes, repose-toi, moi...moi… Je vais briser cette tour à la lumière mensongère. Point de mensonges. De larmes… Dors, car je suis en paix. Il n'y a plus d'armes dans la vallée. Dors, mon ami.
La lumière est forte. Hugo quitte la pièce. On entend des oiseaux chanter.
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