Chapitre 13 (4/4)
Le trio soupira de soulagement. Etant donné la conversation, il ne pouvait s'agir que des Noirelames. La patrouille des contrebandiers emprunta un autre couloir, différent de celui où les Chevaliers noirs avaient l'intention de se diriger.
— Mais quelle bande de bras cassés, se plaignit Garance. Ils font les malins mais ces crétins ne tiendraient pas cinq minutes face à un seul spectre.
Derrière, son frère venait de faire réapparaître ses petits orbes de feu. Sérion sortit de leur cachette en premier tout en souriant. Il répondit à la jeune femme.
— Prétendre le contraire serait en effet mentir. Allons-y. La voie est libre.
Légèrement accroupi, le groupe traversa rapidement le croisement tout en gardant un œil sur le groupe de contrebandiers. Une fois bien avancé dans le passage, le trio se mit à courir. Cette ruelle menait à un cul-de-sac mais une des dernières habitations possédait un autre passage creusé par les Grandes archives composé d'une nouvelle série d'escaliers et d'un mur illusoire. Ils tournèrent sur la droite et entrèrent dans la bâtisse. Ils traversèrent ensuite trois petites pièces avant d'atteindre leur destination. Le mur du fond de la dernière salle était couvert des mêmes symboles que ceux des sous-sols protégés de l'hôtel Portelune.
William dégaina son épée en premier. De sa main gauche, il effleura les glyphes situés à la base de la lame qui s'illuminèrent d'une lueur orangée. Le reste des marques ne tarda pas à faire de même.
— Je passe en premier.
— Sois prudent, frangin.
William lui sourit tristement et ne dit rien. Même quand elle savait que ce n'était pas nécessaire, elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour ses proches. En retour, elle refusait toujours que l'on s'inquiète pour elle. Il avait un pincement au cœur chaque fois qu'elle agissait ainsi.
Le trio se rapprocha du mur. William posa sa main gauche sur la surface puis passa au-travers. Garance et Sérion le suivirent dans la foulée. Il entama seul la descente des escaliers et disparut une dizaine de mètres plus bas, à la suite d'un virage. Pour sa sœur et Sérion, toujours sur le qui-vive, cinq longues minutes se passèrent dans le noir et le silence jusqu'à ce qu'il ne se montre de nouveau. Du bas des escaliers, William leur fit signe de le rejoindre. La voie était libre.
Ils passèrent au-travers d'un nouveau mur fantôme avant d'atterrir dans une large salle aux nombreuses petites alcôves où des statuettes des divinités humaines s'étaient un jour tenues. Cet endroit était un ancien sanctuaire.
Garance et Sérion dégainèrent leurs armes à leur tour. Ils n'étaient maintenant plus loin de leur destination.
*****
Valion se défit sans problème de ses adversaires qui tombèrent les uns après les autres, telles les pommes pourries d'un arbre. Il observa en silence le crâne du dernier squelette rouler jusqu'à ses pieds. Le visage impassible, il posa son pied droit dessus et appuya jusqu'à ce qu'il se brise en de multiples morceaux, dans un craquement sourd et sinistre. Les armes que ces morts portaient étaient celles des anciens gardes nains et humains de la cité souterraine, grossières et sans aucune finesse.
— Hmpf... Typique de ces sauvages.
Valion rengaina son épée et poursuivit sa route. Il accéléra son pas ayant été assez retardé. D'autant plus qu'avec le vacarme qu'il venait de faire, il n'était pas impossible que d'autres patrouilles se rapprochent de l'endroit où l'affrontement avait eu lieu. La présence probable des Chevaliers noirs ne l'inquiétait nullement. Considérant leur nombre, les chances pour qu'il les croise étaient minimes. Et quand bien même il viendrait à tomber sur eux, ils étaient loin d'être des adversaires dont il ne saurait se défaire.
Il avait eu l'occasion de les observer lorsque Calderon lui avait demandé de retrouver son neveu et sa nièce. Il avait accepté sa requête pour deux raisons. La première fut que cela lui avait permis d'identifier les Mortis et leurs comparses et mettre définitivement un visage à côté de leur nom. La deuxième fut seulement afin d'éviter de se mettre à dos son « partenaire ». Pour le moment, mieux valait pour lui qu'il ne montre pas trop d'oppositions. Il avait encore besoin de Calderon, à son plus grand déplaisir.
Valion se souvenait encore de son visage le jour où il le mena à Garance puis William. Le pauvre homme était si déçu de les voir porter l'uniforme de la Légion. Valion rit froidement.
— Quel imbécile..., dit-il à voix haute. C'était pourtant loin d'être une surprise. Ces chiens ont ça dans le sang. Le contraire aurait été bien plus étonnant.
Lorsqu'il les avait présentés, il avait tâché de faire mine de nullement s'en préoccuper, comme si leur existence lui importait peu. Mais en réalité, ce n'est pas l'envie de les tuer qui lui avait manqué. Il soupira.
— Voyons-voir... La femme et l'enfant ne devraient guère me poser de problèmes, pas plus que leurs soldats ou la borgne... Il faudra que je méfie un peu plus des cinq autres Chevaliers, surtout des trois vétérans... Mais avec l'aide de Calderon, ils ne devraient pas me poser beaucoup de problèmes... Des morts faciles et plus important encore, des morts utiles. Enfin... Chaque chose en son temps. Je me débarrasserai d'eux le moment voulu.
Une fois cette histoire terminée, Valion s'assurerait que leur nom soit prononcé avec un plus grand mépris qu'à l'heure actuelle. Et contrairement à Calderon, il se moquait éperdument de la Nouvelle-Essenie. Il préférerait mille-fois la voir brûler jusqu'à ce qu'il n'en reste que des cendres. Qui sait, peut-être aurait-il l'occasion de donner vie à ce fantasme ?
Avec les évènements d'il y a treize ans, il avait fini par développer une certaine amertume à l'égard des lieux. Depuis qu'il avait quitté sa terre natale, il avait passé de nombreuses décennies à retracer précisément les routes de son grand-père et de sa mère. Et c’est il y a quinze ans, en fouillant dans ses affaires, qu’il trouva un lien avec Agrisa. Un lien qu'il trouva des plus intriguant. Pourquoi donc en ces lieux et pour quelles raisons ? Valion se souvenait qu'il n'avait pas pu intervenir lui-même à l'époque, continuant en parallèle de traquer la meurtrière de sa mère. Mais il aurait aussi pris des risques énormes en intervenant directement.
Il aurait pu obtenir les réponses voulues il y a treize ans mais avec le fiasco que cela fut, il dut se résoudre à abandonner temporairement ses recherches pour ne pas attirer plus d’attention. Ses pairs avaient aussi exigé de lui qu'il porte assistance à l’un des siens sur un autre projet, qu'ils avaient estimé beaucoup plus délicat. Et il échoua aussi, même si seulement qu’à moitié. Mais désormais libéré de ses obligations envers ses autres pairs depuis deux ans, Valion avait enfin pu se plonger à loisir dans cette tâche passé qu'il estimait sienne. Il n'aurait permis à aucun autre de ses camarades de s'en charger à sa place.
Chaque pas qu'il effectuait en ces souterrains poussiéreux lui rappelait l'échec cuisant d'il y a treize ans. Une blessure infligée à son honneur qui ne guérit jamais. Si seulement ces maudits chercheurs avaient fait leur travail, celui pour lequel ils avaient été payé, il n'en serait pas là aujourd'hui à devoir se salir les mains de la sorte.
Au moins était-il parvenu à obtenir le second journal de recherche de Kaerolyn Mortis. Grâce à celui-ci, Valion savait qu’Archonte avait été emprisonné dans le septième sous-sol, au niveau du palais royal. Comment l'humaine était parvenue à une telle conclusion le dépassait. Mais ce journal fortement incomplet l’empêchait d’être entièrement sûr, ce qui le mit dans une colère noire.
Mais par chance, les Mortis et la Légion lui avaient mâché une partie du travail. Leur déménagement de Logris jusqu'en Essenie l'avait conforté dans le sens qu'avait pris ses recherches. Il s'en était grandement satisfait.
— Cette fois-ci sera la bonne.
Tard ce lundi après-midi, il avait ressenti une puissante vague d'énergie, un pouvoir fugace qu’il avait reconnu sans mal comme étant celui d'un Archonte. Et en ce monde, il n'y en avait qu'un seul qui ait pu à ce point motiver la haine et le sacrifice d'un des siens.
*****
Valion ne prendrait pas l’ancienne entrée vers le cinquième sous-sol. Avec le temps, ce qui avait un jour été le chemin le plus rapide pour le sixième sous-sol était devenu un cul-de-sac à la suite de nombreux effondrements successifs. Ce passage était désormais une souricière dans laquelle il ne s’engagerait pas, tout comme Kaerolyn avant lui. Ces nains dont il entendit parler peu de temps après sa descente n’auraient jamais pu savoir cela. Cette information n’étant connue que d’une poignée de personne. Leur récit fut malgré tout des plus intriguant.
Il avait été surpris de leur rencontre avec des abyssaux mais les marques de corruption présente sur le cadavre du « survivant » eurent vite fait de dissiper ses doutes. L’Inconnu aurait-il encore une emprise sur les lieux ? Ce nain qui parvient à s'échapper de la zone, à éviter les squelettes et les spectres avant d'être miraculeusement retrouvé par les contrebandiers. La chose paraissait bien trop extravagante pour être vraie et pourtant, les faits étaient les faits.
Ces réponses probables énervaient Valion mais, en même temps et d'une certaine façon, elles le satisfaisaient.
IL cherchait à attirer l'attention.
IL voulait que ce nain soit retrouvé.
Mais pourquoi désirait-il cela ? Un large sourire illumina alors son visage. Aurait-il peur ? Espérait-il ainsi que la Légion, qu’un Mortis vienne à lui ?
Non, s'il s'avérait qu'il avait vu juste, il ne laissera jamais une telle chose se produire.
Valion arriva finalement à destination. Dans la grande salle aux colonnes, il fit vite face au prétendu sceau des lieux. Les marques sur le métal et la pierre environnante luisaient en continue dans les ténèbres. Il s'arrêta au milieu de la pièce. Bien que Valion soit sous terre, la température demeurait étrangement basse. Par endroits, une fine brume blanche couvrait toujours le sol.
Il ferma les yeux et tendit la main droite vers la porte. La paume ouverte face à elle, il tenta de capter la présence de l'Archonte. Si comme Valion le pensait, il avait étendu son influence jusqu'ici, il devrait normalement pouvoir la ressentir. Au bout de quelques secondes, passées dans un silence de mort, Valion la trouva.
Loin face à lui, il parvint à l'effleurer. C'était une drôle de sensation, épaisse et lourde sur le cœur mais en même temps extrêmement veloutée. Au moment où son esprit entra en contact avec elle, Valion ouvrit brusquement les yeux et leur cornée se voila d'un noir d'encre avant de retrouver son apparence première.
Un rire glacial transperça le silence.
— Ooh... Mais voilà une rencontre qui se promet des plus divertissantes, entonna joyeusement la voix.
Valion cessa ce qu'il faisait et c'est à ce moment-là qu'il les entendit, ces trois voix mêlées de surprise.
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