XII. La fuite ratée : épisode 1

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La cousinade battait son plein. Les langues se déliaient, retrouvaient les mots entendus autrefois. Et comme il en va souvent dans une conversation, une phrase en entraîne une autre, de fil en aiguille... Les souvenirs qu’on avait cru disparus refaisaient surface, la chape qui les retenait se lézardait et l’on voyait remonter, non seulement des pans entiers de l’histoire, mais aussi dans le sillage de ce secret, des émotions. Ces souvenirs éparpillés par le temps finissaient par se rassembler. L'histoire de l’Effacée se tissait.

À la table où nous nous trouvions, l’épisode de la fuite ratée retenait l’attention de tous. Les conversations badines s’étaient tues et chacun essayait de comprendre ce qui avait bien pu se passer .

Plaise aux plus romantiques d’imaginer la scène :

Février 1917. Pour Isabelle, la période de deuil est passée. Elle a troqué ses habits noirs qui lui rappelle la perte de François pour des habits communs. Dans son entourage, on pense qu’elle aura le temps de se retrouver un mari, elle n’a que 21 ans, même si il faut l’avouer, la période n’est guère propice. Cette guerre que l’on croyait ne durer que quelques mois est installée depuis plusieurs années. Les hommes, pour la plupart, sont au front.

Isabelle semble avoir repris goût à la vie. Marie n’y voit pas de cause particulière, c’est dans la logique des choses. Sa fille est jeune veuve, comme beaucoup. Deux ans et demi ont passé. Le tonnerre de la guerre gronde dans le lointain et il faut bien s’occuper du quotidien.

À la ferme Massé, c’est un jour comme les autres... jusqu’à ce que la mère Marie, partie aux champs, revienne à la maison. Elle pousse la porte de la chambre et se retrouve nez à nez avec Isabelle ! Oubliant ce qu’elle est venue faire, Marie reste clouée sur place. Quelle surprise ! Isabelle en manteau. La jeune femme est tout aussi surprise que sa mère. Manifestement, elle ne pensait pas la trouver sur son chemin. L’effet de stupeur dissipé, Marie Domino comprend vite. Sa fille tient à la main une valise. À grande vitesse ses pensées échafaudent différentes hypothèses, jusqu’à ce qu’elle réalise ce qui est en train de se passer. Son cœur fait un bond, son intuition se confirme. Isabelle s’apprête à rejoindre un amant ! Isabelle veut fuir avec un homme.

Sans un mot, Marie tente de lui arracher la valise. Isabelle se débat. Elle s’agrippe à la poignée de cette maudite valise comme si sa vie en dépendait. Malgré la colère qui enfle, Marie n’arrive pas à lui arracher la valise. Finalement, du haut de ses 46 ans, Marie trouve les mots, brefs et tranchants, ceux qui figent.

Derrière la porte qu’elle a pris soin de fermer à double tour, la mère entend sa fille étouffer un long sanglot. Elle espère qu'Isabelle, cloîtrée dans sa chambre, réfléchira et reviendra à la raison. S’enfuir avec un homme. Quelle honte ! Elle compte la garder à la maison le temps nécessaire, le temps qu’elle recouvre ses sens.

Les jours passent. Au village on raconte que l’aînée des filles Massé n’a pas le loisir d’aller où elle veut. Elle serait prisonnière. Augustin et Marie ont eu peur du comportement de leur fille. Et du qu’en dira-t-on. Depuis cet incident, le ventre d’Isabelle s’arrondit. Impossible désormais de cacher son état.

Alors autant la cacher complètement. Si l’on cache la fille, on cache la « faute ».

Jusqu’à la naissance de l'enfant, Isabelle reste à l’abri des regards, mais pas des commérages. Les Massé espèrent, en la protégeant du monde extérieur, protéger l’honneur de la famille. Les doux rêveurs...

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