En mourir

5 minutes de lecture

J’ai cru que j’allais en mourir

de cette tristesse

de cette haine

de cette frustration

de cet abandon

de cette solitude

j’ai supplié

pour que quelqu’un entende

que ma voix

souffrante

devenait inaudible

j’ai chuchoté

des « sauvez-moi »

sauvez-moi

pas de la dépression

mais d’ici, de maintenant

j’ai cru que j’allais en mourir

dans la salle d’attente des urgences

sans aucun regard

auquel s’accrocher

pour espérer

j’ai cru que j’allais en mourir

dans la salle de bain

de la chambre d’hôpital

assis sur la toilette

la main devant la bouche

éviter de réveiller la voisine

qui dort à côté

j’ai cru que j’allais en mourir

de mes réveils nocturnes

et de ma détresse

qui suintait contre mes habits

qui cherchait dans chaque recoin

l’arme fatale

mortelle

qu’est-ce qu’on en trouve

des plans suicidaires

quand son corps est atrocement

tiraillé

par la douleur

j’ai cru que j’allais en mourir

des deux jours à errer

dans les petits m²

à tourner

retourner

et attendre

attendre quoi

je ne sais pas

la mort j’espère

j’ai cru que j’allais en mourir

de l’attente

l’attente longue

de n’avoir rien

même pas une voix

même pas une main

seulement une télé

qui crache son inutilité

mon livre lâché

sans motivation à le consommer

et mon cœur sans envie

si vide

le néant était si grand

que j’y étais absorbé

je ne le ressentais plus

j’étais dedans

totalement asphyxié

j’ai cru que j’allais en mourir

des heures qui tardaient

de cette ignoble sensation

de vouloir arracher sa peau

sortir du corps

tout casser

tout laisser

tout briser

de ne plus contrôler cette

immense frustration

je me sentais insupportable

comment me quitter

quand je m’intoxique

j’ai cru que j’allais en mourir

de mon regard vide

des mots des psychiatres

translucides

comme la mer

à marée basse

ils ne m’apportaient rien

et je n’ai plus assez d’espoir

pour attendre la marée haute

de leurs phrases

décortiquées

même pas renouvelées

même le nouveau

ils ne peuvent pas me l’apporter

j’ai cru que j’allais en mourir

de l’annonce de l’hospitalisation

pourtant, j’ai dit « oui »

mais m’a-t-on appris à dire

non

je ne veux pas être une déception

le psychiatre sorti

mes larmes aussi

retour dans cette salle de bain grise

grise comme mon âme

et toute sa matière pourrie

ma tête contre le mur

et ne plus retenir le bruit

des sanglots

que les couloirs

les patients

et le personnel

m’entendent chialer

oui chialer toutes ces putain de veines

bouchées

qui n’ont toujours pas retiré leurs caillots

j’ai cru que j’allais en mourir

des larmes

des sanglots

des pleurs

qui ne cessaient plus

sur mon lit

beaucoup trop blanc

rangez-le

l’espoir a disparu

mes cris tout petits

silencieux

je veux qu’on m’entende

mais sans déranger

mon corps

en position fœtale

et la solitude

cloîtrée dans mon ventre

il n’y a personne

jamais

pour mes sanglots

j’ai cru que j’allais en mourir

à tourner en rond

à pleurer en fond

médicaments sur médicaments

pour me calmer

ça ne calme rien

il vaudrait mieux m’en donner

assez pour trépasser

changement de chambre

sécuriser

elles retirent même l’accès à l’oxygène

je suis un danger

mais seulement pour moi-même

ma démarche d’absence

dans le couloir

les yeux des visiteurs

sur mes larmes déployées

plus aucune dignité

l’humidité a tout emporté

j’ai cru que j’allais en mourir

de cette nuit

à me réveiller

et à encore pleurer

mes sanglots en berceuse

ils ne doivent bercer

que la mort

mon corps que je traîne près des vitres

essayer de voir le monde

sur cette cour carrée

abritant les bâtiments vitrés

de vies inaccessibles

l’infirmière

gentille

qui passe sa tête

et demande ça va

moi qui réponds

oui

les larmes

dans l’œil

le cœur

et le ventre

il fait noir

personne ne voit rien

j’ai cru que j’allais en mourir

de la question de la psychiatre

à l’arrivée

choisir d’aller bien ou passage à l’acte

il faut bien mentir

pour embellir

mes non-affaires

qui pourrissent chez moi

quel entourage pour me les amener

personne ne pense aux gens seuls

et eux aussi nous font sentir si seuls

mes larmes mes larmes mes larmes

sur le sol

le ciel

et mes mains

j’ai pensé à tout arrêter

à tout anesthésier

dès l’arrivée

je souhaitais m’en aller

j’ai pensé à fuguer

déjà plus d’un jour

je recherche les coins

par où partir

si l’on veut me retenir

j’ai cru que j’allais en mourir

la sensation insupportable

est revenue la première nuit

taper dans les draps

vouloir défoncer les meubles

si seulement

j’avais le droit

de faire autant de dégâts

qu’ils se passent en moi

le monde serait en feu

le monde serait en flammes

et moi je brûlerai vif

sans avoir mal

j’ai cru que j’allais en mourir

du tour du parc

cinq min

refaire le tour

une

deux

trois

quatre

cinq

que faire d’autre

on tourne en rond ici

mon BAC que je vais louper

ma famille que je dois contacter

leurs activités qui ne vont rien sauver

ma plaie à cicatriser

l’absence de tout

la solitude toujours

tout est différent

de l’HP

et pourtant

la solitude

cuisante

est encore plus forte

je n’y aurais jamais pensé

mais ma dernière hospit

avait une meilleure saveur

que celle qu’ils me tendent

j’ai cru que j’allais en mourir

à chercher dans ma tête

toutes les idées

pour écourter le séjour

demander une sortie

que je reste une semaine

ou deux semaines

mais rendez-moi la vie

je me sens encore plus mort ici

ça ne retire pas les problèmes

ça m’en apporte

et le stress croît

sortez-moi de là

j’ai cru que j’allais en mourir

de la solitude

c’est le fin mot de l’histoire

ma plus grande condamnation

ma souffrance ne me faisait pas sentir

si seul

dans mon appartement

entre leurs murs pourtant

elle me brûle

des à l’aide

qu’ils disent entendre

mais je ne sens aucune présence

l’absence est grande

je ne suis pas seul

ni une priorité

je suis à l’hôpital

ils ont d’autre chose à faire

que de m’entendre pleurnicher

n’empêche qu’ils m’ont

fait regretter

d’avoir poussé la porte

des urgences

d’avoir osé croire que j’allais trouver

de l’espoir

que je n’ai plus

dans leurs mains

et leurs yeux

de quoi m’aider

de quoi me soutenir

et m’accompagner

je n’avais pas d’attentes

pourtant la déception a fondu

dans mon désespoir

au moins, eux, ils sont deux

je n’ai même plus d’idées suicidaires

je veux juste m’en aller

j’ai passé la pire semaine de ma vie

et les pires jours

ont été ceux qui devaient

apparemment

m’aider

peut-être que je ne mérite rien

je suis condamné

ils veulent des gens

qui espèrent

qui souhaitent

qui décident d’aller mieux

je ne suis pas ça

ils voudraient que je veuille

je voudrais qu’ils se taisent

qu’ils cessent de croire

qu’ils savent tout

qu’ils connaissent

qu’il ne faut que de la volonté

pour s’en aller

on ne quitte pas les gens

qui blessent

parce que les plaies

nous maintiennent en vie

c’est de même avec la maladie

j’étais seul

à en mourir

seul

en dépression

nous aussi

nous sommes deux

j’ai cru que j’allais en mourir

ils m’ont tous tué

je suis mort

avec eux

par eux

c’est encore moi

qui exagère

sûrement

j’ai le goût de la terre

des cimetières

au fond de ma bouche

j’ai cru que j’allais en mourir

de vivre

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