La Bibliothèque
Ici, ma mémoire est intacte. C'est comme si la maladie qui dévore d'habitude mes neurones était à l'arrêt ici.
"Choisi un endroit. Un endroit qui représente ton nid, ta cachette. Un endroit qui te protège et dans lequel tu t'es toujours senti en sécurité. Visualise-le, comme les dernières séance."
Je fais donc ce que le docteur Thompson me demande. Peu à peu, à mesure que je visualise cet endroit spécial, il se dessine sur son écran de contrôle.
"Parfait Tom, parfait ! Continue. L'expérience sera concluante tu peux me croire."
Je ne comprenais pas il y a quelques mois de ça. Maintenant je comprends. Je n'ai pas besoin de prononcer le moindre mot, Tammie me comprends. Elle aquiesce, prend son temps pour me comprendre. Il y a aussi Joël qui nous a rejoint. Toujours aussi drôle ce Joël ! J'ai pris le temps de me sentir de plus en plus à l'aise ici, dans mon univers. Ainsi, on a pu jouer aux Lego, à un jeu de carte aussi, le UNO, un de mes jeux favoris de mon enfance, avant l'accident. On a même joué à l'ordinateur : il est blanc et énorme. Il date de 1998, comme dans mes souvenirs. Les touches du clavier sont aussi énormes. Il est grossier cet ordinateur, mais c'est comme ça que je l'aimais. A l'ancienne, comme disait papa. On a insérer un CD ROM. Le même jeu dans lequel les familles doivent être construites. Que de souvenirs...Tammie rigole, Joël aussi. Moi aussi. Je ne pensais vraiment pas que tout serait si réaliste.
Mais après deux bonnes heures de jeu, je remarque autre chose, au fond de la chambre.
Ce que je cherchais depuis le début.
"Qu'est-ce que c'est ?" me demande Tammie. J'avance alors faisant grincer une nouvelle fois le parquet. L'odeur de vieille page et de vieux livres s'intensifie. Comme j'aime cette odeur... Et là, je la vois : ma bibliothèque. Elle n'est pas énorme, une étagèrefaite de ce bois si épais. La même couleur que le parquet d'ailleurs. Tout mes livres sont là. Tous. Le Chien des Baskerville, Carrie, mes bandes dessinées Tintin, ma collection Indiana Jones, il y a même les livres de mon père, La Tour Sombre, Fondation, Joyland, ainsi que des livres de fantasy, d'aventure, et tout le reste. Là, je distingue le livre qui m'a fait aimé la lecture : Le Petit Prince.
Ne prêtant plus aucune attention à mes deux amis, je me retrouve assis, choisissant avec grande précaution le livre que je m'apprête à dévorer. Tammie et Joël me rejoignent. Ils font de même. Le même air sérieux, sourcils froncés.
C'est alors qu'une alarme retenti. Elle envahit la pièce.
Puis, la porte d'entrée s'ouvre. Un visage familier. Papa.
"Papa !" Je lui saute dessus, mais il semble ailleurs. "Que fais-tu ici ?
- Je...
- Viens donc lire avec nous ! Ou il y a l'ordinateur si tu veux, oh non, plutôt la balle ! Tu te souviens quand j'ai jeté la balle contre la fenêtre ? Regarde !"
J'oublie très vite son air pensif.
"Mon fils..."
Je passe outre. Je n'aime pas lorsqu'il gâche la fête. Surtout qu'ici, le temps semble infini, la douce lumière du jour envahit encore la pièce d'un halo puissant et chaleureux. J'ignore depuis combien de temps je suis ici mais je ne souhaite pas m'arrêter. Tammie et Joël me regarde du même air pensif que mon père. Mais qu'est-ce qu'ils ont à la fin ?
"Qu'est-ce qui se passe bon sang ? Vous n'êtes pas bien ici ? Vous êtes libre de sortir alors ! Moi je reste, je ne quitterai jamais ma chambre.
- Écoute Tom, nous avons quelque chose d'important à te dire." Je cesse donc de m'agiter, dépose la balle au pied du lit Toy Story et décide de m'asseoir dessus pour écouter.
- Bon qu'est-ce que vous avez ?
- Mon fils...Tu es conscient de ce qui t'arrive n'est-ce pas ?
- Comment ça ?" Il se place à mon niveau, comme il l'aurai fait pour un enfant. Je déteste ça. Les deux autres derrière lui, m'observe de la même manière. Tammie a les larmes aux yeux.
- Tom...tu n'es pas au courant ?
- Mais de quoi bon sang ! Vous allez parler oui ?!
- Mon fils, rien de tout cela n'est réel, tu le sais ?
- Comment ça papa ?
- La balle. La fameuse balle, ce lit, tes couvertures, celles de ton film favoris quand tu n'étais pas plus haut que trois pommes. Ce parquet, ton fameux ordinateur de 1998, ta bibliothèque. Et Tammie. Joël aussi. Rien n'est réel mon fils.
- Bien sûr que rien n'est réel...Je le sais. On a participé à l'expérience NOSTALGIE. Tu m'y as inscrit je me souviens. Pour que je puisse marcher à nouveau, traverser mes souvenirs, reconstruire ma mémoire. Je m'en souviens maintenant papa. L'expérience fonctionne tu sais ?
- C'est plus complexe mon fils. Tu...Tu te souviens de l'accident ? "
Soudain, tout me revient. Tel un éclair foudroyant, tout me revient en tête.
"Rien n'est réel papa...
- Nous avons créé cet endroit ensemble. Tout ceci tu l'as construit toi-même. Il n'y a aucune expérience, aucun docteur. Tu es tombé dans un coma après l'accident mon fils...tu..."
Les larmes s'écoulent de ses yeux. Moi, je reste impassible.
"...tu es en ce moment à l'hopital. On te maintient en vie avec un tas de tuyaux, des machines, et tout le reste...Cette alarme que tu entends c'est...c'est moi qui ait appelé les infirmières, tu es en train de mourir mon fils. Tu ne réponds plus aux stimulis, tu convulses, tu..."
Tout me revient. Le docteur Thompson...il vient de mes lectures, je me souviens. Pareil pour son assistante, pareil pour le reste. Papa pleure, Tammie aussi, Joël se retient. Mais en réalité, je ne comprends pas pourquoi.
"Papa." Il ne m'écoute pas. "Papa ?
- Oui mon fils..?
- Depuis que je suis arrivé ici je sais ce que j'ai à faire.
- Que veux-tu dire ?
- Tout ça, tout ce que tu vois, le lit, le parquet, le plafond mansardé, mon ordinateur 1998, mes jeux vidéos, ma balle, les livres. Tout ça n'est peut-être pas réel mais, pourquoi est-ce que je ne pourrais pas vivre ici ? Après tout, ma mémoire, mes souvenirs, ma vie est ici non ? Ces souvenirs, ils sont magnifiques. C'est comme si je pouvais vivre ici, au coeur de mes meilleurs souvenirs. On peut tous vivre ici, ensemble."
Ils ne comprennent pas. Pas encore. Ma nostalgie, c'est peut-être là où je vais vivre à présent. Et nous ne sommes pas encore sorti. Dehors, la lumière, la chaleur, tout doit être plus beau. Alors je prends papa par la main, mes deux amis nous suivent, et nous nous asseyons en cercle, devant la bibliothèque. Nous prenons chacun un livre. Mon Petit Prince entre les mains, je regarde papa et les autres, comme pour leur faire comprendre qu'il n'y a rien de grave. Nous sommes réunis ici, dans ma mémoire, dans mes souvenirs, dans les méandres de ma nostalgie.
Ma chambre.
Fin.
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