L'impossible
Cynthia se leva, prête à le suivre n’importe où. Mais Régis hésitait. Était-ce une bonne idée de faire pénétrer ce petit bout de femme déterminée dans son antre ? Elle lui fit signe qu’elle était prête à le suivre, mais Régis n’était toujours pas convaincu. Alors Cynthia commença à redescendre sur le chemin en se retournant pour voir s’il suivait, mais il restait figé, apeuré à l’idée qu’elle puisse découvrir son habitat et pourtant, il n’y avait pas d’autres solutions s’il voulait mettre la main sur l’assassin de son ami, le barman. Enfin, il l’appela en lui montrant la bonne direction. Cynthia remonta, passa devant lui, toute souriante. Ils marchèrent encore une bonne vingtaine de minutes avant d’arriver devant une petite maisonnette en pierre entourée de grands arbres. Devant l’entrée, deux troncs servaient de banc, et une petite fontaine, adossée au mur, coulait en un mince filé. Sur le sol, des dalles en pierres lisses brillaient aux rayons de soleil.
Régis ouvrit la porte et la fit entrer.
Devant elle, un petit hall avec une deuxième porte. Régis quitta ses chaussures et l’ouvrit. Cynthia fit de même et le suivit dans une grande pièce magnifique. Un beau plancher recouvrait tout le sol. À gauche, devant une cheminée, quatre gros fauteuils étaient recouverts de peau de mouton. Sur tous les murs, des étagères ployaient sous le poids des livres. À sa droite, une belle table en bois massif. Au fond, une cuisine rutilante, à l’Américaine, qui semblait récente et moderne. Elle ne s’attendait pas à voir l’intérieur d’une maison aussi propre et neuve.
Régis se dirigea dans une autre salle en lui demandant de l’attendre quelques instants. Cynthia fit le tour de la pièce. Devant une des fenêtres, des dossiers traînaient sur un beau secrétaire. Elle regarda attentivement, c’étaient ceux de l’entreprise en question. Elle s’installa sur la chaise et commença sa lecture.
Quelques minutes, plus tard, Régis revint. Elle se retourna et écarquilla les yeux. Il portait des cheveux longs plaqués contre son crâne et retombant sur ses épaules. C’était la première fois qu’elle le voyait sans son bonnet.
— Tu as des cheveux magnifiques ! Dit-elle troublée. Les femmes en seraient jalouses.
— Merci ! Veux-tu manger ou boire quelque chose ?
— Oh ! Tu veux me faire la cuisine ? Non, merci, je n’ai pas très faim. Mais si tu as du café, je veux bien.
— Je ne bois pas de café.
— Alors un coca, ou ce que tu as.
— Très bien !
Tandis que Régis préparait deux belles tasses sur un plateau, Cynthia étudiait les autres documents, notamment les plans du cadastre. Il y en avait deux, un récent et un autre datant de l’occupation allemande. Elle remarqua que les deux n’étaient pas identiques. Régis vint s’asseoir près d’elle et lui tendit une tasse de tisane.
— De la tisane ? Tu veux me faire dormir ?
— Non, celle-ci ne te fera pas dormir, dit-il en souriant.
— Comment peux-tu avoir une si belle maison, alors que tu ne vis que de petits boulots ?
— C’est mon frère Mathieu qui me l’a aménagée.
Cynthia déposa les feuilles qui l’intéressaient sur la grande table en prenant soin de les ranger par ordre d’importance.
— Tu vois, là, il y a déjà une anomalie. Sur un des cadastres, sous l’occupation allemande, les parcelles de tes frères sont sur le terrain du député, et là, sur le deuxième, elles n’y sont plus.
Régis se pencha sur la table, effleurant l’épaule de la journaliste.
— Oui, mais c’est le deuxième qui importe.
— Comment savoir ? Non, il faut récupérer l’original à la direction générale des finances publiques.
— Mais c’est là que Mathieu les a demandés.
— Si monsieur Jarnier a un bon ami dans les bureaux, ton frère a obtenu ce qu’on voulait bien lui donner. C’est pourquoi, il nous faut trouver les originaux. Les personnes assassinées savaient sûrement quelque chose.
— Thierry, le barman, m’en aurait parlé.
— Les langues se délient dans les bars et il a probablement entendu quelque chose. C’est pour ça qu’on l’a tué. Comment Jarnier voulait-il appeler son complexe ?
— Le Temps des Causses.
— Voilà, il voulait, sans doute, faire allusion aux nobles qui vivaient autrefois dans la région. Je pense qu’on peut le coincer. Il faut que j’appelle mon père.
Cynthia sortit son téléphone, mais pas de réseau. Voyant Cynthia faire la moue, Régis se leva et prétexta sortir prendre l’air. La jeune journaliste le regardait par la fenêtre s’éloigner. Son téléphone se ralluma et elle obtint de nouveau du réseau. Elle composa rapidement le numéro avant de ne plus avoir de tonalité.
— C’est moi papa.
— Cynthia, nous sommes inquiets, tu ne devais rester que quelques jours et nous donner des nouvelles plus souvent !
— Attends, je suis sur une piste.
— Tu es pénible avec cette affaire.
— Je sais, il faudrait que tu puisses nous rendre un gros service.
— Nous, c’est qui nous ?
— Un homme qui a des problèmes avec Jarnier.
— Jarnier ? Ah non !
— Attends, il faudrait que tu puisses me récupérer les plans des cadastres du parc des Causses. Lui n’a que ceux datant de l’occupation des Allemands et un autre plus récent. Il me faudrait l’orignal.
— Peux-tu m’envoyer les deux que tu possèdes ?
— Attends, je regarde s’il y a un scanner.
Cynthia fit le tour de la maison, entra dans une autre pièce qui s’avérait être la chambre de Régis. Il n’y avait aucun scanner. Elle prit une cigarette et sortit à la rencontre de son ami. Il était au fond du terrain, attendant patiemment sur une grosse pierre. Cynthia avançait en l’appelant. Régis se retourna et la fixa du regard. Au fur et à mesure de sa progression, la tonalité devenait de plus en plus brouillée. Les barres de réseau disparaissaient. Puis plus rien.
« Maudit réseau. »
— Régis ? As-tu un scanner ? Cria-t-elle.
— Non, lui répondit-il en reculant.
Elle retourna vers la maison, et son téléphone se remit à fonctionner. Elle recomposa le numéro et demanda à son père de patienter. Elle repartit en direction de Régis et là de nouveau plus de réseau. Elle remonta encore vers la maison et son réseau revint. Elle rappela son père.
— Bon écoute le réseau est très incertain ici.
— Je le vois bien.
— Je te les enverrais depuis le gîte.
— Très bien, je vais voir ce que je peux te récupérer. Et surtout fais attention à tes fréquentations.
— Oui, ne t’inquiète pas.
Elle raccrocha et entra poursuivre sa lecture tout en vérifiant les barres de son téléphone. Le réseau fonctionnait très bien.
Plusieurs minutes, plus tard, Régis entra et vint à ses côtés.
— Tu vois sur ce document, nous avons le contrat d’embauche du fils Jarnier et il me semble étrange qu’il soit embauché dans une blanchisserie. À mon avis, son père l’a mis là pour pouvoir accéder à certains dossiers.
Cynthia reprit son téléphone et vit qu’il n’y avait plus de réseaux. Elle fit la grimace en le jetant sur la table. Régis baissa la tête, accusant le coup. Il savait très bien qu’il ne pourrait pas éternellement prétexter d’aller faire un tour pour qu’elle puisse téléphoner. Il n’avait pas d’autre choix que de le lui révéler.
— Tu n’as pas de réseau parce que je suis là. Fit-il doucement en relevant les yeux.
— Quoi ?
— Les téléphones portables ne fonctionnent pas en ma présence.
— Si je m’attendais à ça ! Dit-elle avec un grand sourire. Tu es un brouilleur de réseau ? C’est génial !
— On peut dire ça. Tu le prends plutôt bien.
— J’en ai tellement vu, si tu savais. Je connais une personne qui est sensible aux ondes, à tes côtés, elle serait heureuse ! Maintenant, je comprends pourquoi tu n’as pas de portable. Mais au fait, où est ta voiture, je ne l’ai pas vu devant.
— Un peu plus haut, sur l’autre chemin.
— Alors tu m’as fait faire toute cette route à pied ?
— Je n’avais pas prévu de te faire entrer chez moi.
— Là, tu marques un point. Mais j’en suis très heureuse, depuis le temps que je voulais discuter avec toi !
— Je sais.
— Parle-moi un peu de ces torques. Et ne me dis pas que c’est la mode comme Henri ! Franc en a un aussi ?
— Oui !
— Henri est de ta famille aussi ? C’est pour ça que vous portez tous le même collier ?
— Non, pas tout à fait ! Mais je n’ai pas trop envie d’aborder le sujet.
— La dernière fois, c’est moi qui t’ai raconté ma vie, alors maintenant, c’est à toi. J’ai aussi croisé un homme lors de mon reportage dans les Alpes et il en avait un aussi, avec deux têtes de dragon.
Régis se leva en soupirant et refit deux tasses de tisane. Cynthia le rejoignit et prit place sur un tabouret. Elle s’accouda au bar en fixant Régis, dans l’attente d’une réponse. Mais il n’avait manifestement pas envie d’aborder le sujet. Comment pouvait-elle l’inciter à lui raconter sa vie ?
— Très bien, je vais camper ici chez toi, jusqu’à ce que tu me dises tout. Et crois-moi, je vais te poser cette question nuit et jour jusqu’à ce que tu me le dises. Je sais être très persuasive, tu sais.
— Mais qu’est-ce qui t’intéresse dans ma vie ?
— Je veux juste te connaître un peu mieux.
Régis avait peur de sa réaction, mais elle semblait si déterminée. Il hésita, bredouilla quelques mots en se frottant le crâne, mais il n’avait plus le choix, c’était soit tout lui dire au risque qu’elle parte en courant, soit la supporter nuit et jour avec toutes ces questions qui le mettaient mal à l’aise. D’une voix posée, calme et réfléchit, il finit par parler :
— Nous ne sommes pas comme vous. Nous sommes… Nous sommes des elfes.
Cynthia resta bouche bée, ne sachant pas quoi répondre. Puis elle se mit à rire à plein poumon.
— Je savais que tu ne me croirais pas.
— Non, mais c’est n’importe quoi. Des elfes ! Et moi, je suis la fée clochette ! Il y a des gens qui se prennent pour Dieu, mais toi, tu te prends pour un elfe. Alors là, oui, laisse-moi rire !
— C’est pourtant vrai.
— Les elfes n’existent pas Régis. Je ne sais pas qui t’a mis ça dans la tête, mais faut te l’enlever rapidement.
« Là, tu me crois ? » Lui dit-il sans ouvrir la bouche.
Cynthia sursauta, elle avait bien entendu la voix de Régis dans sa propre tête.
— Comment as-tu fait ça. ?
« C’est un don que nous avons, j’entends tes pensées, et je peux te parler comme ça »
— Arrête ça tout de suite ! Tu peux me parler en télépathie ?
— Oui !
Régis revint en face d’elle, en plongeant son regard dans le sien. Il attrapa sa natte et la défie. Ses longs cheveux se déplièrent en laissant entrevoir ses oreilles pointues. Cynthia bascula en arrière, faisant tomber le tabouret.
— Ce n’est pas possible. Les elfes n’existent pas ! Cria-t-elle.
— J’en suis un. Franc, Mathieu et Henri aussi. Lâcha-t-il, le souffle court.
— Ce n’est pas possible !
— Nous nous fondons dans votre société depuis vraiment très longtemps. Rares sont les personnes au courant.
Il partit dans le salon et ouvrit un placard. Il sortit une boîte et la posa sur la table. Cynthia s’avança.
— Voici ce que portent les personnes informées de notre existence.
Il déposa une bague gravé d’une rose avec une pierre rouge dessus sur le bord de la table. Cynthia repensa à Anna et au barman. Tout s’éclairait, ce n’était pas une secte, mais bien des amis des elfes. Elle le regarda longuement puis souleva une mèche de cheveux pour entrevoir encore ses oreilles. Elle n’arrivait pas à le croire, Régis était un elfe. Elle recula, effrayée par cette révélation.
— Comment cela serait-il possible ? Les elfes n’existent pas, ce sont des légendes. Je ne peux pas y croire !
— Tu peux me croire ! Je ne te mens pas. Pour tout te dire, mon vrai nom est Ohtar, Régis n’étant qu’un nom d’emprunt. Nous changeons d’endroit régulièrement et nous revenons au point de départ tous les cent ans pour ne pas être repéré. Cynthia, j’ai trois cent quarante-six ans.
— Ce n’est pas possible ! Mais alors, sur la photo chez Anna, c’était toi ? Si les médias s’emparaient de ça !
— C’est pour ça qu’il ne faut rien dire, s’en serait fini de nous tous. Dit-il en lui présentant une de ces bagues. Je peux te faire confiance ?
— Il faut que j’aille fumer une cigarette.
Elle en prit une dans sa veste et plongea ses mains dans ses poches. « Qu’est-ce que j’ai fait de mon briquet ? » Pensa-t-elle.
Régis lui présenta une boîte d’allumettes, elle le fixa encore du regard puis elle sortit en marmonnant.
Assise sur le côté de la maison, elle essayait de se calmer et de reprendre ses esprits. Ses mains tremblaient terriblement, se répétant sans cesse qu’elle ne pouvait pas y croire. Régis sortit à son tour et prit place en face d’elle.
— Je peux comprendre ton état d’esprit. Tu pourras en parler avec Anna. Lui dit-il en lui tendant une nouvelle fois la bague. Je te demande juste de garder ce secret.
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