La silhouette vaporeuse
Bien que ce que je vais vous raconter, mes amis, semble farfelu et tiré de l'invention humaine, j'ai vécu, alors que je n'avais que 19 ans une histoire incroyable.
Je me rendais environ trois fois par semaine à la faculté de lettre de Nice et résidant à environ une heure de train, je devais, lorsque je commençais à 8 heur, prendre le train de 6h30 du matin. Je me levais à 5h30, autant dire que sur la route qui menait à la gare mon esprit à demi éveillé demeurait dans un état de songe où des images surréalistes m'apparaissaient comme des objets, au sens étymologique du terme, jetés à ma perception.
Alors que je marchais, à une allure assez vive pour ne pas manquer cet horrible serpent de métal grinçant sur les rails, je tenais à la bouche une cigarette, plaisir indispensable du matin, rituel inévitable. Je descendais l'allée Lucie Aubrac, un étroit chemin bordé de hautes haies qui menait directement à la gare, ressemblant à la longue route qu'empruntent les damnés pour se rendre tout droit dans les entrailles les plus profondes des enfers. Soudain, entre deux bouffées d'épaisse fumée, je cru voir du coin de l'œil, derrière moi, une silhouette vaporeuse qui semblait me suivre. Je n'y prêtai point attention et poursuivis ma route, me rappelant à moi même que mes sens se trouvaient en état de veille.
Je pensais à cette silhouette toute la journée, elle était si mystérieuse et semblait si réel. Elle m'avait inspiré. En rentrant d'une journée pleine de bruit et de mouvements oppressants je voulu la peindre. Je posai donc une toile sur mon chevalet, je la couvris de peinture noir et à l'aide d'un fin pinceau imbibé de gris et de blanc, je me mis à reproduire cette image aux contours flous que j'ai pu entrevoir ce matin. C'était comme si le tableau s'était peint de lui même, comme si mes gestes spontanés avait été guidé et quand j'observais le travail accompli, il me semblait que j'étais comme enveloppé par la silhouette, comme si une impalpable couverture, ni chaude, ni froide s'enroulait autour de moi. J'entrais dans le portrait, ou n'était-ce pas plutôt le portrait qui entrait en moi?
Je laissais le tableau sur le chevalet, éteignit la lumière et alla me coucher. Les volets de ma fenêtre étaient ouvert, je n'aimais pas me trouver, ou plutôt ne pas me trouver dans l'obscurité complète. À la faible lueur d'un rayon de lune traversant la pièce et la frappant à l'angle dans lequel se trouvait le tableau, j'observais la créature. La silhouette vaporeuse semblait se détacher de la peinture, elle commençait à me hanter. Je me tourna alors face au mur refusant de l'affronter et l'épuisement anesthésiant la peur je m'endormi.
Durant la semaine suivante, alors qu'il pleuvait à torrent je tombais malade. À chaque orée du jour, j'entrevoyais cette entité flottante, je l'attendais et me retournais fréquemment comme un paranoïaque se sentant suivit à chaque instant. Entre chaque bouffées de fumée je toussais abondamment, d'une toux caverneuse venant du plus profond de moi. J'avais la sensation que la silhouette m'habitait de l'intérieur, que durant mon sommeil, elle profita de l'absence de mon esprit pour se glisser en mon corps comme un parasite.
Un lundi matin, jour de la lune qui était pourtant caché par d'épais nuages, alors que la maladie s'était aggravée, il m'arrivait de tousser à m'en faire vomir, à tel point que mon diaphragme propulsait mes entrailles vers le haut d'une force phénoménale. Je me retournai de trois quart et perçu encore la silhouette, comme toujours, entre deux bouffées de cigarette, mais cette fois ci elle ne disparaissait pas, elle semblait plus proche, plus réel que jamais. De même que la première fois où je la scrutais sur la peinture, mais par derrière, je la senti s'enrouler autour de moi, je ne pouvais plus avancer, je n'y pensais pas, elle s'infiltrait en moi, par les narines, par les oreilles, et même par les pores de ma peau. Ma vue se troublait, je ne sentais plus le poids de mon corps écraser le sol à mes pied et mes pensée résonnaient en moi de plus en plus faiblement jusqu'à ne plus exister. Je ne voyais plus rien, je n'entendais plus rien, je ne sentais plus rien, je perdis connaissance. Un jeune homme, seule s'était évanoui lentement dans la sombre allée Lucie Aubrac.
À l'hôpital, j'ouvris les yeux, je vit un médecin qui me réprimanda, selon lui, en l'état dans lequel je me trouvais, je n'avais pas à sortir de mon lit et encore moins de chez moi. Il m'assurait que j'étais très malade et que j'avais besoin de beaucoup de repos.
Aujourd'hui, alors que je ne fume plus et que je ne suis plus malade, je sens encore vivre en moi quelque chose, et dès que je pose les yeux sur la toile représentant la créature, un sentiment étrange s'empare de moi et de nouveau, une fulgurante quinte de toux partant du plus profond de moi rugit dans la pièce éclairé par un rayon de lune. Alors je range le tableau au fond du coffre dans lequel il se trouvait, et m'endors en priant de n'être qu'un peu fou.
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