Chapitre 1
D'éternels nuages cendrés recouvraient le ciel, voilant un soleil de sang dont le mince éclat se diffusait à travers le dernier vitrail intact de l'église. L'ombre écarlate d'un chevalier partant en quête se projetait parmi les décombres, mais il n'avait plus rien à sauver, l'érosion avait eu raison de la princesse représentée sur le carreau qui le juxtaposait.
Une partie du toit s'était effondrée, ensevelissant l'autel. Le sanctuaire possédait toujours quatre solides murs ainsi qu'une imposante porte aux gravures dorées si effacées qu'on se demandait ce qu'elles représentaient.
Au milieu de ce chaos, Aleth était agenouillée face à l’autel de prière. Le chemisier couleur saphir de la jeune fille était devenue la proie du vent qui s'engouffrait dans le bâtiment et elle pouvait sentir une désagréable sensation lorsque la froide brise effleurait ses épaules nues.
Il en était de même pour ses cheveux qui, blancs comme la plus pure des neiges d'hiver lui descendaient jusqu'en bas du cou. Ils étaient coupés en carré et une frange lui retombait juste au-dessus de l'œil gauche.
Ses profonds yeux bleus étaient fixés sur un livre à la reliure assez usée dont les pages étaient devenues jaunes à force d’utilisation. Parcourant du bout de l’index les lignes elle cherchait un passage à jouer.
Un exercice qui s'avérait plutôt simple quand on avait comme, elle, lu ce livre plus d’une centaine de fois. Son doigt finit par s’arrêter au milieu de la page et les durs traits de son visage s’adoucirent.
Fait assez extraordinaire en soi, une vie entière à combattre lui avait forgé un mental à toute épreuve et rares étaient ses objets de réjouissance. Mais cela lui permettait de profiter de chacun d’eux avec une énergie et un enthousiasme inégalés.
Un sourire satisfait aux lèvres, elle se releva énergiquement et dégaina son authentique rapière de son fourreau d’ébène. Comptant ses pas, elle recula et se racla la gorge deux fois, cela portait chance.
-- Moi, L’aile d’Ébène, ai juré d’incarner la justice ! j’ai voué ma vie à disposer de tout le mal en ce monde ! Et quelle fut ma récompense ?!
Aleth attendit quelques secondes avant de reprendre. Sa voix résonnait comme amplifiée dans le sanctuaire à l'acoustique si particulière, c’était ce qui en faisait le lieu désigné pour son hobby favori.
-- On m’a promis une gloire telle que je n’en ai jamais connu. Mais est-elle seulement à la mesure de tous ces sacrifices ?
Les geste d’Aleth étaient amples et volontairement exagérés. Pour elle, cela contribuait grandement à la qualité de son interprétation.
-- Ô Seigneur, ô ma douce Yseult, les démons blancs m'ont tous pris... Je me sens si… seul…
Aleth acheva en serrant le poing. Elle ressentit des picotements au niveau de son coeur. Les démons blancs, la perte d’un être cher, et surtout la solitude,c’était ce qu’elle avait toujours vécu. Sauf que elle, elle n’avait pas de compagnons : pas de sorcière blanche, pas de mercenaire repenti pour l’accompagner dans sa quête. Juste elle et les applaudissements enthousiastes du public résonnant dans la chapelle.
Il lui fallut quelques secondes pour notifier que ce bruit n'avait rien de normal.
-- Bravo, Bravo ! J’en ai les larmes aux yeux !
Aleth se retourna d’un geste vif et plaça son épée dans l’axe. Là devant l’entrée se tenait un homme d’âge mûr et impeccablement rasé. Son visage, franc et rieur contrastaient avec ses yeux, d’un gris acier.
Mais le détail qui la mit le plus en alerte était le manteau militaire d’un blanc pâle qu'il arborait. Il indiquait son appartenance aux forces ûriennes, le fer de lance du dieu venu des étoiles.
Il avait beau être seul, Aleth savait pertinemment quel danger les soldats ûriens représentaient. Sîn avait attribué à chacun d’eux une partie de ses pouvoirs, ce qui en faisait des combattants hors-pair.
-- Ne fais pas cette tête voyons…
Il sortit un revolver de la poche de son manteau et le pointa sur elle.
-- Fais moi un beau sourire ma jolie !
Il pressa la détente de son calibre mortel.
Aleth déploya aussitôt l’ombre et une mince brume noire émana de son corps, formant un manteau d’obscurité l’entourant.
Pour reprendre les termes employés par ses ennemis, elle était “possédée par l’esprit du mal”, le démon tentateur qu’elle nommait simplement “l’ombre”.
Mais tout ce qui lui importait c’était les capacités extraordinaires que lui accordaient l’ombre. Ses réflexes et sa vision s’en retrouvaient grandement améliorés, à ses yeux, le projectile allait donc beaucoup moins vite. Assez pour que Aleth l’esquive d’un simple mouvement de buste.
Le visage de son adversaire s’illumina tandis qu’il sortait un deuxième revolver de sa poche.
-- Une petite valse ?
Avant même d’avoir eu une réponse à son invitation, il commença à marteler les gâchettes de ses armes à un rythme effréné.
Aleth se concentra sur chacune des balles, prévoyant celles qui n'allaient pas la toucher, évitant les autres aux moyens de pas de côtés. Elle en dévia néanmoins une qui se dirigeait droit vers son front au moyen de la garde de sa rapière.
-- J’aime comment tu bouges !
La mâchoire d’Aleth se contracta. Les commentaires de son adversaire l’insupportaient au plus haut point. Mais elle devait mobiliser les ressources de son cerveau afin de sélectionner la meilleure stratégie lui permettant de s’en sortir en vie.
Son adversaire bloquant la seule sortie, elle devait nécessairement s’en débarrasser. Mais si il représentait un danger à distance, ce ne devait pas être le cas de près, avec sa rapière elle avait clairement l’avantage.
Prenant une grande inspiration, elle lança un assaut de front sur le soldat ûrien. L’ombre lui permettait également de transcender ses capacités physiques et sa vitesse s’en retrouvait grandement décuplée.
Rapidement , la distance qui les séparait diminua de manière drastique. Aleth ne cilla pas une fois devant les balles et se contenta de les dévier au moyen de son épée. Face à ses réflexes et mouvement hors du commun, les armes à feux de son adversaire étaient inutiles.
Son adversaire comprit vite ce fait et balança rapidement ses pistolet avant de porter sa main vers sa ceinture où un couteau de chasse y était accroché, mais c’était déjà trop tard.
La lame de Aleth transperça facilement le manteau blanc de son adversaire avant d’atteindre son coeur. Sauf que la lame ne rencontra rien de solide et se contenta de traverser la silhouette de son adversaire qui, tel, un simple mirage, commença à s’effacer.
L’image s’étira rapidement vers la gauche et son adversaire réapparut quelques mètres plus loin, à l’endroit exact où il avait jeté son pistolet.
-- C’était juste ! dit-il, d’un sifflement admiratif
Aleth avait le front le sueur et les muscles de ses jambes commençaient à tirer. Le contrecoup de l’ombre commençait à agir, elle ne pouvait pas se permettre de faire durer ce combat plus longtemps.
Son adversaire se releva assez difficilement. La confrontation ne l’avait visiblement pas laissé indemne. À moins qu’il ne souffre lui aussi d’un contrecoup dû à l'utilisation de ses capacités.
C’était le moment où jamais. Le soldat ûrien ne bloquait plus la sortie. Aleth sprinta vers la double porte, attrapant son sac posé sur l’un des bancs au passage. Une balle traversa l’objet tandis qu’elle essayait de l’enfiler sur ses épaules. Un mal pour un bien, cela aurait pu être sa tête.
Une fois à l’extérieur, elle prit immédiatement vers la gauche, là où se trouvait la seule voie débouchant sur le village. C’est alors qu’elle remarqua un mince éclat argenté. Planté au plein milieu du petit chemin de terre, se trouvait un couteau à qu’elle reconnut comme appartenant à son adversaire.
Anticipant ce qui allait se dérouler , Aleth stoppa sa course et se mit en position de garde. Et effectivement l’image du soldat apparut juste devant elle. Relevant lentement la tête, il dévisagea la jeune fille d’un sourire mauvais.
-- C’est déjà l’heure de rentrer ? Je te raccompagne si tu veux !
Le soldat se saisit du couteau et le lança sur Aleth qui esquiva d’un mouvement de buste vers la gauche. Il tira ensuite de sa ceinture un deuxième couteau et se rua sur Aleth.
Il projeta son bras en avant afin de la poignarder mais la différence de taille entre leurs lames donnait l’avantage à Aleth qui plongea sa rapière en plein dans son torse avant qu’il n’achève.
Mais là encore son image disparut et se projeta derrière elle. Aleth qui avait prévu ce coup se retourna d'un geste vif et fendit l’air de sa lame .
Son adversaire avait cependant une longueur d’avance et avait incliné rapidement son buste. Aleth ressentit une douleur fulgurante au niveau de la jambe tandis que le couteau de son adversaire pénétrait sa chair.
Ivre de douleur elle abattit son épée à deux mains mais se retrouva subitement projeté en arrière. Elle paniqua lorsque son pied gauche rencontra le vide et tenta tant bien que mal de se rétablir. Mais elle n’avait que peu de temps, déjà son adversaire la gratifiait d’une nouvelle salve de balles.
Intensifiant l’ombre, Aleth réussit l’exploit d’éviter de se faire toucher par chacune d’entre elles et à poser le moitié de son pied sur le rebord, évitant ainsi une chute potentiellement létale. Mais ce n’était pas terminé.
Profitant de ce court moment d’hésitation, le soldat ûrien avai sortit un énième poignard de sa ceinture qu’il lança juste aux pieds d’Aleth. Son image s’étira une nouvelle fois et il réapparut juste devant elle.
Aleth prononça un juron. Son équilibre était bien trop précaire pour qu’elle puisse réagir à temps.
-- Attention à l'atterrissage !
Le soldat ûrien lui asséna un violent coup de coude au niveau des côtés qui la fit inéxorablement basculer dans le vide. D’un geste désespéré, elle réussit néanmoins à attraper un bout de son manteau et tira en arrière avec l'énergie du désespoir. Son adversaire poussa un juron tandis qu’il se faisait entraîner dans sa chute.
Aleth dévala la colline à un rythme effréné, incapable de retrouver son équilibre. Elle tenta tant bien que mal d'éviter les roches qui, aussi tranchantes que des lames de rasoir, écorchaient douloureusement sa peau. Au bout d'un instant qui lui parut interminable, son bras gauche rencontra durement le sol et elle roula sur plusieurs mètres.
Aleth gémit de douleur. Son corps souffrait le martyre, elle avait des coupures de partout et du sang jaillissait de sa blessure. Étendue ainsi, elle était une cible de premier choix pour le soldat ûrien qui tendait déjà son bras afin de récupérer son pistolet.
Poussée par l'instinct de survie, la jeune fille puisa dans ses dernières forces et poussa un cri de rage. Elle réussit tant bien que mal à se remettre sur les genoux et attrapa le couteau planté dans sa jambe.
Elle sentait sa conscience partir mais tint bon. Le regard vacillant, elle parvint à enfoncer la lame en plein dans la main de son adversaire, ce qui lui arracha un puissant cri de douleur.
De sa main droite et d'un geste vif, elle attrapa ensuite le revolver et visa son adversaire en plein coeur. Ses yeux s’écarquillèrent lorsque la détonation perça le ciel crépusculaire. Le recul fit basculer Aleth qui retomba durement sur les fesses. Sa cheville, en rencontrant le sol, lui arracha d’atroces grimaces de douleurs.
Les paupières de la jeune fille étaient lourdes et un voile commençait à obscurcir une partie de sa vision, elle perdait trop de sang, il fallait traiter la blessure, et vite.
À quatre pattes, trois si l’on considérait la jambe blessée qu’elle laissait traîner, elle se dirigea vers le corps du soldat ûrien. Déchirant un bout de manche de son manteau blanc, elle s’en servit comme d’un d’un garrot et serra avec le peu de forces qu’il lui restait.
Consciente qu’il ne s’agissait là que d’une solution temporaire, elle essaya d'identifier le trajet le plus rapide pour accéder à sa cache. Les repères familiers comme la grand 4X4 noir ou la maison pleine de portraits de chats lui indiquèrent sa position approximative. Sa maison n’était qu’à quelques pas, elle pouvait y arriver.
Mue par un désir ardent de survivre, elle boîta en direction des sombres ruelles du village. La prochaine fois elle se raclerait la gorge une fois de plus, voire une de moins...
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