Un vendredi soir ordinaire
J'ai flingué la fille de la caisse 8, histoire de lui apprendre la différence entre son tapis roulant et une piste de bowling.
Bam. Une balle au milieu du front.
Elle a stoppé net et mes courses ont retrouvé une allure normale me permettant de les ranger correctement dans mon sac sans balancer la bouteille de Coca sur les tomates, les yeux rivés sur la caissière cinglée qui avait déclenché un chrono invisible afin de battre je ne sais quel record de rapidité pour facturer mes courses de la semaine.
J'ai perçu un léger frémissement dans la file d'attente, rien de vraiment notable. Il faut dire que 5 minutes plus tôt j'avais calmé avec mon Taser un type plutôt rougeaud qui feignait de ne pas s'apercevoir que son chariot me rentrait dans les fesses. Il s'était affalé comme un flan trop liquide, la bouche ouverte sur une probable excuse débile qui n'avait pas eu le temps de quitter sa gorge serrée.
Un haut-parleur rappelait qu'une promotion exceptionnelle et fugitive offrait durant 30 minutes 6 tranches de jambon Cochonmiam pour le prix de 4.
Je me suis revue au stand charcuterie, près de ce gosse blond et somme toute assez mignon beuglant et pleurnichant pour je ne sais quel caprice existentiel dont les enfants ont le secret. Ne parvenant pas à me concentrer devant les rillettes de porc ou de poulet, j'ai saisi le doudou crasseux du môme pour lui fourrer profondèment dans la bouche et j'ai su instantanèment que je prendrais des rillettes de canard. Le gamin virait au bleu et ses bras s'agitaient en moulinets gracieux mais inutiles. Sa mère m'a lancé un regard à la fois épouvanté et soulagé. Je lui ai juste dit qu'il convenait d'apprendre la frustration aux enfants.
Un peu plus loin j'avais coupé sans hésiter la main d'une femme d'environ 60 ans qui se tenait devant les pâtes, accrochée à son Caddy comme à un os convoité par une meute de loups et m'empêchant d'accéder au malheureux paquet de spaghetti que je souhaitais acquérir.
Un coup sec et précis de mon hachoir avait suffi à libérer le chariot obstructeur toujours orné de sa main rapace. L'amputée, sans doute dans un réflexe de préservation de sa jupe fleurie en viscose, tenait son bras à l'horizontal devant elle et je la félicitais pour sa vivacité d'esprit sachant qu'il est très difficile de se débarrasser d'une tache de sang sur un vêtement qui ne peut bouillir.
Au rayon des fruits, un petit vieux ratatiné et béquillant avait tenté sournoisement de passer devant moi pour peser 3 pauvres pommes que sa bouche édentée ne parviendrait certainement pas à mâcher, argumentant de son âge avancé, de son invalidité, de la guerre de 40 ou que sais-je encore...
Un bon coup dans la rotule et le décrépi gisait au pied des balances, le fémur probablement fracturé et ses pommes roulant dans les allées.
Je finissais le rangement de mes courses et j'étais épuisée.
Le vigile a tenté de lancer sur moi le regard intransigeant, inflexible et vaguement menaçant qu'il s'exerçait à adopter la plupart du temps sur tous les clients. Mais je lui ai fait un imperceptible clin d'oeil et il a souri comme l'enfant naïf et tendre qu'il était sous son costume sombre.
...J'ai balancé mon briquet par la fenêtre de la voiture et mis la radio en marche.
"Highway to hell" a retenti dans l'habitacle et j'ai trouvé ça un poil trop violent pour un vendredi soir. Dans le rétroviseur une lueur écarlate et chaude s'élevait de la station-service.
Il faut dire que ça m'énerve quand l'automate ne distribue pas de ticket.
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