1/4 Chap.

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Les vieilles histoires promènent leur sens moral, enjolivées par les détails des conteurs.

Pierre avait huit ans quand il a débarqué dans le village, un soir d'été.
Il entra au bourg par le bois du nord. Il était crasseux comme un petit cochon et sa tignasse ne ressemblait à rien. Il s'était approché de la première maison où vivait la Germaine l'Entain, une acariâtre celle-là. Il lui a demandé :
« T'as pas vu ma maman, peut-être qu'elle est passée ici avec les anges ?
— J'ai pas le temps avec tes bêtises mais ta mère elle ferait bien de s'occuper de ta toilette ! »

Il avait poursuivi son chemin vers la maison suivante, le bourg en comptait une cinquantaine. Si le Jean s'était pas chargé du p'tiot, sûrement qu'il serait encore en train de poser des questions.
« T'as pas vu ma maman ?
—Et qui qu'c'est ta mère ?
—Elle est belle et gentille c'est pour ça que les anges l'ont emmenée. Peut-être qu'ils sont passés par ici ?
—Ho ! Tu sais les anges, c'est au ciel qu'i' vivent. Ta mère est au ciel ? »

Le gosse s'était mis à pleurer. Jean sentait que ce chagrin lui était comme un monstre trop grand et comme il ne se croyait pas capable de gérer la situation, il avait accompagné l'enfant chez le médecin du village.

C'était un brave homme, le docteur Michel, un homme seul, jamais marié et sans enfant. Mais il prenait soin de tout le village, alors on ne peut pas dire qu'il était sans famille. Par contre, il était sans religion et ça, ça plaisait pas à tout le monde.
Il disait qu'on ne peut pas voir autant de misère et de souffrance au monde sans se dire que, si Dieu existe, c'est pas un drôle bienveillant.

Et puis le savant avait une autre raison plus enfouie de tourner le dos à l'église, il ne rentrait pas dans les chapitres du respectable. Il avait entretenu des amours coupables avec le commis de l'épicier…
Les amants avaient été discrets, mais l'ondulant Bertrand ne pouvait pas masquer sa nature et comme lui et le Michel semblaient bien s'entendre…

Mais Bertrand eut un accident et il en mourut. Notre docteur a bien failli le suivre dans l'autre monde. Il était devenu maigre comme un coucou du printemps… Il avait mis du temps à se remettre. Mais finalement, à part la mère l'Entain et cette garce de Minoche, les gens ressentaient plutôt du chagrin pour lui… Comme je dis toujours, les affections pas très conventionnelles c'est toujours de l'amour. Je vois pas ce que Dieu aurait à dire contre ça et en tout cas ça regarde personne sur cette Terre.

Le docteur était dans son jardin quand le Jean est arrivé à grands pas. Le petit cochon trottait derrière lui, la main dans celle de son gardien :
« Ho dit, Jean ? Qui est-ce donc ce petit que tu traînes avec toi ?
—Ben je sais pas, y cherche sa mère.
—Comment il s'appelle -et se tournant vers le petit- Comment tu t'appelles ?
—Pierrot…
—Pierrot comment ?
—Pierrot l'idiot…
—C'est pas un nom ça L'idiot… Le nom de ta maman c'est comment ?
—C'est maman Suzanne... Je sais qu'elle est partie avec les anges… »

Le docteur, la mine sérieuse, demanda au Jean où qu'il l'avait trouvé :
« Il a débarqué comme ça devant chez moi… Toi, tu connais du monde d'ici et des villages à côté. Je me suis dit que tu saurais peut-être…
—Non je ne le connais pas ce piot.
—J' l'amène au maire ou au curé ?
—Non laisse-le-moi, je verrai d'main, il est fatigué ça se voit et il a sûrement faim… Hein gamin ? T'as faim ?
—Moi j'aime la purée et la saucisse ! Une fois j'en ai mangé...
—Pour la purée, ça ira… T'aime les œufs coque ? »

C'est comme ça que le docteur se trouva un fils.

Le maire demanda à la maréchaussée de chercher les origines du gosse. Ils avaient découvert que le garçon avait suivi la route sur vingt-cinq kilomètres. Personne ne s'était inquiété de son absence et sur la route, personne n'avait cherché à savoir qui il était ce gamin qui posait des questions sur sa maman !
Les gens ne s'intéressent qu'à eux, sauf à médire !

Quand on a su que Pierrot était sans famille -sa mère était une pauvre qui n'avait ni le nécessaire, ni le superflu pour vivre et son père un inconnu malpropre qui les avait abandonnés-, le docteur a voulu adopter l'orphelin.
Le maire adressa une demande écrite aux services de l'État et au Préfet.
C'est une bonne situation docteur, quand le bourg est suffisamment grand et le maire avait témoigné que le gamin n'était pas tout à fait fini. Alors ça arrangeait l'État de caser un idiot là où on voudrait bien de lui.

Pierrot, il venait peut-être de la lune… Il comprenait les choses simples, les mots simples il rêvait souvent. L'école ne pouvait pas lui apprendre grand-chose et les petits ânes des lieux le rendaient malheureux. Alors le docteur l'a instruit du mieux qu'il a pu. Pierrot pouvait compter un peu, mais pas lire. C'était un enfant content de vivre qui ne s'inquiétait de rien. Il était serviable, énergique et très reconnaissant vis-à-vis du docteur.
Il avait une passion inconditionnelle : les anges. Un jour, il en reconnut un : la petite Margot.

Les vies blessées s'assemblent peut-être pour résister aux vents mauvais.
La première fois que Pierrot a vu son ange, c'était chez le docteur.. Elle attendait son tour dans l'entrée. Elle était avec son père -Laclaque qu'on l'appelait, c'est dire s'il avait la main leste-.
Le gamin devait avoir neuf ans, il était resté à regarder Margot la bouche ouverte, jusqu'à ce que Laclaque lui dise de dégager.
Margot lui avait alors souri et Pierrot avait senti ses ailes pousser.

La Margot, c'était une terre de bleus. Parfois son géniteur y allait un peu plus fort. Et le visage de sa petite fille se creusait de cernes ou de choses plus graves. Ça faisait mal au cœur ; une petite de cet âge : elle n'avait pas six ans.
Les gosses appartiennent à leurs parents et Margot n'avait que son père.
Le maire n'avait pas voulu qu'elle lui soit retirée, il avait une opinion toute personnelle au sujet des orphelinats, il les appelait, la fabrique à brutes. Il pensait que la petite n'y serait pas mieux traitée. Et en dehors de ses accès de fureur, Laclaque la soignait normalement.

Quelques bourrus, que la condition de la petite touchaient, rossèrent le père chaque fois qu'elle eut un plâtre.

Avec le temps, Pierrot qui comprenait des choses simples sut que son ange partageait la vie d'un diable.
Après l'avoir vue, la première fois, au cabinet de son père, il voulut savoir qui elle était :
« Tu crois qu'un ange ça peut vivre avec les gens ?
—Toi et tes anges Pierrot… Les anges ça vit dans le ciel, avec ta maman…
—Mais tu crois que des fois ils descendent ?
—Elle ne reviendra pas ta maman Pierrot.
—Oui, mais tu crois que un seul ange peut descendre vivre avec nous ?
—Un ange ? Quel ange Pierrot ?
—La petite fille ce matin, avec des cheveux… »

Le docteur riait souvent des mots de son garçon, ses phrases mal faites, ses pensées incomplètes. L'adoption pour cet homme avait été la deuxième meilleure chose de sa vie.
La première année ça n'avait pas été simple, il avait fallu que le docteur décode les comportements du petit. Ses airs dans la lune comme une fuite, ses colères comme des peurs qui poussaient l'enfant à se faire du mal.

Et puis il y avait eu ces ragots de mauvaises haleines qui mettaient en doute son intégrité de parent. Il savait bien que les gens connaissaient le secret de ses préférences. Mais il était blessé qu'on puisse lui imaginer des comportements hideux. Les méchancetés du village avaient toujours la même source l'Entain et la Minoche.
Celles-là ! Il n'y avait plus rien à faire et le docteur leur souhaitait de rester en bonne santé !
Mais que les autres ergotent et colportent…
Enfin, comme tout, cela avait fini par cesser.

Les séraphins étaient sur Terre. Pierrot regardait moins le ciel. Il observait Margot et dès que le Diable quittait les lieux il venait en courant lui dire qu'elle était belle comme un ange. La petite lui montrait ses bleus. Pierrot faisait ce qu'il avait appris petit et soufflait sur sa peau.
Il venait le plus souvent possible avec des petits cadeaux, des fleurs à son poing séchées, des bonbons qu'il avait goûtés. Les petits objets qu'il trouvait et que Margot rangeait dans une boîte.

Nul au village n'aurait voulu rendre service au Laclaque mais il fallait bien qu'il aille travailler. Il était l'employé d'une grosse ferme à cinq kilomètres de là. Depuis que sa femme était morte, il confiait la petite à Lucienne Minoche, contre une part de son salaire.
Elle lavait leur linge et faisait manger la gamine. Elle exigeait toujours que Margot exécute quelques tâches. Pierrot venait l'aider dans le dos de l'acariâtre.
La mère Minoche n'avait qu'un enfant unique et tardif : son petit Dieu, Sébastien.

Le temps passe dans les villages : il poursuit les jours et les nuits.
Pierrot et Margot avaient grandi côte à côte. Pierrot, bien nourri et désormais commis du docteur, allait toujours par monts et par vaux. Il avait forci, grandi. Il était un jeune homme costaud. Il n'avait plus peur du Diable et le lui avait fait savoir.

Un soir qu'il passait devant la maison de Laclaque. Pierrot l'entendit hurler contre Margot. Il courut alors comme un dératé et entra dans les murs sans y être invité. Il se jeta sur Laclaque avec un air de dément et brailla :
« T'AS PAS LE DROIT ! T'AS PAS LE DROIT ! T'AS PAS LE DROIT ! TU TAPES PLUS JAMAIS ! »

Il ponctuait chacune de ses exclamations par une beigne ou une gifle. Pierrot n'avait jamais frappé quiconque. Sa rage autant que les coups portés l'avaient bouleversé ! Il était reparti en pleurant, poings serrés sous le regard effaré de Margot.
Il s'était précipité à l'abri, chez lui.
Le docteur l'avait pris dans ses bras pour le rassurer :
« Si tu ne veux plus que ça arrive, ça n'arrivera plus. C'est toi qui décides. Ce soir tu as été surpris, mais la prochaine fois tu sauras comment faire… »

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