En mourir
J’ai cru que j’allais en mourir
de cette tristesse
de cette haine
de cette frustration
de cet abandon
de cette solitude
j’ai supplié
pour que quelqu’un entende
que ma voix
souffrante
devenait inaudible
j’ai chuchoté
des « sauvez-moi »
sauvez-moi
pas de la dépression
mais d’ici, de maintenant
j’ai cru que j’allais en mourir
dans la salle d’attente des urgences
sans aucun regard
auquel s’accrocher
pour espérer
j’ai cru que j’allais en mourir
dans la salle de bain
de la chambre d’hôpital
assis sur la toilette
la main devant la bouche
éviter de réveiller la voisine
qui dort à côté
j’ai cru que j’allais en mourir
de mes réveils nocturnes
et de ma détresse
qui suintait contre mes habits
qui cherchait dans chaque recoin
l’arme fatale
mortelle
qu’est-ce qu’on en trouve
des plans suicidaires
quand son corps est atrocement
tiraillé
par la douleur
j’ai cru que j’allais en mourir
des deux jours à errer
dans les petits m²
à tourner
retourner
et attendre
attendre quoi
je ne sais pas
la mort j’espère
j’ai cru que j’allais en mourir
de l’attente
l’attente longue
de n’avoir rien
même pas une voix
même pas une main
seulement une télé
qui crache son inutilité
mon livre lâché
sans motivation à le consommer
et mon cœur sans envie
si vide
le néant était si grand
que j’y étais absorbé
je ne le ressentais plus
j’étais dedans
totalement asphyxié
j’ai cru que j’allais en mourir
des heures qui tardaient
de cette ignoble sensation
de vouloir arracher sa peau
sortir du corps
tout casser
tout laisser
tout briser
de ne plus contrôler cette
immense frustration
je me sentais insupportable
comment me quitter
quand je m’intoxique
j’ai cru que j’allais en mourir
de mon regard vide
des mots des psychiatres
translucides
comme la mer
à marée basse
ils ne m’apportaient rien
et je n’ai plus assez d’espoir
pour attendre la marée haute
de leurs phrases
décortiquées
même pas renouvelées
même le nouveau
ils ne peuvent pas me l’apporter
j’ai cru que j’allais en mourir
de l’annonce de l’hospitalisation
pourtant, j’ai dit « oui »
mais m’a-t-on appris à dire
non
je ne veux pas être une déception
le psychiatre sorti
mes larmes aussi
retour dans cette salle de bain grise
grise comme mon âme
et toute sa matière pourrie
ma tête contre le mur
et ne plus retenir le bruit
des sanglots
que les couloirs
les patients
et le personnel
m’entendent chialer
oui chialer toutes ces putain de veines
bouchées
qui n’ont toujours pas retiré leurs caillots
j’ai cru que j’allais en mourir
des larmes
des sanglots
des pleurs
qui ne cessaient plus
sur mon lit
beaucoup trop blanc
rangez-le
l’espoir a disparu
mes cris tout petits
silencieux
je veux qu’on m’entende
mais sans déranger
mon corps
en position fœtale
et la solitude
cloîtrée dans mon ventre
il n’y a personne
jamais
pour mes sanglots
j’ai cru que j’allais en mourir
à tourner en rond
à pleurer en fond
médicaments sur médicaments
pour me calmer
ça ne calme rien
il vaudrait mieux m’en donner
assez pour trépasser
changement de chambre
sécuriser
elles retirent même l’accès à l’oxygène
je suis un danger
mais seulement pour moi-même
ma démarche d’absence
dans le couloir
les yeux des visiteurs
sur mes larmes déployées
plus aucune dignité
l’humidité a tout emporté
j’ai cru que j’allais en mourir
de cette nuit
à me réveiller
et à encore pleurer
mes sanglots en berceuse
ils ne doivent bercer
que la mort
mon corps que je traîne près des vitres
essayer de voir le monde
sur cette cour carrée
abritant les bâtiments vitrés
de vies inaccessibles
l’infirmière
gentille
qui passe sa tête
et demande ça va
moi qui réponds
oui
les larmes
dans l’œil
le cœur
et le ventre
il fait noir
personne ne voit rien
j’ai cru que j’allais en mourir
de la question de la psychiatre
à l’arrivée
choisir d’aller bien ou passage à l’acte
il faut bien mentir
pour embellir
mes non-affaires
qui pourrissent chez moi
quel entourage pour me les amener
personne ne pense aux gens seuls
et eux aussi nous font sentir si seuls
mes larmes mes larmes mes larmes
sur le sol
le ciel
et mes mains
j’ai pensé à tout arrêter
à tout anesthésier
dès l’arrivée
je souhaitais m’en aller
j’ai pensé à fuguer
déjà plus d’un jour
je recherche les coins
par où partir
si l’on veut me retenir
j’ai cru que j’allais en mourir
la sensation insupportable
est revenue la première nuit
taper dans les draps
vouloir défoncer les meubles
si seulement
j’avais le droit
de faire autant de dégâts
qu’ils se passent en moi
le monde serait en feu
le monde serait en flammes
et moi je brûlerai vif
sans avoir mal
j’ai cru que j’allais en mourir
du tour du parc
cinq min
refaire le tour
une
deux
trois
quatre
cinq
que faire d’autre
on tourne en rond ici
mon BAC que je vais louper
ma famille que je dois contacter
leurs activités qui ne vont rien sauver
ma plaie à cicatriser
l’absence de tout
la solitude toujours
tout est différent
de l’HP
et pourtant
la solitude
cuisante
est encore plus forte
je n’y aurais jamais pensé
mais ma dernière hospit
avait une meilleure saveur
que celle qu’ils me tendent
j’ai cru que j’allais en mourir
à chercher dans ma tête
toutes les idées
pour écourter le séjour
demander une sortie
que je reste une semaine
ou deux semaines
mais rendez-moi la vie
je me sens encore plus mort ici
ça ne retire pas les problèmes
ça m’en apporte
et le stress croît
sortez-moi de là
j’ai cru que j’allais en mourir
de la solitude
c’est le fin mot de l’histoire
ma plus grande condamnation
ma souffrance ne me faisait pas sentir
si seul
dans mon appartement
entre leurs murs pourtant
elle me brûle
des à l’aide
qu’ils disent entendre
mais je ne sens aucune présence
l’absence est grande
je ne suis pas seul
ni une priorité
je suis à l’hôpital
ils ont d’autre chose à faire
que de m’entendre pleurnicher
n’empêche qu’ils m’ont
fait regretter
d’avoir poussé la porte
des urgences
d’avoir osé croire que j’allais trouver
de l’espoir
que je n’ai plus
dans leurs mains
et leurs yeux
de quoi m’aider
de quoi me soutenir
et m’accompagner
je n’avais pas d’attentes
pourtant la déception a fondu
dans mon désespoir
au moins, eux, ils sont deux
je n’ai même plus d’idées suicidaires
je veux juste m’en aller
j’ai passé la pire semaine de ma vie
et les pires jours
ont été ceux qui devaient
apparemment
m’aider
peut-être que je ne mérite rien
je suis condamné
ils veulent des gens
qui espèrent
qui souhaitent
qui décident d’aller mieux
je ne suis pas ça
ils voudraient que je veuille
je voudrais qu’ils se taisent
qu’ils cessent de croire
qu’ils savent tout
qu’ils connaissent
qu’il ne faut que de la volonté
pour s’en aller
on ne quitte pas les gens
qui blessent
parce que les plaies
nous maintiennent en vie
c’est de même avec la maladie
j’étais seul
à en mourir
seul
en dépression
nous aussi
nous sommes deux
j’ai cru que j’allais en mourir
ils m’ont tous tué
je suis mort
avec eux
par eux
c’est encore moi
qui exagère
sûrement
j’ai le goût de la terre
des cimetières
au fond de ma bouche
j’ai cru que j’allais en mourir
de vivre
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