Chapitre 17 (1/2)

8 minutes de lecture

Au loin, à l'est, les premiers rayons du soleil, sous la forme d'une fine ligne de lumière, commençaient à border l'horizon. Cette nuit avait été plus calme que d'ordinaire. Les Noirelames, habituellement actifs aux alentours du port, s'étaient fait discrets depuis quelques jours. Le capitaine Berort des Veilleurs avait trouvé cela des plus étranges mais il préféra ne pas s'y intéresser de trop près.

Les contrebandiers agissant depuis les souterrains tout comme la Légion, les Chevaliers noirs avaient peut-être quelque chose à voir avec ce soudain changement d'ambiance. Il espérait seulement que rien de trop grave ne s'y tramait.

L'officier avait bien conscience des tensions actuelles ainsi que la certitude que Victor et les siens devaient quitter la capitale et le royaume, au mieux d'ici la fin de l'année, et au pire, probablement d'ici la fin du mois. Malgré toute l'amitié qu'il avait pour lui, si Edwald décidait de les bannir, chose qui n'était plus qu'une question de temps, il devrait se ranger aux côtés de son souverain. Et cela ne l'enchantait guère.

Soupirant longuement, il resserra l'épaisse cape en laine autour de ses épaules. Encore quelques directives à donner et il pourrait rentrez chez lui auprès de sa famille dans la haute-ville.


*****


Au cœur de la capitale, dans les beaux quartiers, Calderon remontait l'avenue des Montoineaux et observait calmement les environs, une lanterne dans la main droite. Menant au palais royal, cette voie accueillait les maisons et hôtels particuliers des notables les plus importants de la cité. Avec le peu de lumière aux fenêtres, la majeure partie des habitants dormait encore.

Il passa devant un premier carrefour. La rue à sa droite menait au cimetière Saint-Valantoix, réservé aux élites de la cité. C'est aussi en son cœur que se trouvait une série de galeries et d'escaliers menant aux souterrains. Contrairement à d'autres, cette entrée était connue des gardes et était donc surveillée continuellement.

Une cinquantaine de mètres plus loin, il déboucha sur une place importante de la capitale avec en son centre une statue en marbre blanc d'Hervrain de Malaure, fondateur du royaume d'Essenie. Il toisait du regard quiconque s'approchait.

Derrière, à l'autre bout de la place ovale aux larges dalles, le Sanctuaire des Trois occultait la statue de sa prestance. Le bâtiment, qui suivait un plan rectangulaire, était capable d'accueillir jusqu'à huit cents personnes lors des offices. Son toit en ardoise était agrémenté d'une tour surmontée d'une flèche, donnant à la bâtisse une hauteur de près de cent cinquante mètres. En longueur, le sanctuaire atteignait presque les deux cent cinquante mètres. De nombreux contreforts et arcs boutants aidaient à soutenir la pression de l'ensemble. Du fait de la proximité avec l'océan de Pranamante, la multitude des gargouilles qui ornait la toiture était présentée sous les traits de créatures marines, tels que des serpents de mer ou des sirènes.

De part et d’autre du lieu, les vitraux illustraient de nombreuses histoires tirées des textes sacrés, Aelleon, Lothrean et Lilua en étant les éléments centraux. Les autres divinités, dont le culte s'était fait moins important dans la région avec le temps, se trouvaient aussi dépeint sur les verrières.

La façade était composée de trois portails d'entrée, chacun surplombé d'un tympan sculpté. Lilua, représentée au centre en sa qualité de médiatrice divine, avait son premier frère, Aelleon, à sa droite et son second frère, Lothrean, à sa gauche. Plusieurs autres statues décoraient aussi la façade et le pourtour des entrées mais il s'agissait en grande majorité des divinités mineures du panthéon, le reste montrant quelques saints et autres héros.

Calderon s'arrêta un instant pour contempler le bâtiment. A cette heure, encore précoce pour la majeure partie des habitants, de nombreux religieux se dirigeaient par petits groupes dans l'enceinte sacré du Sanctuaire, s'aidant de torches et de lanternes pour se déplacer dans le noir.

Malgré la distance, Calderon parvint quand même à les différencier, reconnaissant à quelle divinité chacun d'entre eux s'était dédié : rouge et or pour les serviteurs d'Aelleon, bleu et argent pour ceux de Lothrean et enfin, noir et violet pour ceux de Lilua. Ces couleurs étaient les mêmes que pour chacun des Ordres anciens auxquels ils avaient un jour étaient affiliés, du temps de leur création. L’Ordre d’Eril, dirigé par les Sofra, avait choisi la bannière d'Aelleon, les Grandes archives et les Millervius, celle de Lothrean et la Légion et les Mortis, celle de Lilua.

Avec le temps, seul l’Ordre d’Eril et les Sofra étaient restés fidèles à leur serment. Les autres n'avaient pas hésité un seul instant, quelques décennies après leur fondation, à délaisser leur divin protecteur. Une décision qui avait irrité beaucoup de monde et en avait arrangé d'autres.

Calderon savait que, quatre siècles plus tôt, ce royaume avait choisi Aelleon comme divinité tutélaire lors de sa fondation. Chez lui, dans le royaume d'Anora, une telle pratique n'existait pas. Les Trois et toutes les autres divinités, aussi mineures soient-elles, avaient une place égale dans la spiritualité de la nation.

Étrangement, ceux qui usaient de cette coutume, principalement dans les contrées du sud, choisissaient presque toujours le dieu de la Lumière. Certains érudits et autres intellectuels avaient vu en cette exclusivité, un changement quelque peu inquiétant, dû principalement à l'influence croissante des Écarlates, cette branche malsaine qui cherchait à faire de cette divinité de la triade, le seul et unique Dieu véritable.

Mais malgré cette pratique que certains jugeaient inquiétante, Calderon se trouvait tout de même soulagé de savoir ce pays hors de l'influence directe des Écarlates. De ce qu'il savait, d'autres contrés du sud d'Alen n'avaient malheureusement pas cette chance.

Dans leur jeunesse, Kaerolyn n'avait cessé de lui marteler l'esprit avec ces informations. Bien que profondément respectueuse des rites et traditions d'autrui, elle n'avait jamais été très croyante et avait toujours fait savoir ses désaccords, n'hésitant pas à ouvertement remettre certaines traditions et autres dogmes en question, quand elle trouvait ceux-ci quelques peu « extrêmes ». Elle avait toujours eu un certain goût de l'interdit, ce qui pouvais en parti expliquer pourquoi elle s'était tournée vers les Mortis, que leur père avait toujours abhorré au plus haut point.

Il se remémora aussi qu'à cette époque, la jeune femme avait aussi toujours été très proche de leur grand-mère maternelle, écoutant toutes les histoires farfelues qu'elle tenait de ses parents, leurs arrière-grands-parents, et qu'eux-mêmes tenaient des leurs. Depuis le temps, Calderon avait oublié le contenu de ces récits que sa sœur avait tenté de lui conter. Il ne les avait jamais considérés que comme des fables, après tout. Et leur père eut beau lui ordonner de cesser de s'intéresser à cette maudite famille, cela demeura sans effet. Kaerolyn ne les avait jamais détestés. Et combien de fois s'étaient-ils disputés à ce sujet.

Repenser à ces jours lointains fit remonter une certaine colère en lui. Mais ils avaient beau avoir eu leurs désaccords, elle n'en demeurait pas moins sa sœur, et il l'aimait. En toute honnêteté, il aurait mille fois préféré continuer à s'agacer après elle que de n'avoir que le silence pour seul partenaire de conversation.

Seulement aujourd'hui, tout l'amour qu'il avait pour elle ne suffisait pas à supplanter toute la haine qu'il avait pour les Mortis, et en particulier pour Victor. Sa sœur était morte à cause de lui. Sa mère était morte à cause de lui. Son père était mort à cause de lui. Il était désormais temps qu'ils paient, tous autant qu'ils étaient.

Calderon quitta la place et reprit sa route, les poings serrés. Il parcourut les derniers deux cents mètres qui le séparait de l'entrée du palais royal, la rage au ventre.

Arrivant sur la grand-place qui faisait face au palais, il remarqua que la herse de la muraille était baissée. Elle ne serait pas relevée avant une bonne heure. La porte était grande ouverte et deux soldats montaient la garde au près.

Sur le chemin de ronde et dans la cour s'activaient une quarantaine d'hommes en arme, tandis qu’au sein du palais, le personnel commençait tout juste à s'éveiller. Ceux déjà debout s'empressaient de préparer convenablement les premiers évènements du jour.

Calderon s’approcha de la herse.

— Halte ! Qui va là !

Remarquant la légère tension dans sa voix, le noble anorien leva les mains en signe d'apaisement. Il poursuivit doucement son chemin puis s'arrêta à un mètre de la herse. Il se saisit ensuite dans la poche intérieure de son manteau en cuir marron d'un petit médaillon en or qu'il présenta au garde. Sur sa surface se trouvaient gravées les armoiries de sa Maison.

— Pardonnez cette visite quelque peu impromptue. Je suis le seigneur Calderon Ahren de la Maison Nimra du royaume d'Anora. Je souhaiterai m'adresser au capitaine de la garde royale, le seigneur Baldwin Thralond. J'ai un message important à lui remettre en main propre.

Le garde l'observa quelques secondes d'un air méfiant. Bien que de factures simples, les vêtements de l'homme face à lui étaient constitués de matériaux que peu de citoyens lambda seraient en mesure de s'offrir. Il était rare que des membres de la noblesse se présente aussi tôt et en de telles conditions, et encore plus quand il s'agissait de noble de contrés éloignées.

Après un temps de réflexion, le garde le plus proche de Calderon s'adressa à son collègue sans pour autant quitter des yeux leur invité surprise.

— Le capitaine est dans la cour. Va le chercher.

Acquiesçant en silence de la tête, le soldat s'éloigna vers la gauche en trottinant, dans une zone de la cour que Calderon ne pouvait voir. Il revint dans la minute qui suivit, le capitaine Baldwin Thralond et deux autres officiers à ses côtés. L'homme près de Calderon s'éloigna pour laisser la place à son supérieur.

Une fois sur place, le capitaine le dévisagea quelques instants avant de lui demander :

— Vous êtes ?

— Le seigneur Calderon Ahren de la Maison Nimra du royaume d'Anora. Voici, en preuve de bonne foi, dit-il tout en lui tendant le médaillon doré.

Le capitaine Thralond s'en saisit et l'observa quelques secondes. En Alen, cette pratique consistant à se déplacer avec un médaillon d’un métal précieux frappé du blason de sa Maison était courante chez les nobles en voyage. Il le lui rendit par conséquent, près à lui accorder une part de sa confiance.

— L'on m'a dit que vous aviez un message important ?

— Oui, il concerne les activités suspectes d'une certaine « famille » au sein de votre cité, lui répondit-il tout en sortant le document en question.

Il lui passa le courrier au-travers des barreaux de la herse.

— Votre souverain devrait pouvoir trouver une certaine...satisfaction avec le contenu de ce courrier. Du moins, je l'espère.

Quelque peu intrigué par les dires de cet étrange visiteur, Baldwin s'empressa d'ouvrir la missive et de la lire.

Au terme de sa lecture attentive, sa mâchoire se serra.

— Est-ce là toute la vérité ?

— Oui et je le jure sur mon honneur, répondit Calderon, une main sur le cœur.

Refermant la lettre à la hâte, il s'adressa aux gardes en charge de l'entrée.

— Levez la herse !!

*****

Annotations

Vous aimez lire Cassandra Mortis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0