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Ce que je peux détester le métro aux heures de pointes. Mon pas est aussi rapide que celui de tous ceux qui convergent vers la limace roulante des tunnels.
Pas moyen de prendre son temps sans être bousculée ou même parfois insultée, alors mes talons claquent sur le sol bétonné comme les rafales d’une mitraillette. Je me demande parfois si toutes ces personnes pensent qu’en allant vite le temps ralentit ? Si je m’arrêtais un jour au milieu de ce flot, juste pour ressentir un instant la seconde qui s’écoule, serais-je contournée, comme la pierre au milieu du ruisseau, ou submergée sous les semelles de cette « machine à rattraper le temps » ?
Chaque jours, je me résous à en faire partie, à devenir une sardine dans une limace. Comprimés les uns contre les autres, c’est bien ma chance, un frotteur. Ce sera sans doute le seul de cette semaine puisque nous sommes vendredi. Ce goret prend son pied contre ma jambe, j’espère qu’il n’a pas sorti son truc. Je tourne la tête pour le regarder, ça suffira peut-être ? J’avise alors un visage porcin et des yeux qui le sont tout autant, forcément, pour un goret ! Son regard et le rictus qu’il arbore ne me plaisent pas du tout, genre « et tu vas faire quoi » ? Je regarde ma main, accrochée à la barre, une secousse, mon coude frotte sur la couenne de sa joue. « Aïe, vous pourriez faire attention », « oups, pas pardon », il continue de grommeler, mais ma jambe est libre !
C’est enfin mon arrêt, je me fraye un passage hors de la limace, puis hors du flot. Pas de trace blanche sur ma jupe, par contre, mon bas n’a pas résisté, il est plus que filé. Ma peau laiteuse apparaît en une large ligne dans voile noir. Je ne peux pas arriver comme ça pour une réunion au cabinet.
Pas d’autre choix que les toilettes publiques qui, bien évidemment, sont bondées côtés « femme ». Le côté « homme » semble vide, pour ce que j’ai à y faire, tant pis, j’y vais. Sans regarder, je prends la première porte, c’est celle pour les personnes à mobilité réduite, tant mieux, j’aurais un peu d’espace. Je sors un bas de secours de mon capharnaüm à main, relève ma jupe sur mes hanches et enroule le nylon défectueux sur lui même.
Je suis en train d’ajuster la bande de silicone sur ma cuisse lorsque la porte de la cabine s’ouvre. Bécasse, dans mon empressement, j’ai dû oublier de la fermer. L’homme qui se tient dans l’encoignure est plutôt séduisant, sans doute dans la cinquantaine, comme moi. Je reste interdite, les doigts dans ma jarretière pendant que ses yeux me scrutent comme un message urgent pour s’arrêter au niveau de mes doigts. Sur un « pardon », la porte claque et je reprends mes esprits, comme si « la machine à remonter le temps » l’avait suspendu et baisse ma jupe.
J’enfile mon manteau, ramasse mon sac, vue la chaleur sur mes joues, je dois être aussi rouge qu’une pivoine ! Je sors en trombe du lieu de ma honte sans prêter attention à d’éventuels regards. J’arrive au cabinet, j’ai juste le temps de poser mes affaires dans mon bureau et de me rendre dans la salle de réunion. Je lisse ma jupe alors que le patron entre tout en nous saluant à la cantonade comme à l’accoutumée. Je lève la tête alors qu’il dit « je vous présente notre nouveau client... » qui n’est autre que, mon voyeur...
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