VIII. Retour en terre de mémoire
— Et pourtant, je crois bien qu’elle était mariée…
Le silence se fit soudain à la table de Robert et Janine, les enfants de Gabrielle.
— Attends. Laisse-moi réfléchir… comment c’était son nom déjà ? Ah oui, Dupaquier !
— Je comprends de moins en moins. À quoi rime ce scandale si elle était mariée ?
Comment expliquer la conduite de Marie Domino ? Pourquoi avoir chassé sa fille ? Toute cette histoire ne tenait plus debout si Isabelle était mariée !
Il va sans dire que nombre de cousins ne comptaient pas en rester là. Si Isabelle était mariée, il devait être possible de trouver des photos de ce mariage quelque part ! Et nous voilà à fouiller de nouveau les quelques albums photos apportés pour l’occasion. Tels des détectives à l’affût d’un indice, nous remontions le temps au fur et à mesure que nous remontions les pages des albums.
Mais de photos de mariage d’Isabelle, pas une. En fait, il n’y avait pas de photo d’Isabelle du tout. Aucune trace d’elle dans les albums. Personne ne se souvenait l’avoir jamais vue… Nous étions bredouille quand soudain un des invités nous interpella :
— Vous cherchez une photo d’Isabelle ? Mais si. Là-bas, à cette table, allez donc voir Jean-Michel ! Il vient de m’en montrer une.
La piste s’avéra juste.
Jean-Michel est le fils aîné de Petit Jean. Jusque-là, nous n’avions pas osé aller le voir. D’abord, c’était un inconnu pour nous et, de plus, Isabelle était sa grand-mère, directement. Nous nous amusions avec cette histoire de secret car elle ne nous touchait que de loin. Pour Jean-Michel, il pouvait en être tout autrement. Nous étions donc hésitants en allant à sa rencontre…
Jean-Michel nous répondit très gentiment. Effectivement, il avait une photo d’Isabelle. Oui, nous pouvions la voir. L'excitation était palpable lorsqu'il nous montra le portrait d’une jeune femme, de trois quarts face. La photo était mise en valeur par une mise en page en forme de médaillon. Sans doute classique pour l'époque, nous avions noté la même mise en scène pour une photo de Gabrielle et une autre de Marcelle. Sans doute d'ailleurs prise à la même occasion. Le photographe avait dûrecevoir commande de faire un portrait de chacune des soeurs. Mais ce n'était pas le format de la photo qui nous subjuguait. C'était l'inscription manuscrite juste en dessous : Isabelle Massé. Le visage de celle qu'on avait oubliée s'imposait majestueusement devant nos yeux ébahis.
Elle est belle. Elle ne regarde pas le photographe, son regard semble absorbé. Elle est bien là, et à la fois elle est ailleurs. Elle ne semble pas triste, songeuse peut-être. Pas un songe mélancolique où elle serait engluée, non un songe où il fait bon. Ses cheveux sont attachés en arrière, un chignon que l’on devine ; une mèche sur son front s’est détachée. Son visage n’est pas sombre, on pourrait même y deviner un sourire qui l’éclaire. De cette image, il émane un sentiment étrange. Isabelle pose, se rend présente à la photographie, elle a une belle robe, mais tout en elle semble nous murmurer : je suis ailleurs, quelque part où je suis bien.
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