Chapitre 7 (3/4)
— Allez... Debout, sœurette. C'est l'heure d'aller au lit.
Garance soupira longuement puis se leva sans se plaindre. Les autres avaient raison, elle était allée un peu loin. Louise et Emile s'étaient tus dès qu'ils avaient entendu Walther s'adresser à Garance. Tous deux étaient inquiets et, avec son jeune âge, il était impossible à Emile de masquer ses émotions.
— Papa... Est-ce que Garance va bien ? Elle me fait peur...
— Oui, ne t'en fais pas, fils. Elle est juste très fatiguée. Par conséquent, elle va aller se coucher... Et toi aussi d'ici une petite heure, lui répondit-il en souriant.
Un petit sourire réapparut sur ses lèvres. Louise lui caressa tendrement les cheveux et lui sourit à son tour. Le petit garçon acquiesça de la tête puis s'adressa à sa tante.
— Bonne nuit, Garance.
— Bonne nuit, Emile. A demain.
Malgré son épuisement, elle parvint à lui offrir un beau sourire, qui le rassura un peu plus. Elle s'adressa ensuite au reste de la salle.
— A demain...
Les trois autres mages la saluèrent d’un geste de la main. William qui s'était contenté de tenir son bras jusque-là, décida de le passer autour de ses épaules au cas où sa sœur aurait des difficultés à marcher. Ils s'éloignèrent lentement de la table puis firent quelques pas en direction du hall d'entrée principal auquel l'on pouvait accéder après avoir monté deux petites marches. Mais c'est au moment de le faire que Garance fut prise d'un nouveau vertige.
— Eh... Doucement, là...
William rassura sa prise sur elle. La dernière chose qu'il souhaitait était de la voir s'écrouler sur le sol en pierre. Au même instant, Victor émergea du couloir qui menait à son bureau. Il accéléra le pas lorsqu'il vit la position dans laquelle se trouvait ses deux enfants. William lui résuma la situation en une simple phrase.
— La porte du cinquième.
Victor soupira.
— Laisse-moi t'aider.
Il saisit le bras droit de Garance et le passa autour de ses épaules de la même façon que son fils. William et Victor faisaient une bonne tête de plus que Garance qui leur arrivait juste sous le menton. Ils se courbaient un peu pour que les pieds de la jeune femme touchent le sol.
La chambre de Garance se trouvait au deuxième étage. Pour y parvenir, il leur fallait monter le large escalier en colimaçon qui se trouvait face à eux quatre mètres plus loin, juste à côté du couloir qui menait à l'armurerie et aux quartiers des légionnaires. Ils gravirent l'ensemble des marches sans grande difficulté avant de déboucher dans un couloir qui desservait les chambres de Garance, de Morga et de Sérion. Les trois pièces se trouvaient juste au-dessus des quartiers du Grand commandant et donnaient sur la cour.
— Comme c'est amusant... La première fois que tu me mets au lit depuis une dizaine d'années. Je crois avoir passé l'âge, tu ne penses pas ?
— Ris-donc si tu le souhaites, Garance. Mais quoi qu'il advienne, toi et William êtes mes enfants et je serais toujours là pour vous. Situation embarrassante ou non.
Garance eut un petit sourire en coin.
— Je vois... Si je comprends bien, si un jour quelqu'un ou quelque chose décide de m'embrocher, tu seras là pour empêcher mon sang de tâcher le sol en attendant que quelqu'un vienne me refermer.
Ses mots provoquèrent un soupir de plus de la part de son frère.
— Garance... Cesse donc avec l'humour noir.
Victor ne put que rire de ses paroles. Il préférait voir sa fille le ton moqueur plutôt qu'apathique.
— Même cela, ma fille. Nous sommes une famille et les familles se soutiennent toujours, même dans les pires situations.
— Surtout dans les pires situations, ajouta-t-elle toujours en souriant.
Le trio arriva à la chambre, l’une des plus grandes de l’hôtel, avec celle de son père et de William. Victor ouvrit la porte qui donnait sur le centre de la pièce, couverte au sol par un tapis rond dans les tons verts. Face à l’entrée, deux grandes baies vitrées de petits carreaux, exposées plein est, permettaient au soleil d'illuminer la pièce une grande partie la matinée. A droite, contre le mur, se trouvait un grand lit à baldaquins et à gauche, une petite table entourée de deux chaises faisait face à la cheminée de la pièce.
Garance avait laissé trois tomes emprunté dernièrement à la Bibliothèque royale à sa surface, d’une même série traitant des mythes et légendes des peuples nordiques de la Dastarie. Elle en avait déjà lu deux et était en passe de finir le troisième.
William et Victor la menèrent jusqu'à son lit, retirèrent ses bras de leurs épaules avant de l’aider à s'asseoir en bordure du matelas.
— Et voilà, le lit de Sa Majesté est avancé. Ou plutôt, Sa Majesté est avancée jusqu’à son lit.
— Parfait. Maintenant, déchausse-moi et masse-moi les pieds, manant, dit-elle un sourire provocateur sur les lèvres.
— Même pas en rêves, sœurette.
— Bah... (Elle bailla.) Au moins aurais-je essayé.
Ces piques n'avaient jamais dérangé William, du moment que sa sœur n'allait pas trop loin dans ses plaisanteries. L'entente entre les deux était bien meilleure que par le passé. La tragédie qui les avait frappés avait eu pour effet de renforcer durablement leurs liens.
— Dame Garance, est-ce que tout va bien ?
A l’entrée se trouvait Isabelle, l’une des plus anciennes domestiques de l'hôtel. Elle s’était arrêtée en passant, après avoir aperçu sa jeune maîtresse qui lui sembla mal en point. Elle avança à grands pas dans sa direction. Garance se contenta de relever la tête et lui adressa un sourire.
— Ne t'en fais pas, Isabelle. Je n'en ai peut-être pas l'air mais je me porte comme un charme.
— Dis la femme qui semblait à deux doigts de s'écrouler sur sa table, il y a moins de dix minutes.
Garance asséna un petit coup de poing sur le bras droit de son frère qui fit alors mine d’avoir l’os brisé. Il lui lança un sourire espiègle et elle lui répondit comme elle-seule savait le faire, en levant les yeux au ciel de la plus dramatique des façons.
Isabelle fut rassurée. Si la demoiselle avait la force de plaisanter, c'est que les choses n'étaient pas si graves. Elle se tourna vers le maître des lieux.
— Mon seigneur, puis-je être d'une quelconque aide ?
— Oui, aidez-la à se changer pour la nuit. La pauvre enfant est si fatiguée que je doute fort qu'elle ne parvienne à s'extirper convenablement de ses vêtements, expliqua-t-il d'un ton empreint d'une légère moquerie.
— Tout de suite, mon seigneur.
Isabelle s'approcha de l'armoire en bois qui se trouvait non loin du lit, juste à la droite de l'entrée de la pièce. Elle l'ouvrit puis en tira une longue chemise de nuit en lin blanc.
Garance eut un rire faussement gêné.
— Merci pour ton vote de confiance, papa. C'est très touchant.
Les deux hommes la regardèrent en silence puis éclatèrent de rire. Et Garance Leva une nouvelle fois les yeux au ciel. Mais cela ne la dérangea pas outre mesure. Après tout, qui aime bien, châtie bien.
— C'est ça... Allez donc plutôt attendre dehors, le temps qu'on « m'extirpe convenablement de mes vêtements », au lieu de vous moquer de moi.
— Cela n'est qu'un juste retour, ma fille. Après tout, n'est-ce pas là ta monnaie quotidienne ?
Garance n'eut rien à répondre pour la simple et bonne raison que son père avait entièrement raison. Riant à son tour, elle commença à enlever son manteau seulement pour se rendre compte que quelque chose lui manquait.
— Que cherches-tu ?
— Mon épée... (Elle soupira.) Elle doit être dans le réfectoire, près de l'entrée.
— Je vais te la chercher. Je reviens, dit-il en quittant tranquillement la pièce.
— Merci bien.
William partit, Isabelle s'approcha et déposa le vêtement qu'elle tenait sur le lit.
— Allez, jeune maîtresse. Un petit effort de votre part et vous aurez très vite le plaisir de converser à nouveau avec votre père et votre frère.
Victor s'éloigna à son tour.
— Je vous laisse. J'attendrai derrière la porte.
— Bien, mon seigneur.
La servante inclina légèrement sa tête. Le commandant sortit, prenant soin de refermer la porte derrière lui. Il s’assit sur l’un des bancs du couloir.
Son intuition avait été la bonne et il s’était bel et bien passé quelque chose dans les souterrains, de façon assez importante pour créer le malaise qu'ils avaient tous les trois ressentis ces derniers temps. Walther lui expliquerait ce qu'il en était plus tard, Sérion faisant certainement son rapport complet en ce moment.
Cela faisait maintenant treize ans qu’ils s’étaient installés à la Nouvelle-Essenie avec l’espoir d’en apprendre plus sur les ruines d’Agrisa et le mystère qu’elles renfermaient. Cette ancienne cité qui était devenue la dernière et ultime obsession de sa femme et l’avait poussé à venir en son cœur sans jamais le mettre lui ou qui que ce soit d’autre au courant. Il n’avait pu trouver aucune information de grande valeur dans son carnet de recherches, le seul qu’il ait pu récupérer de cette expédition. Lui qui voulait désespérément comprendre, il avait espéré pouvoir trouver rapidement les réponses à ses questions mais les ruines étaient demeurées muettes. Et pire encore, depuis l'accession au pouvoir du nouveau roi, il craignait de ne jamais les obtenir.
Il ne se faisait aucune illusion. Avec les derniers évènements, il savait qu'il n'y avait aucun avenir pour la Légion en ce pays. Ses jours étaient comptés. Il avait tiré sur toutes les ficelles possibles pour gagner du temps, ne serait-ce que quelques jours de plus, car il se refusait à partir d'ici les mains vides. Il le devait à ceux qui l'avait suivi dans cet acte de folie et surtout à ses enfants, à qui il avait menti pendant treize ans. Pour eux, l'heure de la vérité arriverait bientôt et il craignait ce jour plus que tout au monde.
Il entendit des bruits de pas dans l'escalier. Au rythme, Victor reconnut son fils aîné qui s'en revenait du réfectoire. William entra dans le couloir, l'épée de sa sœur en main.
— Peut-être serait-il sage d'aller te coucher, papa. Tu as les traits tirés.
— C'est gentil de t'inquiéter mais cela ira. D'autant plus que j'ai encore beaucoup de travail.
— Si tu as besoin d'aide, tu sais que...
— Non... Tu as une famille à t'occuper, William. Garde ton temps libre pour eux. Et puis, je suis un des quatre Grands commandants, à moi d'assumer les charges de ma position, même à distance.
— Oui...un Grand commandant qui se fait passer pour un simple commandant de forteresse et qui devrait siéger au haut conseil de Hautelune avec ses pairs au lieu de rester ici, dans ce trou à rat sans avenir.
Le ton de William était lourd de reproche. Tout comme Garance, il n'avait jamais compris pourquoi ils avaient précipitamment quitté la forteresse d’Eriaud pour la Nouvelle-Essenie, quelques jours seulement après le décès de leur mère. Tous deux avaient bien essayé de saisir le sens de ces actes mais leur père et Walther étaient toujours demeurés évasifs sur le sujet.
Victor soupira et se leva. Il ne lui en voulait pas de s'être emporté admettant volontiers que le seul dans l’erreur, c’était lui et personne d’autre. Mais il ne pouvait pas partir, pas encore.
— Je sais, fils, je sais.
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