Chapitre 2 - (Ally)
Je descends du bus à l'arrêt de la faculté de Sun-Ae. Ma fac n'a rien avoir avec celle-ci. Alors qu'ici tout paraît plus moderne et plus architectural, en France, c'est plus ancien et avec un style typiquement français. Le seul bâtiment moderne que nous avons, c'est la bibliothèque. J'y passe la plupart de mon temps libre. On dirait qu'ici chaque élément a été pensé. Il y a de nombreux arbres, de parterres d'herbes et de fleurs aussi. N'importe quel étudiant voudrait étudier ici, tellement le lieu donne envie d'apprendre et de travailler. Je monte les escaliers qui mènent vers les bâtiments.
Il est seize heures trente cinq passées, ce qui signifie que Sun-Ae ne va pas tarder. J'ai hâte qu'elle arrive pour lui raconter ce que j'ai fait aujourd'hui. Bon techniquement, ce n'est pas grand-chose mais je trouve que c'est pas mal pour une première journée seule. Peut-être que je vais enfin rencontrer ses amis.
– Ally, m'interpelle mon amie tandis que je me retourne vers elle.
– Ta journée s'est bien passée ?, lui demandé-je en souriant.
– C'était long, je n'avais qu'une hâte sortir pour te retrouver, me répondit-elle en passant son bras sous le mien. Qu'as-tu fait ? Ça a été ?
Je hoche la tête avec un sourire sous son regard curieux.
– Je me suis promenée, j'ai été dans un café, je me suis achetée à manger dans un petit stand et j'ai déjeuné dans un parc. Oh merci pour ce matin. Le petit-déjeuner était bon, la complimenté-je.
– Je suis heureuse alors. J'avais peur que tu te sentes seule pour ton premier jour ici, avoue-t-elle embarrassée.
– Non, je t'assure que je ne me suis pas sentie seule. J'ai passé une bonne journée, la rassuré-je.
– Maintenant, comme je ne travaille pas ce soir et demain soir, nous allons nous amuser.
– On va faire quoi ?
– Tu verras bien. Mais avant ça, est-ce que tu veux que je te fasse visiter mon université ?
– Je suis partante avec plaisir ! Mais dis-moi, ce n'est pas interdit ? Je ne suis pas d'ici.
Sun-Ae me rassure avant de me tirer vers l'énorme bâtiment face à nous. Nous avons mis presque une heure pour voir tout et encore en allant vite.
Une fois lancée, Sun-Ae parle beaucoup. Ça m'a toujours plu chez elle. Elle est joyeuse et positive. J'aime vraiment sa personnalité. Quand j'ai commencé à savoir faire des phrases en coréen et savoir répondre, j'ai dû lui dire plus d'une fois de ralentir quand elle parlait. Sun-Ae enchaînait si vite que je n'arrivais pas à suivre. C'était parfois très drôle.
– Demain je termine les cours plus tôt, m'annonce-t-elle avec un grand sourire.
– Qu'est-ce qui te met autant en joie ?
– Je t'emmène rencontrer Maman et Kyung-Won, déclare mon amie un regard vers moi. Mon frère est pressé que tu lui parles de la France.
Alors que je pensais que nous allions repartir, Sun-Ae m'emmène vers un groupe de deux garçons et une fille. Ses amis dont elle m'a tant parlé. Chae Se-Ju, Won Na-Bin, deux camarades de promo et la meilleure amie de Sun-Ae, Hyo Mee-Young. Je m'incline.
– Je suis enchantée de te rencontrer, Sunny parle sans cesse de toi, me dit Mee-Young tandis que Se-Ju et Na-bin me sourient.
– J'ai aussi entendu parler de vous tous, je suis ravie de vous rencontrer.
– Prête à passer ta soirée avec nous ?, me demande Na-Bin en haussant les sourcils. Il faut fêter ton arrivée.
– On va faire la fête ?, m'étonné-je en me tournant vers Sun-Ae hoche la tête doucement.
– Et on va s'éclater, ajoute Mee-Young.
Durant le trajet jusqu'à notre destination, Na-Bin m'a beaucoup questionné à propos de la France avant de se faire réprimander par Sun-Ae qui trouvait qu'il m'accaparait trop.
– Sunny avait vraiment hâte que tu arrives, me confie Se-Ju. Elle nous parlait tellement de toi ces derniers jours que j'avais l'impression que tu étais déjà ici.
– C'est vrai ? J'avais aussi hâte de venir je dois dire.
– Je trouve que tu parles vraiment bien coréen, tu t'en sors bien, me félicite-t-il.
– Il faudra que tu m'apprennes des choses en français, me dit Na-Bin alors que je regarde enfin où nous sommes.
Une rue avec plusieurs restaurants, des salles de jeux et des clubs. Je lève la tête vers l'enseigne devant nous, un karaoké club. On va chanter ? Je regarde Sun-Ae et les autres qui me sourient.
C'est en trinquant à mon arrivée à Séoul que j'ai enfin l'impression d'avoir vingt-et-un ans. Si maman me voyait… Je crois bien qu'elle me dirait que je suis devenue quelqu'un d'autre, alors qu'ici avec Sun-Ae et ses amis, j'ai juste l'impression de pouvoir être moi. Je suis rarement sortie dans le passé et hormis quelques connaissances à la fac, je n'ai que Myriam. Je lui envoie une photo avant de me concentrer sur les amis de Sun-Ae.
Na-Bin me tend le plat avec du poulet frit pour que je me serve. Je le remercie en souriant. Je commence à manger quand Sun-Ae se lève pour prendre l'un des micros.
– N'aie pas peur de te boucher les oreilles, me prévient Mee-Young me faisant rire.
– Arrête ! Sunny est toujours… très divertissante, rit d'avance Se-ju.
– Pas pire que toi, se moque Na-Bin en levant son verre.
– Je choisis ta chanson Sunny !, s'écrie Mee-Young en se levant brusquement.
– Et qui chante le mieux ?, demandé-je amusée.
– Moi !, me répond Na-Bin fièrement en levant en l'air son morceau de poulet.
– Ally, j'espère que tu passes un bon moment ! J'espère que tu aimeras ton séjour parmi nous, proclame Sun-Ae dans son micro. Ce soir nous allons être qui nous voulons. Oublions tous nos problèmes, sourions, mangeons et buvons aussi !
Je ris aux paroles de mon amie. Je vais faire comme elle le dit. Je vais être qui je veux être et ce ne sera pas seulement ce soir. Je vais profiter pleinement de ces deux mois ici. Sans elle, je n'aurai pas voyagé jusqu'à Séoul. Sun-Ae m'accompagne depuis deux ans maintenant et j'espère que ce sera le cas encore très longtemps.
Je leur suis reconnaissante de m'avoir intégré dans leur groupe. Mee-Young est une fille généreuse et intelligente. Elle et Sun-Ae sont amies depuis leur début à la faculté. Mee-Young vit avec son frère près du centre. Na-Bin et Se-Ju se connaissent depuis le collège. Ils vivent en périphérie de la ville et ont un appartement en colocation tous les deux. Na-Bin est drôle, il a toujours un mot pour rire et il ne se prend pas au sérieux. J'ai trouvé Se-Ju un peu plus réservé, mais l'on a bien parlé et il est intéressant.
En voyant Sun-Ae bailler face à moi, je culpabilise. Il est vrai que nous sommes rentrées très tard hier. Elle et ses amis vont avoir du mal à suivre leur cours aujourd'hui. C'est la première fois que je sors et que je m'amuse autant. Maman a toujours été contre. Je me suis souvent demandée si Emalia avait subi ça. Le sujet de ma sœur est une malédiction, maman refuse catégoriquement de dire son prénom.
– On dirait que tu vas dormir debout, commenté-je en prenant ma tasse de thé.
– C'est faux ! Je ne suis simplement pas tout à fait réveillée, geint-elle en baillant à nouveau me faisant rire. Arrête de rire, pourquoi tu as l'air fraîche comme une fleur toi, rumine-t-elle en me fixant curieuse.
– Comme une fleur ?, répété-je septique. Je ne crois pas être aussi fraîche qu'une fleur.
– Évidemment que si, tu as la peau pétillante comme tout. D'ailleurs…, hésite-t-elle en regardant sa tranche de pain grillé, je suis certaine que Na-Bin t'apprécie.
Je la regarde perplexe. Na-Bin m'apprécie ? Il est vrai que nous avons bien parlé hier soir, mais elle va un peu vite. Je n'aime pas trop son petit sourire en coin là. Après Myriam, si elle aussi s'y met, ça risque d'être formidable…
– Et ?
– Rien, je dis simplement que Na-Bin t'apprécie.
– Je ne te crois pas. Tu veux me faire croire que tu me dis ça juste comme ça ? Impossible. L'on ne se connaît que depuis hier alors cesse de te faire des idées.
Elle hausse les épaules gaiement en terminant sa tranche de pain avant de se lever.
– Laisse, je débarrasserai la table ne t'en fais pas.
– Merci Ally !
Une fois Sun-Ae partie, je me décide à me préparer pour aller courir. Il est hors de question que je laisse tomber cette habitude même ici. Une heure trente plus tard, douchée et changée, je compte bien aller me balader. Sun-Ae a dit que je pouvais me rendre à la rue Myeongdong en prenant le métro. Mee Young a ajouté que je devais absolument aller voir ce quartier sans plus attendre. Selon elle, il y a pleins de boutiques sympathiques et jolies où l'on peut faire de belles trouvailles.
C'est soulagée que je ressors du métro. J'ai bien cru que j'allais me perdre. Il semblerait que malgré mon bon niveau en coréen, il me reste des lacunes à combler. Je n'ai pas encore l'automatisme et la rapidité.
J'ai envoyé quelques photos à papa et maman depuis mon départ mais je ne les ai pas encore eu au téléphone. J'utilise le décalage horaire comme excuse, sauf que je sais très bien que je ne fais que repousser l'appel. J'ai envie d'être avec moi-même, de me laisser guider, comme maintenant en marchant seule dans une rue commerciale peuplée.
C'est la première fois que je vais être loin de mes parents et ça ne me gène pas, au contraire j'ai enfin l'impression de respirer. C'est comme prendre un nouveau souffle. Je suis rassurée de savoir que ma mère ne va pas me dire quoi faire. Même après que papa ait réussi à la convaincre, je sais que c'est à contre cœur qu'elle m'a laissé monter dans l'avion. Je peux arriver à le comprendre, car sa première fille est partie sans jamais revenir. Seulement je ne cautionne pas, même plus du tout, le contrôle qu'elle instaure sur moi. J'ai bon être la cadette, ce qu'il s'est passé avec Emalia n'a rien à avoir avec moi.
Il m'a fallu vingt bonnes minutes pour me décider à prendre la robe que j'avais aperçue dans la vitrine. Emalia me disait souvent : « si tu hésites trop tu ne feras jamais rien, alors écoute-toi et ne regarde que devant toi. ». Ce que j'ai fait.
– Ally ?, m'interpelle une voix masculine alors que je sors de la boutique.
Je me retourne vers Se-Ju qui me sourit. Je m'incline pour le saluer. Que fait-il ici ? Je croyais qu'il avait cours avec Sun-Ae ce matin.
– Tu te balades ?, me demande-t-il en baissant les yeux sur mon sac contenant mon achat.
– Oui et toi ? Tu ne devrais pas être en cours ?
– J'avais un entretien, j'ai terminé plus tôt que prévu, m'explique-t-il en mettant ses mains dans ses poches.
– Oh, ça s'est bien passé ?
– J'ai fait de mon mieux, on verra, me sourit-il, l'air confiant. Tu veux que je te serve de camarade de shopping ?
– Tu ne retournes pas à la faculté ?
– Non, pas avant cet après-midi.
Je le trouve un peu moins réservé que la veille, peut-être est-ce parce que c'est la deuxième fois que nous nous voyons. Finalement, je ne suis pas déçue qu'il soit là quand je me retrouve face à un libraire à qui je n'arrive pas à expliquer le livre que je veux. Se-Ju arrive à ma rescousse. Il se moque gentiment de moi une fois dehors. J'aimerai bien voir en France comment il s'en sortirait.
Se-Ju me parle d'une boutique qui fait des pâtisseries excellentes, surtout toutes sortes de tiramisu. Je proteste quand je le vois payer pour moi.
– Je te remercie, tu n'étais pas obligé.
– Ça me fait plaisir, me sourit-il tandis qu'on sort nos gâteaux à la main.
– L'entretien que tu as passé, c'est pour un stage ?
– Non, c'est pour cet été. Attention, s'écrit-il en se mettant devant moi.
Un homme s'incline avant de continuer son chemin suivi par une petite foule. Décidément.
– C'est quoi cette tribu ?
– On est dans une rue très populaire ici et il y a des stations de radio plus loin. Au vue des pancartes, ce sont les CHERRY.
– Merci en tout cas. Est-ce que tu peux me parler de toi ?, l'interrogé-je en me remettant en marche. Vous me connaissez tous mais pas moi.
– Je viens d'une très lointaine campagne, crois-moi tu ne sais pas où c'est, rit-il me tirant un sourire.
Durant le trajet en bus jusque chez la famille de Sun-Ae, cette dernière me rassure en me disant que je ne dois pas stresser car sa mère m'adore déjà. À peine arrivées, la maman de Sun-Ae, Yoon Jee-Soo nous saute dessus. Quand je dis sauter, c'est vraiment sauter. Elle prend sa fille dans ses bras.
– Tu es ici chez toi, je te souhaite la bienvenue.
Elle m'étreint si fort que je me sens gênée, je ne m'attendais pas à un accueil comme celui-ci. Ça me touche, mais ce qui me remue le plus c'est que ma propre mère ne m'a jamais prise comme ceci dans ses bras.
Je souris au petit frère de Sun-Ae qui me regarde timidement de l'autre côté de la table. Il me sourit faiblement avant de baisser les yeux sur la table. Je ris. Sun-Ae s'assoit à côté de moi. Elle a toujours habité ici même après le décès de son père quand elle avait neuf ans. Je ressens sans cesse un peu de culpabilité quand je me confie à elle par rapport à maman alors qu'elle n'a pas la chance d'avoir ses deux parents. Sun-Ae me parle de son père de temps en temps, elle dit que c'est important car Kyung-Won est né deux mois après son décès. Alors elle fait tout pour que son petit frère sache qui était son père.
– Est-ce que tu peux me parler de la France ?, me questionne Kyung-Won en tendant la main vers le plat que dépose Jee-Soo au centre de la table.
– Yoon Kyung-Won, qu'est-ce que c'est que ces manières ?, râle sa mère en lui tapant sur la main. Ally serre toi d'abord, j'ai fait ces Hotteok ce matin, c'est à la cannelle.
– Je vous remercie, dis-je en inclinant la tête.
– Mange bien, une jeune femme comme toi a besoin de force, ajoute Jee-Soo.
– Je vais me régaler, ça sent bon. Hmm, c'est délicieux !, m'exclamé-je en prenant une bouchée de mon hottoek.
– Maman fait les meilleurs Hotteok, me confie Sun-Ae, fière.
– Est-ce que tu pourras m'apprendre à les faire Sun-Ae ?
– Si tu veux la prochaine fois, je te montrerai comment les réaliser, me propose Jee-Soo en souriant.
J'acquiesce en souriant. Je regarde Kyung-Won qui avale presque un hotteok en entier. Je crois bien qu'il y en a un qui aime ça.
– Que veux-tu savoir sur la France ?, ajouté-je vers Kyung-Won avec un sourire.
– J'ai entendu dire que les français mangent des croissants et boivent du vin tout le temps. C'est vrai ?, me questionne-t-il me faisant rire.
– Peut-être pas tout le temps.
– Oh ! Une fois, Sun-Ae nous a acheté des croissants quand on a été la voir à Séoul. C'était bon mais c'était cher aussi, me raconte-t-il en grimaçant. Au faite, pourquoi est-ce que vous vous embrassez tous dans ton pays ?
– C'est pour nous dire bonjour. C'est une sorte de coutume. Ça s'appelle… se faire la bise, dis-je en cherchant comment le dire en coréen. Je dois dire que je n'ai jamais aimé ça pour être honnête.
– Je n'aimerai pas embrasser une personne que je ne connais pas, marmonne Kyung-Won.
L'heure du retour arrive vite malheureusement. Je suis Sun-Ae dans le bus et m'assois près d'elle.
– Maman était très contente de te voir enfin, m'avoue-t-elle. Je crois que Kyung-Won t'adore. Il ne parle pas autant d'habitude.
– Vraiment ?
– Tu sais je pense que maman est rassurée que tu sois là. Je sais qu'elle était inquiète que je sois seule, ne pouvant pas quitter mon travail cet été. D'ailleurs, je n'ai pas envie d'y aller. Pourquoi a-t-il fallu que ma collègue tombe malade aujourd'hui précisément ?, soupire-t-elle en appuyant sa tête sur la vitre.
Sun-Ae court vers la chambre pour prendre ses affaires avant d'aller dans la salle de bain. Je dépose ma veste sur la chaise et m'assois sur le canapé me disant qu'il faudrait peut-être que j'appelle mes parents.
– Je m'en veux, j'ai l'impression de te laisser toute seule tout le temps depuis ton arrivée, se plaint mon amie en revenant dans le salon.
– Ne t'en fais pas. Je ne m'ennuie pas, je t'assure. Au contraire, je suis vraiment contente. C'est normal que tu ailles travailler, la rassuré-je en lui souriant.
– Je quitte le travail à 23h30. Je te promets que ça ira mieux après-demain, je serai en vacances et j'aurai seulement à m'absenter pour aller à mon job.
Je hoche la tête avec un sourire rassurant. Je ne veux pas qu'elle s'inquiète pour moi. Elle ne s'en rend pas compte mais je suis plus que heureuse d'être ici. Peut-être que je ne le montre pas assez ? Je n'ai jamais été très expressive, c'est vrai. Maman répète sans cesse qu'il faut savoir cacher ses émotions. Elle me dit même quand sourire de toute manière.
– Dépêche-toi tu vas être en retard.
– Oh non, s'écrit-elle en mettant sa veste. Tu vas appeler tes parents ?
– Oui, il vaut mieux si tu ne veux pas qu'une équipe des forces spéciales débarquent.
– Ta maman est extrême quand même, je ne comprends pas qu'elle ne te fasse pas confiance. Bon, je dois y aller, à ce soir Ally. Fighting pour ton appel !, m'encourage-t-elle en levant les poings en l'air.
– Travaille bien Sun-Ae !
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