Chapitre 15 (1/2)

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Les catacombes avaient depuis toujours mauvaise réputation. Connues du grand public pour être le foyer des morts qui pullulaient dans ce qu'il restait d'Agrisa, elles étaient source de bien des histoires et d'effroi. Officiellement, leur réveil avait été causé par une série de sombres rituels nécromantiques il y a plusieurs siècles mais il n'en était rien, juste un mensonge de plus diffusé par les Sages des Grandes archives. L'influence néfaste de l’Inconnu était responsable de cet éveil.

Depuis la désertion de la cité, les morts veillaient inlassablement. Cet endroit avait toujours été le leur. Ils y étaient nés, y avaient vécu et y étaient décédés. Et même si la Nouvelle-Essenie venait un jour à tomber, cela n'aurait aucune importance. Ils continueraient de défendre farouchement ces lieux comme ils l'avaient toujours fait, avec une volonté inébranlable, jusqu'à l'anéantissement complet de leur âme et jusqu'à ce que leurs os tombent en poussière.

Les catacombes étaient un sanctuaire, le dernier endroit que beaucoup pouvaient encore appeler « maison ». Ils y étaient très attachés. D'une certaine façon, ces lieux symbolisaient le début et la fin de leur existence ou plutôt de ce qu'il en restait.

Réservées par le passé aux habitants des troisième et quatrième niveaux, les catacombes avaient été agencé de façon assez désorganisées. Des couloirs de toutes tailles s'étiraient dans diverses directions sans suivre de plan précis et de petites chambres funéraires pouvaient se retrouver perdues au milieu d'autres plus grandes. La tombe la plus ancienne datait d'il y a environ mille cinq cents ans, vers le milieu de la Quatrième Ère. C'était la tombe d'un riche marchand de l'époque.

Depuis la redécouverte d'Agrisa, nombreux étaient ceux qui s'étaient aventurés dans ces couloirs obscurs pour en soutirer ses secrets. Pendant un temps, ces ruines furent le centre de bien des attentions.

Mais aujourd'hui, sa paix avait été de nouveau troublé. Un groupe d'étrangers avait brutalement investi l'endroit et en avait chassé les morts. Ces inconnus, aux intentions encore troubles, avaient érigé en quelques heures une barrière impénétrable, excluant ces âmes d'un lieu qui était légitimement leur.

Calderon Nimra, un des deux chefs de l'expédition, s'était installé dans l’une des petites chambres funéraires vers le centre de la zone. La pièce avait été garnie d'un couchage de fortune mais relativement confortable ainsi que d'une table et de deux chaises en bois. Une vingtaine de chandelles disséminées un peu partout éclairaient la pièce. Leur cire avait suffisamment fondu pour les maintenir droites et collées au sol.

Installé à cette table, Calderon écrivait dans un petit carnet depuis une vingtaine de minutes. Un second livre un peu plus grand, se trouvait ouvert non loin de lui sur ses dernières pages écrites. Sa couverture était marron et beaucoup plus usée.

D’une grande concentration, sa plume glissait sur le papier avec vitesse et précision. Les quelques mots rédigés ici se réservaient à une future lettre qu'il destinait à sa famille, en particulier à son épouse et à ses enfants. Ils les savaient inquiets mais ils devaient comprendre. Cette tragédie d'il y a treize ans les avaient tous bouleversés et Calderon ne trouverait pas le repos tant qu'il ne saurait pas la vérité. Ce souvenir le hantait depuis trop longtemps.

Il terminait tout juste son brouillon lorsque le contremaître vint à sa rencontre.

— Mon seigneur !

Calderon releva la tête puis posa sa plume.

— Qu'y-a-t-il ?

— Nous sommes enfin parvenu à libérer l'accès au passage.

Le mage se leva. Enfin une nouvelle progression au sein de ce dédale de pierre.

— Montrez-moi, dit-il tout en le rejoignant.

— Sur-le-champ, mon seigneur.

Le contremaître passa devant, une torche à la main. Sur le trajet, ils approchèrent à deux reprises des points centraux de la toile tissé par Valion pour isoler cette partie des catacombes. Une minorité des hommes s'y tenant étaient d'ailleurs sous ses ordres et inspiraient peu de confiance au reste du groupe. Personne ne savait véritablement ce qui provoquait un tel sentiment mais quelque chose à leur sujet mettait les subordonnés de Calderon mal à l'aise. Une étrange atmosphère régnait autour d'eux et se retrouvait parfois amplifiée par les gémissements et cris éplorés des spectres des environs. Il suffisait seulement de tendre l'oreille dans le silence.

Au bout de cinq minutes, ils pénétrèrent dans une pièce un peu isolée de l'ensemble. La pierre qui en scellait jadis l'entrée gisait non-loin, scindée en cinq morceaux. Face à eux se trouvaient quatre alcôves. Dans trois d'entre elles, un lourd tombeau de pierre reposait au sol, relativement intact. Dans la quatrième, la tombe ne s'y trouvait plus.

Le mur du fond avait disparu, laissant à découvert un long couloir. Des poutres avaient été rajoutées à certains endroits dans le but de consolider l'ensemble. Et au niveau des morceaux les plus stables, les intrus avaient fixé des torches permettant d'amener un peu de lumière et de chaleur dans cet obscur et froid couloir.

Ce tunnel les mena dans une nouvelle pièce, plus grande et à l'architecture plus ancienne que celle qu'ils avaient quitté. A leur gauche, un petit pan de mur s'était fissuré et commençait à s'effondrer mais dans son ensemble, la structure tenait bon. Proche d'un des coins de la pièce, une nouvelle entrée leur faisait face.

Certains des ouvriers « engagés » à la surface en ressortait avec des paniers chargés de gravats. Ils étaient couverts de poussière et leurs vêtements, usés et déchirés, n'avaient pas été lavé depuis plusieurs jours. Bien que nourri, le sommeil commençait à leur manquer, en témoignait la fatigue qui s'imprimait lentement sur leur visage.

Au tout début, Calderon avait été contre ce « recrutement » mais avec le temps et son manque de personnel, la solution proposée par Valion avait fini par vite s'imposer. Mais s'il devait être honnête, leur sort n'avait maintenant que peu d'importance. Comme il n'avait cessé de se le répéter, seule la vérité lui importait. Lorsqu'ils se croisèrent, les ouvriers s'écartèrent et baissèrent la tête. Aucun ne voulait croiser le regard de Calderon et la froideur qui s'y était lentement installée.

Dans ce nouveau passage, le sol s'inclinait en une légère pente. Le chemin était un peu plus long et bifurquait à de nombreux endroits dans diverses directions. En tout, ils avaient dû descendre sur une dizaine de mètres. Ils arrivèrent dans une nouvelle pièce au sol droit dans laquelle se trouvait réunis une partie des hommes de Calderon et deux des ouvriers.

Les murs de cette salle avaient été maçonnés avec des blocs de pierre taillée plus larges que ceux habituellement trouvés dans les niveaux supérieurs. Au fond de cette grande pièce rectangulaire se trouvait l'entrée d'un nouveau passage. Jadis bouché par des éboulis, volontaires ou non, sur environ cinq mètres, il était maintenant à découvert. Deux autres passages se situaient sur les longueurs de la pièce mais n'étaient d'aucun intérêt pour ceux présent en ces lieux. A la suite de leurs recherches, lui et Valion avaient conclu que ces tunnels ne les mèneraient pas à la destination voulue.

Tout le monde s'écarta à son approche. Le contremaître lui présenta le passage nouvellement débouché.

— Voyez.

Malgré la faible lueur de la torche, Calderon vit que le chemin finissait par descendre, terminé par un escalier. Mais impossible de dire sur combien de mètres.

Il finit par ressentir quelque chose d'étrange, une signature éthérée qui s'échappait au loin. La voie semblait de nouveau bloquée mais considérant la sensation étrange qu'il en tirait, il songea immédiatement à un nouveau verrou arcanique.

— Que devons-nous faire ? demanda le contremaître face à la mine soucieuse de son seigneur.

— Finissez de déblayer l'escalier et installez de nouvelles torches. Je...

— Calderon !

Le ton tranchant, Valion fit brusquement irruption dans la salle.

Calderon, quelque peu surpris par son apparition, ne se laissa cependant pas impressionner par ce qui semblait être une nouvelle saute d’humeur. Plus le temps passait et plus elles se faisaient nombreuses.

— Tout va bien, Valion ?

L'Immaculé ignora sa question et lui répondit tout aussi sèchement qu'à son entrée.

— Où en sommes-nous ?

Il n'était pas d'humeur à faire étalage des circonstances de son agacement. Avec le temps, il appréciait de moins en moins ces petites interrogations qu'il jugeait bien trop intrusives à son goût. Ils n'étaient que des associés et bien qu'il ait joué la carte émotionnelle lors de leur rencontre, il souhaitait tout de même que les choses n'aillent pas trop loin. D'autant plus que le simple fait qu'un humain puisse le considérer, lui, un Immaculé, comme un ami, lui donnait la nausée. En vérité, Calderon était à l'image de sa précieuse sœur, rien de plus qu'un pion.

Son associé n'insista pas. Il soupira et se contenta de lui répondre.

— Ce passage vient tout juste d'être ouvert. Cependant, nous ne pourrons pas aller plus loin. Tout comme pour le précédent, je ressens la présence d'un autre verrou plus bas.

— Très bien...

Valion soupira longuement. Ces verrous arcaniques étaient véritablement pénibles. Une nouvelle nuit blanche s'annonçait pour lui. Mais pas avant d'avoir pris un peu de repos.

— Je m'en chargerai plus tard.

— Je ne sais qui est passé après ma sœur mais ces personnes ont décidément tout fait pour nous compliquer la tâche. Mais, nous semblons toucher au but. J'ai bon espoir de nous voir accéder au cinquième niveau d'ici le milieu de la semaine prochaine.

Valion sourit sombrement.

— Vraiment ? Quelle délicieuse nouvelle.

L'expression de son visage n'échappa pas à Calderon. Il tenta à nouveau d'en savoir plus sur ses actions. A cet instant, sa curiosité était trop forte.

— Votre promenade s'est bien déroulée ?

Sa promenade ? se dit-il. Ah, oui... Il faisait référence à cette petite rencontre qui aurait normalement dû se finir en bain de sang. Valion choisit de ne pas entrer dans les détails. Avec ce qu'il s'était passé, mieux valait les taire.

— Oui... Disons qu'elle fut des plus...enrichissante.

Si Calderon venait à savoir qu'il avait essayé de tuer son neveu et sa nièce, nul doute que leur partenariat volerait en éclat. Et à ce stade-là de son plan, cela s’avérerait fort problématique. Malgré sa colère, et la déception évidente face à leurs choix de vie, Calderon avait encore trop d'amour pour sa sœur pour faire du mal à ses enfants. Du moins, tant que ces derniers resteraient hors de son chemin. Repensant à eux, Valion prit une nouvelle décision.

— Calderon... Concernant nos plans, j'aimerai que vous avanciez la prochaine étape d'un jour.

— Cela est faisable. Une raison particulière à cette décision ? répondit-il tout de même méfiant.

— Oui et non. (Valion rit doucement.) De toute façon, cette décision n'impactera nullement nos plans. Alors pourquoi s'en soucier ? Rendez-vous-y simplement à l'aube.

— Soit.

— Bien... Je vais aller me reposer. Cette « promenade », bien que fort enrichissante, m'a épuisé. Je reviendrai plus tard pour m'occuper du verrou. A demain.

Calderon observa Valion s'éloigner. Celui-ci semblait étrangement plus satisfait qu'à son arrivé. Et ce soudain changement d'humeur était dû au simple souvenir de sa récente sortie. Que s'était-il passé ? Qu'avait-il donc derrière la tête ?

— Mon seigneur ? (Le contremaître se racla la gorge.) Concernant la galerie...

— Procédez comme voulu.

— Bien. A vos ordres.

Se pinçant légèrement l'arête du nez, Calderon soupira. Il tourna sa tête en direction de la galerie qu'il restait à finir de déblayer. Au bout de quelques instants, il s'en éloigna et entama le chemin inverse en direction de ses quartiers. Un peu de repos lui ferait le plus grand bien. Avec ce changement de dernière minute, la matinée risquait d'être mouvementée.

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