Une signature ou la vie

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Je m’affalai sur mon siège en lâchant un soupir. Des regards désapprobateurs se tournèrent vers ma place. Je m’efforçai de les ignorer. Travailler en open space n’avait pas que des avantages. J’avais rapidement mis à nu les principaux défauts qui me contraignaient au quotidien. Je ne pouvais exprimer ma lassitude comme je le souhaitais et cela me dérangeait. Notre société bannissait tout état de déprime ou de tristesse. À cause de mes pensées négatives, je me sentais différent des autres. Je n’avais pas ma place parmi les miens.

Notre système reposait sur les contrats, les signatures et tout document administratif ayant une quelconque valeur. Le gouvernement préférait éviter les fâcheuses surprises et obligeait tous les citoyens à marcher droit. Au courant de tout et des actions de tout le monde, les plus puissants ne s’inquiétaient plus et contrôlaient le moindre évènement. Je n’avais pas connu la vie simple de mes parents, qui avaient vécu dans un climat plus permissif, à une époque où surprendre son ami n’était pas passible de sanctions graves.

Le monde avait changé, nos centres d’intérêt également, ainsi que notre manière de penser et de percevoir notre environnement. Bien que je sois né au sein de ces pratiques, je ne les comprenais pas. J’en avais assez de devoir signer des documents à tout bout de champ. Je rêvais de m’évader, de m’enfuir loin d’ici, dans un pays qui ne m’espionnerait pas avec des caméras, qui ne jugerait pas mes recherches sur Internet, qui accepterait mes états d’âme, même les plus noirs, et qui me laisserait vivre ma vie comme je l’entendais.

— Stéphane ?

Je levai le nez et aperçus Marlène, la réceptionniste. Son petit minois d’une éclatante blancheur étalait un ravissant sourire, bien que l’intonation n’y fût pas. Son manège amical fonctionnait néanmoins à merveille, si l’on en croyait les avis des nombreux clients qui ne cessaient de la couvrir d’éloges et qui choisissaient notre agence plutôt qu’une autre. Son petit chapeau la vieillissait, tout en lui donnant un air chic malvenu. Je n’avais pas signé la pétition qui lui accordait le droit de le porter, mais la majorité de l’entreprise avait accepté, à mon grand désarroi.

Devant mon faciès impatient, elle esquissa une grimace. Je savais qu’elle souhaitait que je sois plus enjoué. Au lieu de quoi, je lui offris un rictus d’excuse. Sandra venait de me plaquer ce matin. Je ne m’en étais pas encore remis. L’ambiance au bureau m’avait complètement assommé, de sorte que je broyais du noir. Je n’avais pas remarqué la présence d’un homme derrière Marlène. Ce dernier s’avança et se plaça à ses côtés.

Elle se racla la gorge.

— Hum, commença-t-elle. Stéphane, je te présente l’un de nos nouveaux clients. Je n’ai pas eu le temps de vérifier son identité, je pensais te laisser faire. Pourrais-tu également regarder avec lui les formulaires d’usage obligatoires pour son admission parmi nous, s’il te plaît ?

— Bien sûr, déclarai-je.

Je fis l’effort de me lever et de serrer la main de l’homme au chapeau haut de forme et au costard impeccables.

— À qui ai-je l’honneur ? demandai-je.

— Stanislas, répondit-il avec un léger accent que je crus reconnaître comme provenant des pays de l’Est.

— Enchanté ! m’exclamai-je avec enthousiasme.

J’avais retrouvé mes attitudes commerciales.

— Je m’appelle Stéphane.

— Enchanté.

— Asseyez-vous, je vous prie.

De la main, je l’invitai à prendre place dans l’un des fauteuils présents devant mon bureau.

— Bon… je vous laisse, conclut Marlène d’un salut poli. Bon courage !

Je la suivis du regard jusqu’à ce qu’elle tournât à l’angle, puis entrepris de m’intéresser à mon client. Rasé de près, propre sur lui, je ne lui trouvai aucun défaut notable. D’apparence irréprochable, cet homme paraissait calme et posé. Je l’enviais. Son costume d’une autre époque lui seyait et le magnifiait. Quelle pouvait bien être l’histoire de cet individu curieux à l’accent déroutant ?

— J’imagine que vous êtes coutumier des documents à fournir pour prouver votre identité. Commençons avec…

— Euh, non. Que dois-je présenter ?

— Ah.

Je ne sus quoi dire, cela ne m’était jamais arrivé.

À suivre...

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