Une soirée mortelle

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Quand la mort frappe à la porte du "relais des faucheuses", c'est toujours avec le sourire car elle sait alors qu'elle va passer une bonne soirée.

Elle se tenait là, devant la grande porte de bois de la taverne, immobille, attendant patiemment que quelqu'un vienne lui ouvrir. C'était la règle du lieu, on ne rentrait jamais sans y avoir été invité.

S'appuyant sur sa faux, car ses jambes lui semblaient terriblement lourdes après une dure semaine de travail, Elle se tenait néanmoins tout à fait droite afin de paraître la plus haute possible. Après tout même si elle allait rencontrer ses semblable et même si elle était fatiguée, elle mettait toujours un point d'honneur à paraître le plus digne de sa fonction possible, du moins dans un premier temps...

Enfin, elle entendit derrière l'entrée le bruit d'un verrou que l'on déverrouillait et une silhouette apparut dans l'entrebâillement de la porte qui s'ouvrit lentement. Bien que la forme eut été masquée et encapuchonnée comme elle, elle senti néanmoins que sa collègue lui adressait un grand sourire.

-Ah ! Mais c'est Jeannine !

-Contente de te voir Ginette ! répondit Jeannine, j'espère que les boissons sont prêtes, je suis assoiffée, j'ai adoré ton "Death on the Beach" la dernière fois, il me tardais d'y gouter à nouveau !

Ginette ne répondit rien, sous son masque blanc, Jeannine devinait une expression gênée.

-Ah tu n'en a pas ? dit-elle en passant à travers la porte, ce n'est pas grave, ta "Piña Malaria" fera tout aussi bien l'affaire.

-Chut, moins fort !

-Que se passe t-il ? s'etonna Jeannine.

Ginette marqua un léger silence avant de simplement répondre :

-La cheffe est là...

Et voilà comment saper tout l'enthousiasme de Jeannine ! Elle qui s'était fait une telle joie de boire jusqu'à ne plus savoir tuer droit ! La perspective d'une soirée de fête et de beuverie s'était transformée en un rien de temps en ce qui semblait être une réunion tout ce qu'il y avait de plus "mortelle". Elle soupira avant de suivre Ginette qui la conduisit dans une grande salle, celle dans laquelle elle avait l'habitude de se saoûler "à mort" avec les autres morts. Les autres étaient déjà toutes arrivées et assises dans un silence de catacombe sur des chaises disposées en arc de cercle, en face d'un pupitre derrière lequel se tenait Roselyne, la mort en cheffe.

-Bonjour Jeannine, dit-elle d'un ton cordial. Je t'en prie, assieds-toi.

-Bonjour Roselyne, lui répondit-elle tout aussi sobrement tout en s'installant dans la chaise qu'elle lui avait désigné tout en la saluant.

Puis le silence reprit. Roselyne avait, semble t-il, apporté tout un tas de notes et de feuilles de peaux séchées qu'elle tentait de classer dans un certain ordre, laissant craindre le pire quant au cractère ennuyeux de la soirée. La cheffe était d'apparence identique aux autres morts, si bien que n'importe quel mortel aurait bien été en peine de la différencier des autres. De toutes façon, pour un mortel, une mort ou une autre, c'est pareil.

-Bien ! dit Roselyne, merci à toutes d'être venue à notre réunion quinquennalle de la confrérie des Faucheuses. Aujourd'hui à l'ordre du jour et comme d'habitude, nous discuterons de nos résultats obtenus sur les cinq dernières années et nous définiront nos objectifs à venir pour les cinq prochaines.

Elle marqua une pause, comme pour laisser le temps à ses auditrice de prendre des notes, mais personne n'écrivait rien, d'ailleurs, personne n'avait de sang ni de peau séchée pour écrire.

-Je ne vais pas y aller par quatre chemins, poursuivit Roselyne, nos résultats sont dé-ce-vants ! Baisse de la mortalité dans les zones de haut, de moyen et de faible revenus, baisse de la mortalité infantile, hausse globale de la population humaine terrestre ! De nouveaux médicaments sortent chaque années, de nouveaux vaccins, on enregistre une baisse des crimes passionnels, baisse des crimes raciaux ainsi que des féminicides. Mais bon sang, qu'est-ce que vous avez FOUTU ?

La mort assise à gauche de Jeannine prit la parole :

-On fait ce qu'on peut Roselyne, mais notre boulot est de plus en plus dur !

-Je ne t'ai pas sonnée Bernadette ! gronde Roselyne. Regardez un peu ce que font nos voisins : guerre entre la Russie et l'Ukraine, invasion de la bande de Gaza par Israel suite à des attentats du Hamas, mortalité constante en Afrique, hausse du réchauffement climatique dans le sahara, intensification du phénomène "El niño" dans le pacifique sud... je continue ou vous voyez où je veux en venir ?

-Ils ne jouent pas sur le même terrain que nous, se défendit Bernadette, nous n'avons pas la chance d'avoir des vas-t-en guerre au gourvenement ici.

Une voix s'éleva de la chaise située derrière Bernadette

-Sur ce point, je suis optimiste, le président des mortels de notre secteur semble de plus en plus intéressé pour prendre part au conflit.

-Super Léontine, et il va faire quoi ? Envoyer vingt hommes et deux cent milles drônes ? ironisa Roselyne. Pour rappel, les décès mécaniques ne comptent pas.

Léontine semblait vouloir répliquer, mais ne trouvant rien à dire, elle se tut.

-C'est quand même pas compliqué d'augmenter nos chiffres, nos collègues d'Asie nous ont tendu une sacrée perche et nous qu'est-ce qu'on a su en faire ? Eglantine, toi qui est en charge de la maladie publique, tu peux nous donner les résultats de ce fameux virus que la confrérie chinoise nous a gentiment mis à disposition ?

Eglantine, située derrière et à droite de Jeannine essaya de prendre une voix assurée :

-Plus de vingt cinq millions de contaminés annonça t-elle

-Et pour moins d'un pourcent de décès ! tempêta Roselyne en envoyant voler ses feuilles de peaux séchées partout à travers la salle. C'est nul ! NUL !

L'assemblée se tût, quand Roselyne était dans cet état, le mieux était d'attendre que l'orage passe et tout le monde ici le savait. Elle faisait désormais les cents pas derrière son pupitre en marmonnant des mots sous son masque. Jeannine cru comprendre certains d'entre eux, tels que "bande de nulles" ou "qui m'a dégottée des zigotos pareil ?"

Jeannine leva sa main squelettique au bout de quelques minutes.

-Roselyne, dit-elle, nous essayons, tu peux nous croire, mais nous n'y sommes pour rien dans cet échec...

Roselyne se figea, interloquée par l'audace Jeannine pour la contredire ainsi devant tout le monde.

-Ah non, "pour rien", vraiment ?

-Nous avons tout tenté, dit Jeannine de sa voix la plus convaincue possible, nous avons pris possession de bon nombre de mortels afin de créer un sentiment de peur et de méfiance à l'encontre des vaccins, des laboratoires pharmaceutiques et des gouvernements. Nous avons même tué personnellement des personnes qui venaient tout juste de se faire vacciner pour donner du poids à leurs arguments. La vérité, c'était que ce virus était nul, rien à voir avec les bonnes vieilles pestes bubonniques ou du choléra. La confrérie des Morts Asiatique se donne le beau rôle, mais en vérité, c'est que leur maladie ne valait pas un pieu !

Un murmure d'approbation parcourut l'assemblée. Roselyne ne bougea pas, pesant les propos de Jeannine avec intérêt.

-Tu n'as pas tort...finit-elle par admettre. En fait oui, tu as parfaitement raison, ce ne sont pas nous qui sommes nulles, ce sont les autres qui nous mettent leurs propres échecs sur le dos !

Elle regarda ses notes avant de toutes les lancer dans le feu, elles prirents feu instantanément, la peau humaine séchée était très inflammable.

-Au diable les résultats ! lança t-elle comme revigorée, on ne va pas se décourager pour si peu ! Bon la question est, que va t-on faire ensuite ?

-Déjà, on va faire ce que l'on avait prévue pour ce soir, répondit Jeannine, prendre une belle cuite !

Une heure plus tard, l'ambiance de cimetière avait laissé sa place à une cohue et un festival de bruit et de décadence comme seule les morts en avaient le secret. De partout l'alcool coulait, la musique était si forte qu'il était probable que même les mortels situés sur l'autre plan l'entendait. Certaines morts étaient déjà en train de vomir dans les coins du relais. Roselyne elle, se distinguait en sniffant des cendres de crématorium, encouragée par une troupe de six soeurs qui lançaient "Plus ! Plus ! Plus ! Plus ! "

- Ouah ! Qu'est-ce que ça fait du bien ! hurla t-elle une fois sa sixième ligne de cendre inhalée.

Et toutes les autres poussèrent une grande acclamation comme si elle venait de battre le record du monde de victimes lors d'une catastrophe naturelle.

Aucune décision importante ne fut prise ce soir là, hormis que désormais Roselyne passerait la plupart des "réunions" avec elles.

-Et la prochaine fois, je vous ferais goûter mon "Mourirto" ! promit-elle.

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