Paris, FRANCE

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Ce matin, Patrick est pressé d’aller travailler. Hier soir il a reçu un message lui demandant d’arriver plus tôt au musée car un nouveau lot est arrivé. Des pièces très prometteuses d'après M. Lepetit, son supérieur. Il se dépêcha donc d’avaler son café, prit une douche rapide, et se rua dans sa voiture, mue par l’excitation de sa curiosité. À peine arrivé, il traversa à toutes vitesses les différentes galeries et se dirigea à grandes enjambées vers les sous-sol où il allait enfin savoir de quoi il en retournait. Cela fait maintenant des années que rien de très stimulant n’avait été acquis par la direction et la lassitude commençait à le gagner. Son métier, c’est toute sa vie. C’est un choix qu’il a fait depuis longtemps. Ne pas avoir de femme ni d’enfants pour se donner corps et âme à ces richesses du passé est parfois un tribu qui lui semple lourd à porter. Une fois arrivé, le restaurateur d’art constata que personne n’était encore là. Il allait pouvoir savourer cet instant. Seul.

Il longea les caisses posées ça et là, à peine ouvertes, pas encore fouillées. Il se sentait tel un enfant devant de nombreux cadeaux à déballer. Il prit plaisir à laisser ses doigts glisser sur le bois, à sentir leur odeur inimitable. Importées directement d’Afrique, plus précisément du Niger, lut-il. Origine prometteuse se dit-il. Après avoir pris quelques instants afin de savourer ce profond plaisir, il se décida à se mettre au travail. Tout d’abord, ce fut des morceaux de diverses poteries, puis ce qui semble avoir été des armes primitives. Il a même extrait de la paille protectrice, de précieux fragments de gravures encore recouverts de poussière et de sable aggloméré qui n’attendent que de révéler leurs histoires. Ce fut sur l’une d’elles que Patrick décida de débuter son observation. Il sortit son matériel, enfila des gants en polyamide totalement neufs, prit ses lunettes, et installa ses divers pinceaux sur l’établi. Il commença tout d’abord à l’épousseter très superficiellement, mais déjà il devinait qu’il tenait entre ses mains un exemplaire unique d’une époque de toute évidence très lointaine. Il approfondit son dépoussiérage et vit des girafes apparaître, puis ce qui semblait être des antilopes. Certaines couleurs avaient même été préservées, un miracle considérant qu’elles ont dû être peintes il y a plusieurs milliers d’années, probablement bien plus. Il prit une autre pièce et là ce n’étaient plus uniquement des représentations de la faune, mais également des humains. Trois représentants de la race humaine, dénudés presque totalement. Probablement une femme, tenant un serpent et deux enfants. Il découvrit également une flore qui y était étonnamment abondante tout autour d’eux. Notre ami pensait en avoir terminé avec ce fragment quand il a perçu une masse sombre tapie derrière cette famille. Cette forme, cette noirceur, lui rappelait de vagues souvenirs. Cette esquisse n’était de toute évidence pas une tentative ratée de représentation d’un quelconque animal, il en était sûr. Il ressortait de cet ensemble une sorte de danger, ignoré, menaçant. Comme si l’artiste savait ce que les futures victimes ignoraient.

Patrick n’a pas toujours été un simple restaurateur d’art et d’archéologie. Pendant ses jeunes années il était toujours ou presque sur le terrain, à chercher les raretés cachées, ensevelies par les siècles. Un paléontologue, de renom qui plus est ! Il avait décidé d’arrêter car son corps ne supportait plus ce rythme effréné, où les nuits étaient toujours trop courtes, où les climats le malmenaient. Cela remonte maintenant à presque 10 ans déjà, mais il n’a rien oublié. Jamais il n’oubliera.

L’Afrique de l’ouest n’est pas le domaine où ses connaissances sont les plus approfondies, mais il se souvient avoir déjà voyagé jusqu'au Bénin pour un site qui était très prometteur également, mais qui a été abandonné faute d’autorisations locales. Il faudrait qu’il prenne le temps de relire ses notes de l’époque, et de faire quelques recherches mais il sait qu’il a été question de certaines références mythologiques au sujet de “démons”, de “mauvais esprits” et diverses références au mal.

Trop intrigué pour poursuivre maintenant la découverte du reste de ces vestiges, il quitta le sous-sol pour rejoindre son bureau. Le musée s’était éveillé pendant ce temps. Il croisa les vigiles qu’il salua, un maître de conférence un peu en avance et aperçut les premiers visiteurs marcher nonchalamment vers les diverses expositions.

Il ne mit pas longtemps à trouver ce qu’il cherchait. Ses investigations concernant la mythologie africaine ont rencontré nombre de difficultés car elles ont la particularité d’être essentiellement transmises à l’oral par les anciens. Mais à force de persévérance, il put cependant recueillir les noms de différents Dieux, de nombreuses description sur leurs rituels et coutumes, et, plus difficilement sur les différents mauvais esprits et même de quelques démons. C’est précisément ce qu’il recherchait aujourd’hui. Il avait souvenir que l’un d’eux avait été quelquefois représenté sous forme d’une ombre noire, tout particulièrement dans les zones du Niger, du Bénin et du Nigeria. Exù, le démon du sommeil. Il était craint car les peuples pensaient que sans sacrifices, il hantait les nuits de cauchemars, poussant jusqu’à la folie. Une folie souvent meurtrière allant jusqu’à décimer une grande partie d’une tribu. Il était, semble-t-il, coutume de sacrifier des enfants afin de garantir la tranquillité nocturne de chacun, pendant une année lunaire. Au moment même où il pensait ne plus rien trouver qui puisse lui être utile, il vit une chose qui le surprit. En effet, en dehors des êtres maléfiques, il avait également étudié les Dieux, Déesses, et autres esprits du bien. Et parmi eux, il vit une représentation féminine tenant un serpent.

Fort de ces informations, il put aisément deviner que la gravure fraîchement acquise représentait de futurs jeunes destinés à l'offrande annuelle, mais il en déduit aussi que la femme en compagnie des enfants n’était autre que Mama Wata, l’esprit de l’eau, parfois même considérée comme une déesse.

Au moment où notre quinquagénaire commençait à se dire que ce qu’il venait de découvrir était bien plus important qu’il ne lui avait semblé de prime abord, son téléphone sonna.

C’était Monsieur Lepetit.

  • Patrick ! Tu es au musée ?
  • Oui, depuis un moment déjà. J’ai commencé à vider quelques caisses.
  • Oui, bien, bien, mais écoute bien ce que je vais te dire ! J’ai besoin de toi. Comme au bon vieux temps. Nous avons une autorisation provisoire pour approfondir les fouilles ! Te rends-tu compte ? Dis-moi que tu es partant s’il te plaît ! J’ai déjà contacté le reste de l’équipe, tu irais en tant que paléontologue sénior mais tu serais accompagné de Tasha, tu sais, la petite que tu as formée !
  • Hum… Tu me prends par surprise tu sais. Cela fait bien longtemps que je n’ai pas pris part à de telles investigations ! Et tu veux que j’aille au Niger ?
  • Oui, je sais bien, mais j’ai une absolue confiance en toi ! Écoute, une association doit décoller cette après-midi même du Bourget, et il sont d’accord pour que vous montiez à bord. Vous atterrirez à Tahoua, puis direction Gobero, au Sahara vert. Dis-moi oui !

Patrick prit quelques instants pour réfléchir mais au fond de lui, il sut instantanément ce qu’il allait répondre. Son patron n’avait pas montré un tel empressement depuis si longtemps…

  • C’est d’accord ! Mais il est déjà 10h, il faut que je prépare le matériel et que je rentre chez moi faire mon sac et me changer. A quelle heure le départ ?
  • Ahhh ! Je te reconnais bien là ! A 15h00. Ça te semble faisable ?
  • Oui, j’y serai.

A peine raccroché, il emporta toutes les notes qui lui semblaient potentiellement utiles, son matériel, et se dirigea vers le parking.

Depuis cet appel, notre paléontologue sentait l’adrénaline couler dans ses veines. Il était grisé par l’excitation. Un tel voyage était tellement stimulant. Il se souvint de ce qui l’avait motivé toute ces années et ce pourquoi il avait sacrifié toute sa vie.

Il prit son passeport, chercha dans son placard les tenues adéquates, fit son sac et emporta sa grosse gourde d’eau, un sandwich, des pastilles d'iode ainsi que quelques médicaments et prit le chemin de l’aéroport.

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