Chapitre 11 (1/3)

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Victor se laissa tomber dans son siège. Les yeux fermés, il se pinça l'arête du nez et soupira. Malgré ces bonnes nouvelles, il se sentait démuni voire impuissant. Il avait grande hâte que Walther et les autres rentrent. Sans les informations qu'il leur avait demandé de récupérer, ils ne pourraient pas faire grand-chose de plus dans les souterrains. Sa visibilité était réduite et il ne souhaitait pas mettre inutilement ses hommes en danger même si gérer les contrebandiers était loin d'être un problème. Non, ce qui l'inquiétait le plus étaient les inconnues que constituaient les probables intrus et les abyssaux, plus bas dans la cité souterraine. Il devait en savoir plus, impérativement, et cela impliquerait de devoir prendre des risques.

Du temps où il était encore commandant de la Forteresse Eriaud, dans les Maeveryns, il avait déjà eu quelques attaques d'abyssaux à gérer. Cette région avait souffert de l’apparition d’un Monolithe il y près de mille ans et en subissait depuis lors les violentes conséquences rendant l’importante présence de la Légion à sa frontière nécessaire. Victor se savait capable de faire face à ce type de situations, aussi délicates qu'elles puissent être. Mais un Monolithe et un Archonte avec si peu d’effectif ?

Jusqu'à aujourd'hui, jamais n'avait-il eu à y songer sérieusement. Et comme il avait espéré se tromper. Mais avec la confirmation que des abyssaux rôdaient bel et bien dans le cinquième sous-sol, la prochaine étape était maintenant de s'assurer ou non de la pleine présence du Sang noir.

Chacun savait ici que ces créatures étaient capables de subsister sans lui ; son absence les rendait simplement plus faibles et dans l'impossibilité de le propager, faisant d'eux des cibles bien plus faciles à abattre. Seulement, le cadavre du nain avait montré des signes de corruption alors comment interpréter tout cela ? Il devait obtenir une réponse. Mais une telle tâche s’avérerait dangereuse, très dangereuse, car à l'exception de Kaerolyn et de son groupe, personne depuis treize ans n'avait mis les pieds dans les profondeurs d'Agrisa. Impossible donc de dire comment la situation avait évolué depuis en-dessous.

Et pour ce qui était des Noirelames, Baalthur feignait l'ignorance mais Walther et Morga avaient l'intime conviction qu'il cachait quelque chose. Peut-être avait-il déjà eu à faire aux intrus ? Peut-être ne souhaitait-il pas voir la Légion se mêler de cela ? Mais dans ces cas, pourquoi ?

— Père !

Victor ouvrit brusquement les yeux et se leva d'un bond.

De retour si tôt ?

Il sortit de son bureau à grandes enjambées. Essoufflé, son fils se tenait à mi-chemin dans le couloir.

— William ?

— Père, nous avons mis la main sur l'un des subordonnés de Baalthur. Il faut que tu entendes cela.

— Qui exactement ?

— Un de ses bras droit, Shaelo Clagia.

Victor acquiesça en silence puis claqua des doigts pour éteindre l'ensemble des chandelles du bureau. Il ferma la porte et rejoignit très vite son fils. Les deux hommes avancèrent ensuite jusqu'au hall principal dans lequel Garance venait tout juste d'entrer en courant.

— Je peux savoir ce qu'il se passe ? Et c'est quoi cette histoire avec les Noirelames ?

— Viens avec nous. Je t'expliquerai sur le trajet, lui répondit simplement son père.

Garance ne se fit nullement prier. Elle le rejoignit, ainsi que son frère, et entama avec eux la descente de l'escalier qui menait au premier sous-sol de l'hôtel. Victor marchait en tête, les autres derrière lui.

— Tu as dû te rendre compte que Walther, Sérion, Morga et ton frère étaient absents ce matin ?

— Oui. Louise m'a dit que tu les avais tous envoyé en patrouille, ce que je trouvais tout de même étrange. Les quatre d'un coup ?

— C'est en effet ce que j'ai dit à Louise. Elle n'avait pas à en savoir plus.

— J'aimerai pouvoir lui dire. Je n'apprécie guère de lui mentir ainsi.

Garance observa son frère quelques secondes avec une certaine empathie. Elle savait à quel point l'honnêteté comptait pour lui.

— Je sais, William. Mais c'est bien trop tôt pour le moment. Certes, il se passe des choses suspectes et inexpliquées mais nous n'en sommes encore qu'à des soupçons, des hypothèses, même si celles-ci finiront très rapidement par se confirmer.

William soupira de dépit mais son père avait raison. Celui-ci poursuivit.

— Garance, pour faire court. Comme nous manquons cruellement d'informations, j'ai demandé à Walther et aux autres d'aller voir ce qu'ils pouvaient tirer des contrebandiers, de gré ou de force. Ils passent les trois-quarts de leur temps dans les souterrains, même s'il ne s'agit que du premier et deuxième sous-sol, et vu leur nombre, il serait étonnant qu'ils n'aient rien remarqué d'étrange.

Le groupe déboucha dans la cave de l'hôtel. Pour atteindre le deuxième sous-sol du bâtiment, il lui fallait maintenant descendre l'escalier en bois qui se trouvait à l'autre bout de la pièce. Victor, s'avança le premier entre les étagères et William laissa sa sœur passer devant. Il lui répéta finalement ce qu'il avait annoncé plus tôt à leur père.

— Nous avons réussi à mettre la main sur Shaelo.

Garance tourna sa tête vers lui tout en marchant et haussa un sourcil.

— L'autre garce aux cheveux roux ?

— Oui.

Elle étouffa un rire moqueur et se retourna, regardant de nouveau devant elle.

— Merveilleux... Vous l'avez eue où et comment ?

— Dans le troisième, proche de l'entrée de galeries menant aux catacombes. Elle était avec une dizaine d'hommes. Ils semblaient tous sur leurs gardes mais pas à cause de nous.

Sa réponse eut pour effet de faire perdre son sourire à Garance.

— Comment cela ?

— Il vaut mieux que tu l'entendes de sa bouche.

L'escalier se présenta à eux. De facture simple mais robuste, il n'avait pas grandement souffert du poids des ans. Le trio entama la descente de la trentaine de marches qui le composait.

— J'imagine qu'elle ne s'est pas gentiment laissée faire, dit simplement Garance.

— Oh que non. Cependant, il y a une chose qui me trouble.

— Laquelle ? demanda Victor, attentif au dialogue de ses enfants.

— A peine avons-nous pénétré la salle que Shaelo a ordonné notre mise à mort. Un acte stupide mais elle semblait folle de rage... Avant d'envoyer ses hommes sur nous, elle a lancé : "Tout ça, c'est d'votre faute !". Walther et Sérion n'ont fait qu'une bouchée d'eux.

— Et Shaelo ?

— Morga l’a vite calmée.

William soupira longuement. Ils avaient été obligés de tous les tuer. Si un seul en avait réchappé, il aurait immédiatement prévenu ses comparses, une chose qu'ils ne pouvaient pas se permettre.

— En réalité, cela fait déjà une vingtaine de minutes que nous sommes ici.

— Comment cela ?

— Walther préférait l'interroger et être sûr qu'elle avait des informations utiles. Dans le cas contraire, nous serions immédiatement repartis sans rien vous dire mais après tout ce qu'elle nous a raconté... Je suis venu te chercher.

Une fois arrivé en bas de l'escalier, ils traversèrent la deuxième cave au plafond voûté. Ici, une partie des étagères se retrouvait couverte de tonnelets pour la plupart vide. Le reste était quant à lui occupé par de nombreuses petites caisses, bouteilles et autres pots, contenant maintes choses diverses et variées.

Avant qu'ils n'atteignent le fond de la cave, William précisa une dernière chose.

— Walther a aussi demandé à Sérion de courir jusqu'à la Bibliothèque afin d'y quérir Alan et Galbali. Il a estimé qu'il valait mieux qu'ils soient présents.

— Il a bien fait, répondit simplement son père.

Le trio s'arrêta dans le fond de la pièce. Face à eux, une illusion savamment conçue maintenant l'image et la texture d'un épais mur de pierre. Il était impossible aux profanes de distinguer le vrai du faux. Une illusion parfaite conçue avec grande précision par les éminents Sages des Grandes archives. D’un geste de la main, Victor troubla l'image du mur. Un point lumineux apparut et, de là, l'illusion s'effaça lentement pour laisser la place à un passage voûté long d'une dizaine de mètres. Le père passa en premier, ses enfants sur les talons. Une fois passée la barrière, celle-ci se referma de la même manière qu'elle avait disparu.

Le trio s'avança dans le couloir et descendit un nouvel escalier, en pierre cette fois-ci, d'une dizaine de marches. En bas, sur le palier, se dressait une épaisse porte en bois d'habitude fermée à clé mais ici ouverte en grand, considérant les circonstances.

Le groupe évolua ensuite au sein de deux autres galeries sur environ une trentaine de mètres. Partout autour d'eux, sur la paroi des murs, de nombreux glyphes et autres cercles magiques entremêlés de figures géométriques complexes avaient été gravé par les Sages et leurs apprentis avec une finesse surprenante. Ainsi, l'ensemble de la zone qui courait sous l'hôtel était isolée, protégée, entourée de multiples barrières barrant son accès aux curieux et autres inconnus. C'est ici que s'était trouvé les geôles et les archives secrètes des Grandes archives et désormais, de la Légion.

Le groupe s'arrêta face à une porte en bois rivetée d'acier que William n'avait pas estimé important de verrouiller, Shaelo se trouvant sous la garde de Walther et Morga. Victor entra le premier suivi de ses enfants. Ils traversèrent une première salle avant d'atteindre la pièce où se trouvaient leurs collègues et la contrebandière.

L'endroit était grand, dépourvu du moindre meuble, avec de nombreuses chaînes et fers qui pendaient aux murs. Shaelo se trouvait au centre de la pièce, assise sur une chaise et les mains attachées dans le dos. Le visage en sang, elle regarda les nouveaux arrivants avec une expression des plus méprisante. Morga était adossé au mur derrière elle et passait le temps en faisant sauter d'une main une pièce en argent. Walther se trouvait à la droite de la captive. Le dos droit, sa main droite était serrée dans son dos tandis que sa gauche maintenait fermement l'épaule de la lieutenant, la clouant sur la chaise.

Victor s'arrêta à deux pas d'elle. Il croisa ses mains dans son dos et la toisa du regard en silence. Il était temps que ces rats se mettent à table. William resta juste derrière lui, à sa droite. Dans le même temps, Garance s'approcha de Shaelo avec un rictus moqueur, s'accroupit devant elle et sourit de plus belle. La contrebandière ne l'avait pas quitté des yeux depuis son entrée dans la pièce. Plus qu'irritée par son comportement, elle s'énerva.

— Qu'est-ce que tu regardes ?!

Garance ricana.

— Une idiote sans cervelle qui s'est fait tabasser en moins d'une seconde par... Elle t'appelait comment déjà ?

— La truie à un œil, répondit calmement Morga.

— Ah, oui. La truie à un œil.

Son sourire s'agrandit.

— Va te faire foutre !!

Shaelo avait envie de la tuer, de l'étrangler, de lui faire ravaler son insupportable sourire narquois qui ornait si souvent ses lèvres. De tous les membres de la Légion en ce pays, Garance Mortis était celle qu'elle détestait le plus. Ses provocations et ses sarcasmes, sa langue bien trop pendue à son goût, toujours à se croire plus fine et plus maligne, tout cela l'insupportait. La tuer, oui, elle voulait juste la tuer.

Face au comportement de sa sœur, William soupira, cependant plus par habitude. Victor ne dit rien, l'observant faire du coin de l’œil. Walther resserra sa prise sur l'épaule de la contrebandière pour l'empêcher de se lever. Il avait senti cette soudaine envie de meurtre chez la prisonnière mais il le fit plus par précaution que par réelle inquiétude. Malgré les apparences, Garance savait ce qu'elle faisait.

Au fond de la salle, Morga souriait froidement. Cela faisait bien longtemps qu'elle et Garance rêvaient d'humilier Shaelo de la sorte. La garce ne l'avait pas volé. Après avoir harcelé sa famille pendant un temps, dérobant les cargaisons d'alcools qui étaient destinées à la taverne ou se moquant de son frère estropié tandis qu'il accompagnait son père au marché, Morga avait rêvé d'un moment comme celui-là pendant longtemps. Elle n'avait malheureusement rien pu faire par le passé. La mage n'avait pas souhaitée mettre la Légion en porte-à-faux avec une vengeance irréfléchie.

Garance se releva en souriant et fit trois pas en arrière. Elle prit appui sur sa jambe droite et croisa les bras. Des voix se firent soudainement entendre. Reconnaissant Sérion, le groupe ne réagit pas. Un nouveau trio entra et rejoint le reste du groupe. L’elfe à sa tête alla se placer à la droite de Garance. Derrière, Alan et Galbali paraissaient soucieux et très impatients de savoir ce que la Légion avait appris.

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