2. Osmond
Constance
La joue écrasée contre le poing, Constance jeta un coup d’œil aux inconnus qui étaient entrés dans son appartement. Plongés dans l'incompréhension, ils étaient serrés les uns contre les autres dans le canapé de luxe sur lequel ils étaient assis. Elle retint un gloussement. Contrairement à eux, elle savait ce qui les attendait, et elle se félicitait de maîtriser ses émotions grâce à cet avantage.
Une grande adolescente à la chevelure rousse et au teint éclatant fixait les oisillons mis en cage par le vieil Osmond. Elle jouait avec ses mèches d’un mouvement régulier de la main, trémoussant sa taille effacée au fond de son siège. Son long buste et son ossature fine étaient assez frappants au premier abord. Constance grimaça, perturbée par l’expression gaie et les pommettes colorées bien affirmées qui caractérisaient certainement la bonne humeur de la jeune fille.
Elle arrêta son regard méfiant sur la nouvelle arrivée qui venait de s’installer, découvrant un visage très différent de celui qu’elle venait d’analyser. Ses cheveux blonds fins étaient ramenés en une longue natte, son visage rond au teint rose affichait une expression sérieuse, et sa petite taille restait droite, bien que ses yeux bleu vif scrutaient les objets autour d’elle. Constance lui trouvait un air élégant et doux malgré le bruit agaçant de l’élastique qu’elle claquait contre son poignet.
Elle soupira, se décidant à accorder plus d’attention aux trois garçons assis en retrait. L’un d’eux, dont la grande taille se démarquait du lot, avait les épaules larges et le front dégagé. Son visage dévoilait un teint clair et un air serein affiché en toute plénitude. Il avait des yeux sombres étirés, un nez camus et des lèvres plutôt étroites. Il patientait, immobile dans son polo bleu marine.
À côté de lui se trouvait un jeune garçon blond vêtu d’une large chemise, dont l’expression était éteinte mais vaguement observatrice. Il paraissait faire quelques centimètres de moins ; Constance le crut maigrelet, mais son visage la fit changer d’avis. Il avait le menton marqué et ses traits de visage étaient harmonieux. Sa peau pâle mettait en avant ses yeux bleus perçants braqués sur la table basse.
- On peut y aller, maintenant que le pigeonnier a été reconstitué ?
Le dernier inconnu avait posé cette question sur un ton ironique. Constance sentit le rouge lui monter aux joues. Ses lèvres rieuses étaient la preuve de son trait de caractère sarcastique. Son front était traversé d'une courte mèche brune. Constance vit ses joues retomber face au silence qui recueillit sa blague de mauvais goût. Tant mieux, cela l’avait remis à sa place comme elle l’avait souhaité ; comparer un appartement haussmannien à un pigeonnier n’avait rien de pertinent. Elle ignora la beauté du jeune garçon et retint sa lourdeur d'esprit afin de ne pas succomber à son charme qu’elle trouvait, à contrecœur, très envoûtant.
Tous les autres furent embarrassés de voir le vieil Osmond froncer les sourcils. Ils fixèrent leurs chaussures au sol, ce qui aggrava d'autant plus l’atmosphère tendue dans la pièce.
- Je crois que vous n’avez pas bien compris, déclara le vieil homme. Ces oisillons sont à vous.
- Pourquoi nous avoir fait venir, dans ce cas ? demanda précipitamment la rousse. Un oiseau ne choisit pas quelqu’un, c’est... juste un animal...
Le vieil Osmond soupira sous le regard goguenard de Constance. Elle avait accueilli ce vieil homme chez elle quelques jours auparavant, alors qu’il gisait dans la rue, abandonné dans un quartier malfamé auprès de six magnifiques oisillons inquiets. Ses parents étant partis en voyage d’affaires pendant une semaine et son grand frère trop occupé à réviser ses examens à Lille, la jeune fille s’était permis de venir en aide au pauvre homme qui, à son plus grand étonnement, l’avait émue. Constance n’avait pas un grand cœur, pourtant, ce jour-là avait été différent. Peut-être était-ce l’un des oisillons blanc tacheté de rouge à la longue queue emplumée qui l’avait intriguée en venant pousser de longs cris dans ses oreilles.
- Je suppose que chacun d’entre vous a été… quelque peu sonné par le comportement de son volatile ? répondit simplement Osmond.
Tous acquiescèrent sans hésiter.
- Cela a été sa façon à lui de vous dire qu’il ne vous quittera plus, continua-t-il.
- Vous êtes quoi, alors, un dresseur de rapaces ? supposa le garçon sarcastique.
- Ce ne sont pas des rapaces, murmura la blonde à la marinière. Ni des oiseaux ordinaires.
- Bien vu, sourit Osmond. Je suis enchanté que vous vous soyez tous déplacés et que vous soyez arrivés dans la même matinée. Certains ont dû y réfléchir pendant plusieurs jours, tandis que d’autres ont certainement pris la décision de me voir rapidement. Vous venez tous de loin, j’imagine.
Comme personne ne répondait, le garçon au polo se dévoua gentiment :
- À Lyon.
- À Paris, répondit la rousse après avoir compris qu’elle était obligée de répondre. Mais je suis en vacances à Dijon, en ce moment.
- Je suis à Dole, compléta l’adolescent qui avait comparé l’appartement de Constance à un pigeonnier.
- Et moi Besançon, fit la blonde, mal à l’aise.
Le dernier adolescent aux yeux bleus retroussa ses lèvres, puis marmonna :
- La campagne de Dole.
Il n’est pas très bavard, celui-là, se dit-elle, les yeux plissés.
- Je ne vais pas tourner autour du pot plus longtemps, dit Osmond. Vous avez constaté que ces oisillons sont étranges ; c’est parce qu'ils ne viennent pas d'ici.
Constance s’était préparée à leur réaction. La petite blonde à l’air sage rit nerveusement, la rousse regarda longuement la porte avec envie, le garçon au polo baissa la tête en se grattant la nuque, celui qui disposait d’un humour ridicule éclata de rire, et enfin, l’adolescent blond fronça les sourcils.
- Je sais, c’est difficile à croire. Moi-même, je doutais de l’existence de votre contrée, mais j’ai fini par la trouver à l’aide du Passeur.
- Vous sortez d'un livre fantastique ? lança le garçon moqueur.
Osmond grimaça.
- J’ignore de quoi vous parlez. Cependant, je peux vous raconter une histoire qui vous permettrait de mieux comprendre votre situation. Voulez-vous toujours rester ici et m’écouter ?
- On n’a pas vraiment le choix, mais b…
Constance fit signe à l’adolescent sarcastique de se taire, agacée. Celui-ci ouvrit la bouche, décidant de ne pas se laisser faire ; Osmond réussit cependant à parler avant lui.
- Sachez-le, ces oiseaux là, vous ne les verrez qu’une seule fois dans votre vie. Très bien, ajouta-t-il après avoir réussi à intéresser le groupe. L’arclef est un oiseau insaisissable, aussi rapide et invisible que le vent, d'ailleurs, rares sont ceux qui ont réussi à l'apercevoir. C'est lui qui décide quand ouvrir la grande grille en or qui sépare ma vallée de votre... pays.
Il regarda Constance pour s'assurer qu'il avait prononcé le bon mot.
- Constance ne m’a pas cru, mais cet animal est éternel, il est irremplaçable. La légende raconte que, un jour de mauvais temps, des personnes fuyaient la guerre dans leur pays et se seraient perdues au fin fond de la campagne. Elles se seraient arrêtées face à cette grille grande ouverte, et l’arclef les aurait fait entrer dans sa vallée, vallée regorgeant entièrement de volatiles, des plus grandioses aux plus intrigants.
Personne n'avait l'air de prendre cette histoire au sérieux. Le garçon moqueur croisa ses bras derrière sa tête.
- Sérieusement ?
- Pourquoi ? Pourquoi cet oiseau aurait-il soudainement laissé passer ces gens ? demanda la rousse, qui s'était laissée prendre au jeu.
- Cette légende est un mystère. Certains disent que les oiseaux avaient besoin d’êtres humains à leurs côtés afin que l’on s’occupe d’eux, et vice-versa pour les hommes, qui vivraient en paix et en sécurité auprès de leurs oiseaux. Malheureusement, certains oiseaux n’auraient pas apprécié la présence de l’homme sur leur territoire... ils seraient ainsi devenus des oiseaux ténébreux rôdant dans de dangereuses forêts, contrairement aux oiseaux protecteurs qui, eux, auraient choisi de servir fidèlement leurs compagnons.
- On se croirait dans un conte pour enfants… maugréa l’adolescente blonde.
Constance était, malgré son affection pour le vieil homme, également envahie par le doute. Elle voulait y croire, elle voulait qu’un monde empli d’oiseaux merveilleux existât, mais son rapport au monde se restreignait à une logique bien précise, celle de ne jamais laisser son imagination empiéter sur la réalité. Osmond ignora la remarque de la jeune fille et continua :
- On dit que, pour se venger, l'echezac aurait maudit la vallée avant de disparaître. Cet oiseau aurait laissé une couronne abîmée par six trous sur son passage. Nous n’avons compris que bien plus tard à quoi elle servait...
- Bien plus tard, six amis ont été choisis par six espèces rares, dont une plume se démarquait de leur plumage en brillant, c’est ça ? demanda Constance.
Osmond la remercia du regard.
- Ces six espèces ne sont jamais du même siècle, elles ne naissent pas en même temps, c’est presque impossible. Cela n’est arrivé qu’une fois, jusqu’à aujourd’hui. Vous avez tous dû voir sur votre oisillon une plume qui se distingue de toutes les autres.
Les adolescents acquiescèrent.
- Ces six amis là ont longuement réfléchi ; ces plumes leur paraissaient importantes. En entendant parler de la légende, ils se sont mis en quête de trouver la couronne à six trous. Ce serait le laurellac qui leur en aurait donné l’idée, ajouta-t-il en fixant l’adolescente blonde.
- Mon oiseau ? dit-elle d’une voix rauque.
- C’est cela, répondit doucement Osmond. Ta rencontre avec lui a certainement dû être la plus douloureuse.
Constance haussa un sourcil en voyant les joues de la blonde s’empourprer.
- Bref… où en étais-je ? Ah, oui. Donc, ces six amis ont compris que cette couronne tressée de branches pouvait recueillir leurs six plumes et rendre le maître de la couronne plus puissant que jamais. Pourtant ils savaient que cet objet était corrompu, l'echezac n'était pas animé par de bonnes intentions lorsqu'il l'a abandonné. Il n’y a rien de plus dangereux que de posséder la vallée grâce à une relique au charme maléfique, surtout avec les oiseaux des ténèbres aux aguets... Les humains pourraient être rayés de la carte de notre monde. Celui qui possédait le fenghuang a réalisé que leur action n'était pas réfléchie, précisa-t-il en fixant le garçon au polo. Fenghuang qui est le tien.
- Pourquoi pas, dit le garçon au polo en haussant les épaules.
- Il s’est rendu compte de la bêtise qu’ils commettaient tous en voulant donner de l’importance à cette malédiction. Il a tenté d’avertir l'un de ses amis qui s’apprêtait à déposer la couronne sur sa tête et s’est jeté sur lui avec un couteau pour le tuer.
- De sang-froid ? murmura l’adolescent blond discret.
- Oui, son ami ne voulait entendre raison, le pouvoir lui était monté à la tête au point de l'aveugler. Malgré le courage du garçon qui détenait le fenghuang, le garçon obsédé par la couronne, lui, réussit à la placer sur son front juste avant de succomber au coup de poignard. Les pouvoirs de la couronne ont été emportés avec lui. Ils agissent seulement lorsqu’elle est placée sur la tête de quelqu’un, et seul le maître de celle-ci peut décider de la détruire. Il peut également la léguer. Mais dans ce cas précis, le jeune garçon est mort avant de pouvoir en faire quoi que ce soit ; normalement, la couronne est connue pour guérir des blessures, mais il l’aurait déposée trop tard sur lui.
- Elle est connue pour d’autres choses, précisa Constance. Avec les six plumes, elle assure connaissance, protection, guérison, force, volonté et justice à son maître.
- Que s’est-il passé ? Où se trouve la couronne, désormais ? souffla la rousse.
- Et bien, étant donné que l’unique maître qui la possédait un court instant était mort, il a fallu attendre que les siècles passent et que les six oiseaux rares renaissent en même temps pour détruire une bonne fois pour toutes la couronne, la paix pouvant ainsi être assurée. Malheureusement, personne n’y croyait ; c’était arrivé une fois, pourquoi les habitants seraient assez chanceux pour que cela se reproduise ? Cependant, c’est arrivé. Et vous êtes les élus, chers enfants. C’est à vous de retrouver cette couronne afin de la détruire, sachant que les oiseaux des ténèbres sont déjà à sa recherche et que nous courrons tous à notre perte.
Un silence à glacer le sang suivit son récit. Tous, même Constance, avaient pris conscience de la lourde responsabilité qu’ils avaient sur les épaules, si toutefois cette histoire s’avérait vraie.
- C’est impossible ! s’exclama l’adolescent moqueur. Nous ne venons pas de votre « vallée », comme vous le dites si bien.
- Cela nous a fait un coup, à nous aussi, les habitants de la vallée. Nous nous attendions à ce que les oiseaux choisissent des êtres humains nés sur nos terres. Mais cela n’a pas été le cas.
- Pourquoi ? lança Constance.
- Je crois… je crois que ces volatiles sont plus intelligents que nous le croyons. Ils ne voulaient pas commettre la même erreur en choisissant des personnes désireuses de régner sur la vallée. Vous êtes hors de toutes ces histoires, n’est-ce pas ? Peut-être aurez-vous un avis plus neutre sur la situation, ce qui facilitera votre quête.
- Wow, deux petites secondes, le coupa la rousse. Qui vous dit que nous accepterons de mener une quête ?
Cette question étonna Osmond. Il posa les mains sur ses genoux et, embêté, tenta de défendre sa cause :
- Parce-que ces oiseaux se sont dirigés vers vous, et qu’ils ne se sont pas trompés cette fois-ci...
- Vous êtes bien naïf si vous pensez que l'on va croire un inconnu qui nous raconte des histoires à dormir debout, le coupa le garçon moqueur.
- Mais... vous ne comprenez pas ? Ils perçoivent en chacun de vous un sens du dévouement qui se démarque de celui des autres, et... et votre caractère, enfin, votre âme correspond forcément aux attentes de vos oiseaux... bafouilla Osmond en s’enfonçant dans son fauteuil en velours.
- Et donc… pourquoi vous retrouvez-vous dans cet appartement là, en compagnie de… Constance, c’est bien ça ? s’enquit la fille blonde.
L’intéressée se leva, jugeant que la suite de l’histoire ne l’intéressait plus. Elle se dirigea vers sa cuisine pendant qu’Osmond expliquait :
- Quand je suis arrivé sur vos terres, j’étais perdu. Personne ne s’y était rendu avant moi, nous n’avons aucune connaissance de votre mode de vie. J’ai dormi dans le froid pendant plusieurs jours, réchauffé par mes oisillons et la conviction que je finirai par vous trouver. Constance a fini par me croiser ; j’ai cru qu’elle serait une passante comme une autre, mais mon caladrius s’est précipité vers elle en volant.
- Un… caladrius ? demanda le garçon au polo.
- Mon oiseau, répondit Constance en revenant avec un paquet de chips dans les mains.
Elle s’installa confortablement et entama son en-cas, croquant ses chips avec délice.
- Chacun de vos oiseaux a un nom spécifique. Mais d’abord, j’aimerais connaître vos noms, si cela ne vous dérange pas, dit le vieil Osmond avec bienveillance.
- Constance, marmonna-t-elle en levant une main pleine de miettes.
- Tu pourrais partager, je suis sûr que nos invités meurent de faim, soupira Osmond.
Constance haussa les épaules.
- Justine, se présenta la petite blonde en ignorant l’égoïsme de l’hôtesse de l’appartement.
- Moi, c’est Philéas, enchaîna le garçon au polo.
- Et moi, Ariane ! s’exclama la rousse.
- Colin, dit simplement le blond aux yeux bleus perçants.
- Endrick, finit l’adolescent sarcastique.
- Très bien, je tâcherai de les retenir. Je ne peux vous expliquer en détails les capacités de vos oisillons, mais… il faut prendre le risque de venir avec moi. Je dois vous former, je dois vous apprendre à vous rapprocher de votre oiseau et à comprendre comment nous vivons…
- Vous plaisantez ? souffla Colin.
- Nous avons pris la peine de nous déplacer pour venir vous voir, monsieur, tous les adolescents n’agiraient pas ainsi, vous êtes déjà très chanceux, fit remarquer Philéas.
- Pensez-vous que nous suivrons un inconnu ? hoqueta Ariane.
- Avec, en plus de ça, une histoire idiote concernant un endroit qui n'existe pas ? Qui voudrait vous croire ? maugréa Endrick.
- La ferme, moi, j’y crois, dit froidement Constance pour défendre Osmond.
- Lâche-moi un peu, tu veux ? rétorqua Endrick.
- Je suis désolée, j’ai besoin d’une preuve, conclut Justine, curieuse.
Osmond passa une main sous sa barbe, l’air soudain épuisé. Son regard creux s’éteignit un instant, puis les traits doux de son visage se contractèrent.
- Je ne peux rien pour vous si vous ne croyez que ce vous voyez, murmura-t-il. Vous avez sous vos yeux de splendides oiseaux qui vous sont inconnus et qui pourraient changer votre vie, pourtant vous préférez les négliger. J’avais cru pouvoir recevoir un peu de soutien en arrivant ici, mais je me suis trompé ; vous êtes très différents de nous.
Agacée, Constance reposa brusquement son paquet de chips sur son fauteuil, se leva et se dirigea vers les cages à oiseaux sous les yeux ronds des adolescents.
- Osmond est trop modeste, déclara-t-elle sèchement. Et vous, trop incrédules.
Elle ouvrit un peu trop vigoureusement l’une des cages et laissa son oiseau, le caladrius, se poser sur son bras avec légèreté, son poids d’oisillon étant parfait pour le porter. Seule sa crête rouge en forme de pointe et ses petites taches se distinguaient de son plumage dénué de couleurs, et sa longue queue enroulée entour du poignet de Constance semblait faire de l’effet au groupe. Le volatile battit des ailes et, sur un coup de tête, il emmena sa maîtresse en la tirant par le poignet. D’un pas leste, Constance le suivit, puis se planta face à la petite blonde.
- Justine, je me trompe ? marmonna l’hôtesse de l’appartement.
- Mh… oui, c’est moi, mais ça dépend pour quoi ?
Constance leva les yeux au ciel.
- Mon caladrius est assez intéressé par ta tête. Tu peux nous dire ce que tu as ?
Justine restait imperturbable malgré le volatile agité qui faisait glisser son bec sur ses cheveux blonds décoiffés. Pas une seule lueur d’admiration ou d’inquiétude ne faisait briller son regard.
- J’ai un bleu enflé, finit-elle par répondre en frottant ses genoux. Pourquoi cette question ?
Constance attendit que son oisillon croisât son regard pour lui donner une confirmation. Il se détacha de son bras et, d’un battement ferme d’aile, il s’envola par la fenêtre.
- Tu es folle… il ne reviendra pas, déclara la rousse, qui regardait tout de même la vitre.
Confiante, Constance déposa ses mains sur sa taille, un sourire hautain aux lèvres. Et elle eut raison ; son oisillon revint cinq minutes après, l’une de ses pattes renfermant un bouquet de persil. Il le lâcha par terre, s’engouffra dans la cuisine et revint avec une cloche à beurre qu’il déposa délicatement aux pieds de Constance.
- Je n’ai aucune expérience, je n’ai pas encore appris tous les traitements, déclara-t-elle. Le caladrius décèle une blessure et apporte un remède nécessaire à la guérison d’un blessé ou d’un malade.
- Et moi, je ne suis pas guérisseur, mais ce cataplasme est fréquent chez nous, dit Osmond. On mélange du persil à du gras, ce qui nous donne une pommade très efficace.
- Il aurait pu prendre un médicament… mais ce n’est pas son milieu, ici, il ne sait pas ce que c’est ni où en trouver.
- Cet oisillon a du flair, compléta Osmond en souriant faiblement. Merci, Constance, tu es adorable, mais je ne pense pas que cette démonstration les fasse changer d’avis.
À la fois hésitants et bouleversés, les adolescents restèrent coi.
- Donc… nos oiseaux aussi ont leur propre don ? finit par articuler Endrick, ce qui étonna Constance.
Osmond hocha la tête.
- Je pense que cette journée a été éprouvante pour vous, c’est normal que vous soyez aussi méfiants. Je ne peux vous en dire plus pour le moment… en tout cas, si cette quête vous intéresse, Constance vous donnera son… son…
- Numéro de téléphone, lui glissa-t-elle à l’oreille.
- Oui, son numéro de téléphone, c’est cela. Vous pourrez l’appeler pour lui demander quand nous partirons.
- Partir dans votre vallée ? s’enquit Ariane.
- Non, je veux vous former avant. L'arclef m’a mené à un endroit abandonné en pleine campagne. Je comprendrais que vous n’acceptiez pas, mais je garde tout de même les oisillons avec moi. Si vous êtes partants et que vous avez confiance en votre oiseau, et non en moi car je n’ai aucune liaison avec vous, dans ce cas, appelez Constance. Elle organisera un voyage en train pour que vous puissiez y aller tous ensemble.
- Est-ce vraiment nécessaire ? demanda Colin.
- Vous accomplirez tout ensemble. Apprendre à vous connaître serait la moindre des choses.
Peu convaincus, les adolescents finirent par se lever et adresser leur respect au vieil Osmond.
Au moins, ils sont polis, pensa Constance.
À sa plus grande surprise, tous lui demandèrent son numéro de téléphone. Ils semblaient nager en plein délire, tous silencieux et les mains tremblantes d’hésitation en attrapant le bout de papier que Constance leur tendait. Ils avaient certainement du mal à y croire, pourtant, tout comme elle, quelque chose au fond d’eux devait les persuader de tenter cette aventure surréaliste.
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