Chapitre 19 (1/5)

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Ils avaient réuni tout le monde dans la cour de l'hôtel. La majorité des soldats esseniens se trouvait massée dans l'avenue juste devant l'entrée principale du bâtiment. Seule une demi-douzaine de chevaliers avait accompagné leur supérieur dans l'enceinte. D'une forte voix, Thralond déclama alors d'un air quasi solennel les nouvelles directives que cette maisonnée se devrait désormais de suivre.

— Bien. Comme notre bon roi l'a ordonné, vous êtes tous confinés dans vos quartiers et, jusqu'à nouvel ordre, vos portes demeureront closes. Mes hommes, ici présents, monteront la garde autour de votre hôtel jusqu'à votre départ. Vos domestiques pourront sortir dans le cadre de leurs tâches quotidiennes sous la surveillance permanente de mes hommes. Sachez que le moindre écart de conduite sera directement rapporté au roi.

Il dévisagea Victor une dernière fois puis se dirigea vers la sortie en compagnie de ses soldats. Une fois dehors, et juste avant que la porte charretière soit entièrement close, il dit à ses hommes :

— Messieurs, à vos postes. Et bon courage.

Dans la cour, Irvirn, l'officier supérieur parmi les légionnaires, regarda Victor d'un air quelque peu abasourdi. Les expressions de ses collègues n'étaient guère différentes de la sienne.

— Commandant ? Qu'est-ce que...

— Verrouillez les portes, je vous prie. Je vais tout vous expliquer.

Harban, en possession des clés ce jour-là, s'exécuta sur-le-champ. De l'autre-côté, en entendant la clé tourner dans la serrure, les commentaires ne se firent pas attendre.

— C'est cela, mes petits. Fermez bien votre cage à poule !

Ce commentaire fut suivi d'une série de rires prononcés que les habitants de Portelune se firent une joie d'ignorer. Les légionnaires se réunirent face à leurs supérieurs. Victor inspira profondément avant de prendre la parole, comme s'il cherchait à prendre le temps de se donner un peu de courage. Il haussa un peu le ton, de sorte à être entendu de tous.

— Je vais être bref donc écoutez-moi attentivement. Le roi sait pour nos « petits arrangements » avec les contrebandiers et il est aussi au courant pour les différentes attaques dans les royaumes de Mirbre et de Ranaes. La Légion est donc bannie de l'Essenie. Nous avons jusqu'au vendredi soir pour quitter la capitale.

De nombreux hoquets de surprise se firent entendre un peu partout, tant chez les légionnaires que chez les domestiques qui s'étaient rapprochés de la cour à la suite de l'annonce tonitruante de Baldwin Thralond.

Louise se trouvait à l'entrée du hall avec Emile dans les bras de son père, juste à sa droite. Sentant l'inquiétude grandissante de son épouse, ce dernier passa un bras autour de sa taille puis la serra contre son flanc. Il embrassa son front.

— Ne t'en fais pas, Louise. Tout ira bien.

— Mais...

— Fais-moi confiance. Tout ira bien, d'accord ? insista doucement William en souriant.

Elle ne lui répondit pas et l'enlaça en silence, un air maussade sur le visage.

Au centre de la cour, Margrave se chargea de poser tout haut la première question qui était venue à l'esprit de Louise, tout comme à celui de tous les autres habitants de la bâtisse.

— Mais où irons-nous, Commandant ? Et la forteresse Mérina, au nord ?

— Ils seront mis au courant en temps voulu. Pour ce qui est des effectifs de Portelune… Nous rentrerons à Hautelune.

— Et les domestiques, Père ? Que va-t-il advenir d'eux ?

— Si tu le veux bien, William, nous nous chargerons de tout cela plus tard dans l'après-midi. Je crains que nous n'ayons plus urgent à régler dans un premier temps.

— Très bien. Comme tu voudras.

 Victor se tourna de nouveau vers les légionnaires.

— Un long voyage nous attend mes amis. Commencez à trier vos affaires. Cependant, j'aimerais que deux d'entre vous continuent de monter la garde à l'entrée. Les rotations habituelles.

— Oui, Commandant, lui répondit Irvirn.

Les légionnaires se mirent chacun en ordre de marche. Irvirn se chargea de déterminer les rôles de chacun pour le reste de la journée.

— Les autres, avec moi, dit alors Victor en s'avançant vers le hall d'entrée.

William et Louise s'écartèrent du passage. Il reposa Emile au sol puis, s'accroupissant, posa ses mains sur ses joues.

— Je reviens très vite, mon garçon. D'accord ?

Son fils acquiesça d'un léger mouvement de la tête. Tandis que son père se relevait, Emile se saisit de la robe de sa mère dans laquelle il s'enfouit presque à moitié, inquiet comme il l'était. Celle-ci lui caressa tendrement les cheveux.

— A tout à l'heure.

William embrassa son épouse puis rejoignit le reste de ses camarades dans les escaliers qui menaient aux sous-sols. A peine descendit-il les premières marches que Morga s'agaça.

— Mais c'est quoi son problème à la fin ?!

Ce qui le surprit quelque peu. Il était rare qu'elle réagisse de la sorte.

— Le problème est que ce sale petit crétin prétentieux a appris l'art de la chevalerie et de la politique avec l’Ordre d’Eril. Contemple le résultat, lui répondit Garance, elle aussi passablement énervée.

— C'est ça le « roi » d'Essenie ? demanda sa camarade, presque innocemment.

C'était la première fois qu'elle rencontrait un monarque et en particulier celui de son pays. Elle s'était attendue à autre chose et cette confrontation la laissait avec un certain goût amer.

— Ce n'est qu'un titre, Morga, lui expliqua William, à l'arrière du groupe. On ne juge pas la valeur d'une personne à ses titres mais à ses actes.

L'essenienne ne dit rien mais l'expression de son visage continuait de montrer du dépit.

La discussion étant close, Garance aborda un autre sujet, qu'elle estimait beaucoup plus important. La suite des évènements les inquiétait tous.

— On fait comment pour les souterrains au final, papa ? On ne peut pas juste partir comme ça. Et l'Archonte ? Et...

Il la coupa à l'instant où ils pénétrèrent dans le premier sous-sol de l'hôtel, là où se trouvait leur salle de réunion la plus discrète.

— Garance, je... Qui va là ?

Dans la pénombre, face à la porte close de la pièce où ils se rendaient, se tenait une femme de grande taille vêtue d'un habit bleu sombre sous un épais manteau noir à capuche. Les broderies argent et blanches sur sa tunique suggéraient son appartenance aux Grandes archives, ce qui détendit légèrement l'atmosphère. Elle retira sa capuche. Le vêtement découvrit une paire d'oreilles pointues, plus longues que celles des hauts-elfes et elfes noirs. Les oreilles d'une elfe des bois.

— Vous êtes une Kahuna, déclara alors Sérion, étonné par la présence de la nouvelle venue.

Autour de Morga, personne ne sembla réagir aux paroles de Sérion. Comme toujours, elle se sentit quelque peu en retard sur ses connaissances par rapport au reste du groupe et cela se vit sur son visage. Remarquant cela, Garance se rapprocha d'elle.

— Ce sont les elfes sylvestres d'Acles, le continent au sud, expliqua-t-elle en chuchotant. Ils vivent dans une grande cité au centre des immenses jungles du continent. Ne m'en demande pas plus, c'est tout ce que je sais sur eux.

Morga remercia Garance. Elle constata que la carnation de l'elfe était en effet peu commune en Alen. Elle avait certes vu des matelots et marchands originaires des contrées sud, au-delà de la mer de Roath, se restaurer à la taverne familiale mais cela était demeuré trop inhabituel pour qu'elle n’y fasse plus attention.

La peau des Kahuna, à l'image des humains d'Acles et au contraire de leurs cousins de l'Alen, était de teinte beaucoup plus sombre, semblable au marron de la terre et de l'écorce de certains paysages forestiers. D'épais et longs cheveux noir d'encre tressés couvraient le crâne de celle-ci. Un complexe tatouage aux motifs végétaux marquait la partie supérieure droite de son visage, juste au bord d'un de ses yeux vert clair. Il représentait principalement des lianes, un symbole sacré de son peuple, évoquant les liens fort qui les unissaient.

Elle s'inclina brièvement.

— Pardonnez cette intrusion, Seigneur Mortis. Je suis la Sage Nakita, au service du Maître Astanatos. Ma Dame est actuellement en route. Si vous voulez bien patienter quelques instants, vous aurez alors tout le loisir de discuter de vos sujets fâcheux de vive voix avec elle, expliqua-t-elle dans un parfait alenois.

Victor soupira. Cette femme était bien celle qu'il avait imaginé.

— Très bien, nous attendrons.

D'un geste bref, il déverrouilla la porte face à eux. Il se tourna ensuite vers ses enfants.

— Mettez la table et les chaises. Je reviens tout de suite.

Avant même que qui que ce soit ne puisse lui répondre, il avait déjà disparu dans les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée. Garance regarda son frère d'un air quelque peu interrogatif puis haussa des épaules. Ils avaient un peu de mal à saisir quelle mouche l'avait piqué mais s’exécutèrent quand même.

Garance n'avait pas vraiment réagi quand Nakita avait annoncé la venue de sa Dame. Il fut un temps où elle aurait été ravie d'une telle nouvelle, seulement, la situation était trop préoccupante pour qu'elle éprouve une quelconque joie.

Walther fut le premier à entrer dans la pièce suivi de William, Garance et Morga. Sérion et Nakita se rapprochèrent et restèrent sur le seuil. Il était assez intrigué. Jusqu'à aujourd'hui, il n'avait côtoyé principalement que des haut-elfes et à de plus rares occasions les Vransa, les elfes sylvains de l'Alen, voire des membres de sa propre espèce.

— Il est bien rare de voir des gens de votre peuple aussi loin au nord.

— Les paysages ne sont pas aussi atroces que ce que je m'imaginais même si l'accueil en ces terres laisse parfois quelque peu à désirer. Vous êtes aussi bien loin de chez vous, finit-elle en regardant Sérion du coin de l’œil.

Elle souriait. Sa voix était calme et douce.

— Les circonstances de la vie, lui répondit l'elfe noir en soupirant longuement. Mais je ne regrette pas d'avoir quitté Perica.

— Nous avons tous nos raisons, conclu-t-elle quelque peu mystérieusement.

Face à eux, dans la pièce, Garance plaça les deux dernières chaises autour de la table avant de s'installer sur l'une d'elle. Elle croisa les bras puis les jambes qu'elle posa sur le dessus de la table d'un air très désinvolte, ce qui lui valut un profond soupir de son frère tandis qu'il s'asseyait à son tour.

Elle haussa un sourcil.

— Quoi ? C'est pas comme si on mangeait dessus d'habitude. Tu as vu la couche de poussière ?

— Comme c'est aimable à toi de te proposer pour le ménage, répliqua alors William en souriant.

— Ah ! Rêve toujours...

— C'est une proposition intéressante.

— Hein ? Tu ne vas quand même pas t'y mettre aussi, Walth...

Un bruit sourd fit sursauter la jeune femme. Leur père venait d'arriver et la première chose qu'il fit fut de poser de façon quelque peu indélicate un petit carnet à la couverture et aux pages usées par le temps.

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