Joseph Souberbielle à Maximilien Robespierre

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Maximilien,

En temps que votre médecin personnel, je me fais un devoir de vous annoncer la nouvelle le premier : Marie-Antoinette vient de donner la vie non pas à un, mais à deux enfants (que l'accouchée a nommé Sophie-Elisabeth et Louis-Athanase). Bien évidemment, les bébés ne recevront ces prénoms qu'avec votre consentement, mais je n'ai guère eu le cœur de le dire à votre prisonnière. Après cet accouchement fort long et fort douloureux pour elle, je peux vous assurer qu'elle faisait incroyablement peine à voir. Marie-Antoinette a perdu connaissance un certain nombre de fois, à un point tel que nous avons cru à plusieurs reprises qu'elle trépassait. Après la délivrance, plusieurs potions de ma composition ont réussi à lui redonner un peu de couleurs.

Quelques minutes plus tard, Marie-Antoinette avait la force de se lever légèrement afin de laisser Marie et Constance, deux de mes assistantes (vous les avez déjà rencontrées toutes deux), lui faire une toilette sommaire. J'ai pu alors l'examiner plus précisément. Je me suis approché alors qu'elle était adossée au mur, les yeux dans le vide. Néanmoins, cependant que je me penchais, sa main a agrippé ma manche avec une force surprenante. Marie-Antoinette m'a regardé avec des yeux où brillaient une sorte de folie. Avec ses cheveux blancs emmêlés et son visage émacié, je peux vous assurer qu'elle me terrifia.

"Où est mon enfant ? a-t-elle murmuré d'une voix tremblante d'angoisse. Montrez-moi mon enfant, je vous en prie... Au moins une fois..."

J'ai balbutié comme un enfant avant de raffermir ma voix et d'accepter cette requête sous condition qu'elle me libère. La honte s'est clairement lue sur son visage osseux. Elle m'a lâché précipitamment et, comme un enfant, je suis sorti en courant. Marie-Antoinette, bien que légèrement plus jeune que moi, me donne l'impression d'être revenu dans l'enfance. J'ai incroyablement honte de cette faiblesse, mais je sais que je peux vous la confier sans crainte.

Comme je vous l'ai dit plus tôt, j'avais posté une aide, Rose (la petite blonde), dont le rôle était de nettoyer et d'habiller le nouveau-né afin de le préparer pour son départ vers Saint-Denis où, comme vous le savez, une nourrice l'attend. Étant donné qu'il y eut deux bébés, Constance était sortie pour aider. Lorsque je suis arrivé, Constance et Rose, un poupon dans les bras chacune, étaient sur le point de partir. Je leur ai ordonné d'entrer dans la cellule de Marie-Antoinette et elles m'ont obéi sans demander pourquoi.

Quel instant touchant que celui où la mère rencontre ses enfants ! Votre prisonnière, à la vue des deux bébés, a eu le visage marqué par une profonde surprise mêlée d'une tristesse incommensurable. Sans prononcer mot, elle a tendu les mains vers eux. Les posant sur ses genoux, elle les a regardés un long moment sans bouger d'un pouce. Plusieurs minutes sont passées, pendant lesquelles Rose, Constance et Marie m'ont jeté des regards interrogatifs. Que fallait-il faire ? Alors que j'allais élever la voix pour que les deux bébés soient retirés à leur mère, cette dernière a prononcé quelques mots. Il était question d'une prière afin que Le Seigneur accorde sa protection aux deux enfants. Marie-Antoinette a ajouté ensuite... Ses mots exacts étaient :

"Le destin est déjà bien cruel envers vous, mes petits. Je m'excuse auprès de vous, je vous offre une vie déjà complexe. Mais, tant que vous serez tous deux ensembles (elle prit leur poing, les joignit entre ses mains), vous surmonterez toutes les difficultés. (Marie-Antoinette, à ce moment-là, s'est penchée pour embrasser les deux poings réunis) Mon Seigneur, je vous confie ces deux innocents, Sophie-Elisabeth Marie et Louis-Athanase François."

Tout en prononçant ces noms qu'elle leur dédiait, Marie-Antoinette avait baisé le front des deux bébés avec tendresse. Se laissant aller en arrière, elle a tourné le regard vers moi.

"Seront-ils bien traités ?

- Assurément, Madame" ai-je répondu en m'inclinant légèrement.

D'un signe discret de la main, j'ai enjoint à Rose et Constance d'emporter les enfants tout en indiquant que je souhaitais accompagner les enfants chez la nourrice, pour lui donner un dédomagement (un enfant de plus, vous imaginez !) et lui expliquer la situation.

Après cela, je me suis précipité vers mon secrétaire où je suis à présent encore dans l'écriture de cette lettre.

Avec mes sentiments respectueux,

Joseph

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