Chapitre 8 (1/2)
Suivant les directives de Victor, Walther et Morga avaient quitté l'hôtel dès l'aube. Pour plus de discrétion, le duo avait pénétré les souterrains par l'entrée secrète du bâtiment, cachée dans une de ses deux caves. Depuis la construction de l'édifice, ce passage permettait d'accéder directement au deuxième sous-sol, dans une zone relativement isolée du reste des souterrains. Un nombre incalculable de sortilèges avaient été placé dans ces couloirs par les Sages des Grandes archives afin d'en assurer la sécurité.
Une fois en bas, ils avaient immédiatement fait route pour l'ancienne zone résidentielle du deuxième sous-sol, située sous la place principale de la basse-ville, et où se trouvait actuellement le quartier général des Noirelames. Installé dans le plus grand des bâtiments troglodyte, l'endroit grouillait de personnages de toutes sortes, tous peu recommandables mais bien utiles à ceux qui venaient s'enquérir de leurs services. Bien qu'ils aient investi les lieux deux siècles auparavant, de nombreux travaux restaient à faire. Certaines façades ne tenaient debout que grâce à des étais et échafaudages de fortune.
Walther et Morga se trouvaient désormais dans une grande salle circulaire au plafond voûté et sculpté, en compagnie du chef incontesté des Noirelames, un haut-elfe du nom de Baalthur. Ces trois singuliers personnages étaient en compagnie de cinq des six seconds de l'elfe et d'autres contrebandiers. Dès l'arrivée des chevaliers, tous avaient interrompu leurs activités et écoutaient depuis attentivement ce qui se disait. Pour eux, le spectacle était assez incongru. Il était rare que les membres de la Légion se déplacent en personne au cœur même de la petite cité souterraine qu'avaient créé les Noirelames.
Baalthur était assis sur une grande table en bois, située au centre de la pièce, et sur laquelle reposaient deux cartes détaillées des premier et deuxième sous-sols. Une de ses jambes battait tranquillement d'avant en arrière dans le vide tandis que la deuxième reposait sur l'une des rares chaises qui entouraient la table. Élégamment vêtu, le chef des contrebandiers arborait des cheveux aux mèches tressées qui laissaient à découvert ses oreilles pointues. De taille similaire à celle des humains, elles étaient caractéristiques de la morphologie des hauts-elfes et des elfes noirs qui ne se détestaient pas autant que certains le pensaient.
L'homme se saisit d'une coupe de vin de sa main tatouée et la porta à ses lèvres. Face à lui, le dos droit et le visage fermé, Walther faisait part de la requête de son supérieur. Morga se trouvait à sa gauche. Les bras croisés, elle observait de son seul œil valide le reste des malfrats qui les entouraient. La plupart avaient fini par les ignorer mais certains semblaient peu à l'aise à l'idée de les voir ici.
Son regard finit par croiser celui d'un des cinq lieutenants de Baalthur, un dénommé Evrard, qui se fit un plaisir de se lécher les doigts de la plus obscène des manières. Elle se contenta en premier lieu de hausser un sourcil.
Ce n'était pas la première fois que Morga le voyait agir ainsi. A la surface, cet énergumène avait déjà fait parler de lui par ses remarques et gestes déplacés à l'encontre de nombreuses femmes et hommes. Elle n'en avait jamais eu l'occasion, mais avec un peu de chance, peut-être pourrait-elle cette fois-ci lui donner une bonne leçon. Elle se reconcentra sur un sujet plus important, la requête de Walther. Celui-ci achevait d'ailleurs son explication.
— Voici donc les raisons derrière nos demandes.
— Je vois... (Baalthur posa sa coupe à sa droite.) Deux demandes que je me vois en mesure de satisfaire. Quels chanceux vous faites ! dit-il en écartant les bras dans un geste théâtral. Bien... Concernant votre première question... Mes hommes m'avaient en effet alerté quant à ce sujet. J'étais d'ailleurs moi-même présent au moment où ce nain nous a malheureusement quitté...
Il descendit de son assise, fit le tour de la table puis se plaça à l'opposé de Walther. De son doigt, il indiqua un lieu sur l'une des deux cartes.
— Mes hommes ont balancé son cadavre dans une salle isolée au deuxième sous-sol qui nous sert disons de...dépotoir.
De charnier, oui, pensa Morga, légèrement agacée par le ton condescendant de Baalthur.
— Je crois que vous êtes familier avec la zone. Vous y avez accompagné des archéologues, il y a deux ou trois ans de cela, si je me souviens bien.
— La grande salle aux bas-reliefs ?
— C'est cela.
— Très bien. Et concernant l'homme aux yeux blancs ?
Cette question attira de nouveau les regards de quelques-uns des malfrats présents autour d'eux, en particulier de deux autres des subordonnés de Baalthur, Shaelo et Adelin. Regards qui n'échappèrent pas aux yeux attentifs de Morga et de Walther.
— Il m'est inconnu, répondit-il vivement. Mais vous faites cependant bien de venir nous en parler. Les agissements de ce mystérieux individu pourraient finir par devenir...problématiques. Et c'est là une chose qu'aucun de nous ne souhaite. Soyez sans crainte, mes subordonnés ouvriront l’œil. Si quoi que ce soit de suspect advient, vous en serez averti au plus vite.
— Bien... Merci de votre temps. Sur ce, nous allons poursuivre notre investigation. Messieurs.
— Je vous en prie. Faites, faites..., répondit nonchalamment Baalthur, tout en les expédiant d'un geste de la main.
Il s'empara de nouveau de sa coupe et fit lentement tourner le liquide à l'intérieur en effectuant un geste circulaire de sa main. Il observa les deux mages s'éloigner.
Evrard s'était éloigné vers la sortie et continuait de fixer du regard Morga qui décida de faire comme si elle n'avait rien vu. Au moment de passer la porte, le lieutenant s'approcha d'elle et lui attrapa le bras. Morga s'arrêta et se tourna vers lui tout sourire, attendant de voir ce qu'il allait faire. Elle avait la ferme l'intention de profiter de ce moment pour lui infliger une petite correction ; elle en rêvait depuis longtemps. D’autant plus que Walther n'avait pas l'intention de s'y opposer, ayant lui-même en horreur ce genre de comportement.
Baalthur secoua la tête à la vue de la scène. Son subordonné risquait de finir entre quatre planches avec une attitude pareille, en particulier à l'encontre des mages de combat de la Légion. Qu'il s'en prenne ainsi aux jeunes filles et femmes des bas-fond et bas-quartiers passe encore mais un Chevalier noir ?
— J'éviterais si j'étais toi, Evrard...
Mais l'homme ne l'écouta pas.
— Hé ! Si jamais tu en as assez de travailler pour eux, ma jolie, viens donc nous voir. Une femme de ton talent, je suis sûr qu'on pourra te trouver une utilité, lui dit-il tout en se rapprochant d'elle.
Il fit lentement glisser sa main gauche le long de son bras droit puis avança sa main droite vers le visage de Morga, près de son cache-œil. C'est à cet instant précis qu'elle attrapa sa main et lui tordit les doigts de sorte qu'ils se déboîtent. Elle conclut cette altercation en lui assénant un violent coup de pied à l’entre-jambe. L'homme étouffa un cri. Tenant à peine debout, Morga n’eut qu’à le pousser du bout du doigt pour qu’il s’effondre sur le sol, recroquevillé sur lui-même à cause de la douleur.
— Putain, la garce !
Il lui lança un regard noir auquel Morga répondit par une expression amusée et provocatrice. Au centre de la pièce, Baalthur ne put que pousser un long soupir. Il secoua la tête et s'adressa au reste de ses hommes.
— Envoyez-donc cet abruti à l'infirmerie.
A cet instant précis, deux questions lui vinrent à l'esprit. Mais qui parmi ses hommes avait engagé ce guignol ? Et pire encore, pourquoi l'avait-il promu ?
Morga et Walther quittèrent la pièce sans se soucier d'Evrard qui continuait à vociférer dans son coin. Une fois la porte fermée derrière eux, un autre second, Adelin, fit part de ses inquiétudes à son supérieur.
— Chef, vous êtes sûr que c'est une bonne idée ?
— Une bonne idée de quoi ?
— De continuer à travailler avec eux. Avec toutes ces rumeurs, ça s'agite à la surface.
— Ignorez-les. Que ces histoires soient réelles ou pas, je m'en contrefiche. Du moment que nos coffres continuent de se remplir, la Légion est libre de trucider autant de gens qu'elle veut. D'autant plus que ces histoires l’entourant sont légion et n'ont strictement rien de nouveau.
Il rit de son propre jeu de mots. L'instant d'après, son expression se fit plus mauvaise et sérieuse.
— Bien. Revenons-en à des affaires plus pressantes.
— Les intrus, chef ?
— Oui. Des nouvelles de Lothaire et de son groupe ?
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