Chapitre 31 (1/2)
Au cœur de la Nouvelle-Essenie, le flot des morts avait rendu l’espoir d’éteindre l’incendie inatteignable. Les gens courraient pour sauver leur vie, non pas des flammes mais des trépassés qui continuaient encore de surgir des profondeurs de la terre.
Dispersés aux quatre coins de la cité, les Sages d’Ishaa tâchaient de faire tout leur possible pour retrouver et éliminer les zélotes qui faisait de cette ville leur sinistre terrain de jeu. Plusieurs avaient déjà passé l’arme à gauche mais beaucoup trop demeuraient encore.
Dans la basse-ville, le groupe d’Odalric avait réussi à éloigner les cultistes et les morts de la seule avenue qui permettait désormais à tous de quitter la capitale. Plus haut, un deuxième groupe, dirigé par un Vanras du nom de Gwendal, contribuait à protéger, bien que discrètement, le Sanctuaire des Trois et le palais royal. Et à l’opposé, au cœur des bas-fond, Ermelind, une Sage naine, aidait accompagnée de son groupe, à guider les plus pauvres et vulnérables encore en vie vers le sanctuaire lilluéen ou les derniers soldats esséniens qui se souciaient encore du sort de ces pauvres malheureux.
Ces mêmes soldats, d’ailleurs éparpillés un peu partout dans la capitale, luttaient aux côtés des Paladins d’Aelleon et des quelques mages que comptait la capitale. Ces derniers usaient comme ils le pouvaient de leur sorts et sortilèges pour atténuer l’intensité du brasier et limiter sa propagation. Seulement, gérant collectivement deux fronts différents et se trouvant en sous-effectif, ces tâches s’avéraient incroyablement compliquées à réaliser.
Malheureusement, beaucoup parmi les soldats s’étaient lentement fait à l’idée que la ville était perdue et tâchaient donc de faire de leur mieux pour évacuer le plus d’habitants possible. Ceux qui avaient encore de l’espoir demeuraient auprès des Paladins d’Aelleon et faisaient courageusement face aux morts-vivants, convaincus qu’ils arrêteraient rapidement leur progression, et ce, tout en portant secours aux habitants dans le besoin.
Cinab dirigeait un tel groupe et escortait aux côtés de nombreux soldats, plusieurs habitants de tous âges vers l’avenue des Prelant, la dernière voie principale pour quitter en sécurité la cité. Les personnes sous sa protection formaient en tout trois familles différentes, même si elles se trouvaient être incomplètes, certains membres étant soit morts soit portés disparus.
Au cœur de cette chaleur, qui devenait de plus en plus inconfortable, l’espoir finit par se muer en réalité ; l’avenue tant attendue pointa enfin le bout de son nez et les soldats qui la gardait leur faisaient déjà signe. Mais Cinab se refusa à relâcher son attention.
— Restez groupés ! cria-t-elle aux trois familles derrière elle. Ne vous éloignez pas des chevaliers !
Prises par la peur, certaines personnes avaient du mal à avancer. D’autres pleuraient simplement. Au milieu du groupe, une enfant d’à peine six printemps tenait désespérément dans ses bras un chaton emmailloté dans un épais tissu en laine.
Enfin arrivés au bord de l’avenue, les soldats déjà présents sur place prirent rapidement ces habitants en charge. Ils les guidèrent immédiatement en dehors de la ville où des prêtres des Trois leurs donneraient à boire et les premiers soins, pour ceux qui en avait besoin.
Ces gens en sécurité, Cinab rejoint alors une petite halle en pierre où se trouvait un poste de commandement temporaire. Sous celle-ci, une table avait été montée à la hâte. La chevaleresse se plaça face à une grande carte de la cité quelque peu écornée et trouée. Dessus, plusieurs endroits avaient été marqués au fusain. Elle fut rejointe par un confrère de son ordre et un prêtre aellionnien.
— Ces gens étaient les derniers du quartier du port. Nous devons maintenant concentrer notre attention sur le reste de la cité, en particulier le Sanctuaire des Trois, expliqua-t-elle tout en indiquant de son doigt les différentes zones en question. Une puissante barrière protège le lieu des morts et des flammes. Je peux sentir sa magie d’ici. Il ne serait pas surprenant qu’il contienne nombre d’habitants.
Elle se tourna vers l’autre Paladin présent. La pâleur de sa peau contrastait vivement avec la suie qui couvrait son visage par endroits et ses cheveux noirs.
— Varilian, poursuit tes efforts dans la basse-ville.
— Je ne pourrais rien faire pour ceux qui ont réussit à trouver refuge dans les souterrains. Ils auront peut-être réussi à échapper aux flammes mais pour ce qui est des morts-vivants…
— … Fais ce que tu pourras. Que les Dieux aient pitiés d’eux.
— De son côté, Flavia devra œuvrer plus intensément encore pour sécuriser définitivement l’avenue. Si nous la perdons, nous perdons la ville. Prêtre Niorl, pouvons-nous encore compter sur le soutien des vôtres ?
— Oui, ma Dame. Vous pouvez compter sur nous. Nous ferons le nécessaire.
— Bien.
La Paladin se tût, entamant un court silence réflexif. Elle indiqua alors le nord de la ville où se trouvait la jonction entre deux de ses quartiers.
— Et qu’en est-il des morts-vivants dans cette zone ?
— Ils ont tout juste réussi à couper la voie qui mène aux bas-fonds, expliqua Varilian en montra à son tour sur la carte les zones en question.
— Les bas-fonds ? Le capitaine Berort vient tout juste de s’y rendre.
— Il aurait réussi à passer avant qu’elle ne soit coupée. Nous n’avons malheureusement pas d’autres nouvelles de lui.
— La peste ! (Elle se tourna vers le prêtre.) Et pour la haute-ville ? Le roi est-il toujours en sécurité ?
— Le Seigneur-Inquisiteur est toujours auprès de lui mais…
— Quoi ?
— Avant de parvenir à vous rejoindre, j’ai cru entendre plus tôt qu’il avait fait dépêcher deux autres Inquisiteurs et plusieurs soldats en direction d’une bâtisse dans la haute-ville. Je ne sais de laquelle il s’agit.
L’hôtel Portelune… Il ne croit quand même pas que…
Cinab ne dit rien, serrant ses poings sur le table et réprimant une grimace. Pourquoi gaspillait-il ainsi leurs ressources ? Et pourquoi les Mortis agiraient-ils ainsi ? Elle ne voulait pas y croire ; cela n’avait aucun sens. Seulement, les récents récits macabres venus de l’est les concernant amenaient un doute qu’elle n’arrivait pas à chasser. Malgré tout, elle choisit de réserver son jugement ; elle n’avait pas suffisamment de preuves pour désigner avec justesse un coupable. Ne pouvant rien faire de plus sur cette question, elle se reconcentra sur la haute-ville.
— Les habitants ? Combien sont encore piégés ?
— Je ne puis le dire avec certitude, ma Dame, mais bien trop. Aussi…
— Quoi d’autre ?
— Nous avons eu rapport d’étranges individus vêtu de bleu se faufilant entre les maisons et affrontant d’autres mages. En tout, c’est cinq cadavre qui ont été découverts dans la basse-ville après leur passage.
— Les Grandes Archives… Leurs mages sont dans la ville.
Cela ne la surprenait guère. Avec le réseau d’espionnage qui était le leur, il n’était pas surprenant de les savoirs ici. Restait à découvrir la raison de leur présence. La seule chose qui était certaine à ses yeux, c’est que dans ce contexte précis, ils n’avaient pas à les compter parmi leurs ennemis.
Cette nouvelle information finit par éloigner définitivement les doutes qu’elle avait envers les Mortis. Elle ne comprendrait pas que les Grandes Archives aident qui que ce soit à fomenter ce genre de destruction. Elles étaient pour la stabilité, et ce, malgré leurs nombreuses manipulations.
Cependant, un autre élément l’interpella bien plus.
— Ces autres mages dont il est question, ont-ils de quelconques signes distinctifs ?
— Je n’en ai aucune idée, ma Dame. C’est tout ce qui m’a été rapporté.
— Varilian ?
— Rien à sujet. Pour le moment.
Ils échangèrent un regard et Cinab se tût à nouveau. Elle et lui ne connaissaient qu’un seul type de mage face auxquels les Grandes Archives pourraient se mobiliser de la sorte. Mais, à nouveau, sans preuves…
— Y a-t-il matière à s’inquiéter ? demanda alors le prêtre aellionnien, qui peinait de plus en plus à masquer les tremblements de ses mains.
— Je n’en sais rien, lui dit-elle tout en s’éloignant de la table. (La Paladin se tourna vers lui.) Laissez œuvrer les Sages. Quoi qu’ils fassent, n’intervenez pas. Concentrons-nous plutôt sur les vies que nous pourrons et pouvons sauver.
Face à ces mots déterminés, le frère Niorl acquiesça de la tête et mit de nouveau ses doutes de côtés. Cinab s’adressa alors à un lieutenant de la garde, qui les avaient rejoints à l’instant, et se trouvait être le plus haut gradé parmi les soldats esséniens présents.
— Rassemblez nos gens. Nous devons atteindre le Sanctuaire coûte que coûte et dégager une voie pour le reste des habitants et la famille royale.
— Ma Dame, considérant les circonstances, avons-nous réellement une chance d’y arriver ?
Cinab pouvait sentir les doutes et hésitations de ce soldat. Elle prit donc quelques secondes pour réfléchir à une réponse qu’elle estimait suffisamment convaincante.
— Nous n’avons pas le choix. Plusieurs centaines de personnes attendent d’être secourues. Je ne fuirai pas comme une lâche. Et, que les Trois m’en soient témoins, si je dois mourir ici cette nuit en accomplissant mon devoir, alors qu’il en soit ainsi.
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